Les Coqs vont bouffer du Poireau ce week end à Cardiff …

Vern Crotteur est en vie. Pire, il est même optimiste…

 

Par Vern Crotteur,

 

Après des mois de mutisme borné, LE technicien de la Boucherie est enfin sorti de sa réserve. La raison de cette soudaine prise de parole ? Vern n’apprécie pas du tout ces pseudo-experts qui prédisent une nouvelle déculottée des Bleus face à un XV du Poireau revanchard ! A contre-courant des commentateurs du dimanche, le coach clermontois voit les Français s’imposer dans une rencontre qui s’annonce pourtant délicate pour la jeune garde tricolore. Décryptage …

 

Salut les Frenchies,

Certains d’entre vous l’ont peut-être entendu déjà : un célèbre pub de Cardiff aura du coq au vin à son menu de samedi. Autant dire que les Gallois s’attendent à vous bouffer tout cru ! Et il est vrai qu’après les dernières prestations des Bleus, on est en droit de se poser des questions. Tout avait pourtant bien commencé face à des Italiens entreprenants, mais à peu près aussi créatifs que le politburo de l’Union soviétique sous Brejnew. C’est après que les choses se sont lentement dégradées et la fin de tournoi s’annonce maintenant délicate pour PSA. Là où le petit Marco avait eu droit à deux saisons d’errements, Saint-André et son staff d’entraîneurs à temps partiel n’auront eu que deux matches. Mais finalement, ce n’est peut-être pas une mauvaise chose, ça obligera les uns et les autres à entrer de plain-pied dans la préparation du grand projet « coupe du monde 2015 ». L’espoir fait vivre, c’est bien connu …

En attendant, la partition écrite pour cette équipe de France renouvelée et rajeunie n’a vraiment rien d’idéale ! Affronter au Millenium des Gallois en route pour le grand chelem, ça a de quoi donner des sueurs froides. D’ailleurs, tous les journaux vous le diront, à commencer par le Merdol, ça sent le traquenard à plein nez ! Y a comme du « règlement de compte à OK Corral» dans l’air.  Bbbrrrrhh…

A priori, il y a de quoi être impressionné. Imaginez un peu ! Six mois passés à attendre et à ressasser leur soif de revanche – pour ne pas dire de vengeance – et voilà que ces Gallois ont une chance de rédemption. Une chance de prouver à leurs supporters et au monde du rugby que c’étaient eux les challengers légitimes au titre de champion du monde, et non cette équipe de France frileuse au rugby balbutiant, recroquevillée sur elle-même comme une huître dans sa coquille.

Oui, les Gallois l’ont enfin, ce script de western presque parfait. On les imagine déjà, tapis en embuscade à l’orée d’une forêt de poireaux géant, en train de fourbir leurs armes, la bave aux lèvres !
Et face à ce challenger, dans l’autre coin, en short bleu, avec deux victoires, une défaite et un match nul à son actif cette année, le vice-champion du monde, le moral en berne et la confiance dans les chaussettes, j’ai nommé… le Quiiiiinze de Fraaaaaance ! Applaudissements mesdames et messieurs.
Allez, stop, on arrête les gags et on repasse aux choses sérieuses… Car ce scénario de fiction plus vrai que nature, on va surtout nous le servir pour faire monter la pression et les taux d’audience, à l’heure de la retransmission sur France 2. La réalité des forces en présence est tout autre.

Bon, je vous l’accorde, passer en revue les forces et les faiblesses des uns et des autres, ça reviendrait surtout à parler des forces des Gallois et des faiblesses des Français. Pas bon pour le moral… Mais ce qui est bien plus intéressant, c’est de se rendre compte que la France a surtout les qualités de ses défauts, et ça, c’est exactement ce qu’il faut pour gagner samedi.

Globalement, qu’a-t-on vu jusqu’à présent du XV de France ? D’abord et surtout, une équipe toujours solide sur la conquête. Une mêlée puissante, rarement prise en défaut, à part peut-être face à des Anglais contre qui elle a mis du temps à trouver la parade. Une mêlée qui constitue malheureusement sa meilleure, pour ne pas dire sa seule arme offensive du moment. Mais face à des Gallois qui ne sont pas des inconditionnels des phases arrêtées, cet avantage pourrait peser. Pareil en touche, où le XV du Poireau semble parfois fragile, malgré la taille de ses tours de contrôle en deuxième ligne.

Or, si les Français parviennent à perturber l’adversaire sur ses bases, en pourrissant les lancements gallois et en grappillant quelques ballons ou quelques pénalités bien placées, ils se mettront déjà dans des conditions beaucoup plus favorables. Tout le monde sait que les Gallois ont besoin d’un nombre incalculable de balles et de passes pour parvenir à dominer une rencontre et scorer. Plus ils seront perturbés sur la conquête et moins ils auront l’occasion de jouer… C’est mathématique et ça nous amène au second point fort des Bleus. J’ai nommé : l’incapacité chronique des Français à prendre le jeu à leur compte. Parfaitement, car dans le contexte de samedi, il s’agit d’un défaut dont on peut faire une qualité.
Non, ne secouez pas la tête, ne me traitez pas de ramolli du bulbe ! Je sais de quoi que je cause… ça fait plusieurs années maintenant que les Bleus ont ce problème. Pas assez de coffre, pas assez de repères offensifs et surtout, pas assez l’habitude de jouer un rugby d’attaque, fait de prises de risques et d’initiatives. Autant de qualificatifs que certains présidents et coaches du TOP 14 considèrent d’ailleurs comme des insultes. Et quand on entend dire en championnat que la passe est une prise de risque, il ne faut pas s’étonner que la sélection nationale finisse par ne plus savoir que faire du ballon… Du coup, ces Bleus enregistrent leurs meilleurs rendements quand ils ne sont pas tenus de faire le jeu, quand ils peuvent laisser l’initiative à l’adversaire et profiter des ballons rendus. Ce XV de France est le prototype même de l’équipe à réaction. Et c’est quand il récupère des ballons mal négociés par l’adversaire qu’il est le plus dangereux ! Que ce soit sur des turnovers en premier rideau, ou des ballons récupérés dans la profondeur du terrain sur du jeu au pied, c’est là qu’il faudra être bon en contre-attaque, pour marquer les esprits des Gallois et marquer tout court. Le XV de France a les moyens et les joueurs nécessaires pour réussir. Même le petit Alexis, avec son gabarit de cadet teulière et sa tête de premier de la classe, peut moucher les ailiers à fort tonnage qu’il aura en face de lui.

Il y a toutefois une condition à respecter pour pratiquer ce rugby d’autiste, alternant les périodes d’indigence offensive totale avec de rares moments d’éclat et d’hyperactivité. Interdit de se trouer en défense ! C’est là que le bât pourrait éventuellement blesser, surtout quand on a encore en mémoire la débâcle défensive de samedi dernier.

Contre les Anglais, le problème n’était pas tellement la stratégie privilégiée par Saint-André, mais plutôt sa mise en œuvre. Quand on opte pour une occupation du terrain adverse, il peut arriver qu’on manque de précision dans le jeu au pied long. Par contre, on n’a pas le droit de se rater sur les montées en pression, qui nécessitent une organisation et une rigueur collective que les Bleus n’ont jamais eues.
Je ne vais pas forcément me faire des amis en disant cela, mais j’ai l’impression que Lagisquet cherche à appliquer des recettes qui marchaient peut-être très bien au BO il y a dix ans, mais pas forcément au niveau international aujourd’hui. Faut dire que le BO était tellement bon en défense qu’à la fin, c’est tout ce qu’on voyait encore de l’équipe… Une grosse défense et puis rien… Donc, là, c’est vrai qu’il y a encore de la marge. Pour l’instant, Lagisque a réussi à mettre en place le « rien », reste plus qu’à ajouter la grosse défense.

Dans ce secteur, son  idée de base consiste apparemment à maintenir une discipline et une structure intacte sur les premiers temps de jeu, pour ensuite récupérer des ballons grâce à un inversement du rapport de force au profit des défenseurs (surnombre défensif après plusieurs temps de jeu). C’était le principe de l’infranchissable mur biarrot. C’est logique et ça tient la route. Mais si on abandonne en même temps l’idée de montée agressives et rapides, en coupant les extérieurs, et qu’on hésite à contester certains rucks, ça crée des difficultés, notamment face à des équipes qui avancent, qui ont une bonne technique de rucking et qui pratiquent un jeu offensif sur deux lignes d’attaques. « A ce rythme, pas exclu que les Français prennent bientôt des essais concédés face à un attaquant passant simplement entre deux défenseurs français, obnubilés par l’idée de glisser sur l’extérieur plutôt que de fermer les espaces ». ça vous rappelle quelque chose peut-être … Je me suis permis de mettre cette phrase entre guillemets, parce que je l’ai écrite (sur un autre site) plusieurs jours avant le match de l’Angleterre. Comme quoi, l’essai de Thom Croft est arrivé AVEC annonce et nul doute que ces lacunes défensives n’ont pas non plus échappé aux coaches gallois, qui ne sont pas (beaucoup) plus bêtes que moi.

Enfin, tout ça pour dire que samedi, il va falloir défendre autrement, faute de quoi les Bleus vont voir déferler tout l’après-midi des autobus lancés à fond de quatrième au centre du terrain, puis des 38 tonnes arrivant en roue libre et prenant les intervalles laissés par une défense à l’arrêt. Face à ces Gallois au jeu tout droit inspiré de ce qui se fait en Australie et en Nouvelle-Zélande, le mieux serait encore de revenir à ce qui avait très bien marché lors des phases finales de la coupe du monde : défendre de façon beaucoup plus agressive, en montant parfois en pointe au centre du terrain (généralement au niveau du premier ou du deuxième centre), de manière à couper les extérieurs, ce qui obligerait alors les Gallois à venir jouer dans des zones à forte concentration de défenseurs. Ou alors, monter haut et venir placer un joueur sur la trajectoire du ballon, pour intercepter la passe ou au moins empêcher les Gallois de jouer sur leur deuxième ligne d’attaque. Ça peut paraître ardu, mais moi, je suis optimiste  ! Je crois les Français parfaitement capables de nous proposer une grosse perf en défense, ce qui m’amène d’ailleurs à mon dernier argument.

Car c’est de notoriété publique. Les Bleus ne sont jamais meilleurs qu’avec le dos au mur et la trouille au ventre. Contre les Anglais et les Irlandais, on les disait favoris et les joueurs le savaient. Ils avaient la pression, attendus qu’ils étaient sur leurs velléités offensives et les prémisses de la griffe PSA …Rien de tout cela à Cardiff. Match à l’extérieur, foule et stade hostiles, finale de tournoi pour les Gallois, face un XV de France secoué par la défaite, en manque de repères et de confiance. Le staff et les joueurs français auraient donc tout intérêt à s’inspirer des fameuses paroles de Foch, à la veille de la Bataille de la Marne: « mon aile gauche recule, mon centre vacille, mon aile droite s’enlise. La situation est excellente: j’attaque ! ».

Voilà ce qu’on attend en définitive de cette équipe. Démentir les statistiques et les probabilités. Tout le monde attend les Gallois, à commencer par les Gallois eux-mêmes. Alors, consigne pour les Bleus, on sort le casque à pointe et on déroule les barbelés. On s’enflamme pas et on reste solide sur lesbases. Mais le moindre ballon de contre, on en fait quelque chose, ne serait-ce que pour faire douter les Gallois, et accessoirement marquer des essais ! Enfin, on arrête les conneries en défense et à ce compte-là, effectivement, les chances sont bonnes de faire mordre la poussière aux Gallois et surtout à cet enc… de Warren Gatland, à qui je ne pardonnerai jamais d’être originaire de Waikato !

Si les Français s’en tiennent à celà, je vous l’annonce, y aura peut-être du coq au vin au menu des pubs de cardiff, mais au millenium stadium, ce sera du gratin de poireaux haché menu qui sera servi aux spectateurs.

Bonne chance et bon match  !

 Vern.

France – All Blacks: la Boucherie dévoile les secrets de Vern Crotteur

LA solution pour battre les Blacks, mais version sérieuse.

Injoignable depuis le début de la semaine, Vern Crotteur semble renacler sur sa promesse de dévoiler quelques points faibles de Blacks. Mais la Boucherie a dépêché ses plus fins limiers sur la piste du technicien néo-z. Et en fouillant dans les poubelles du stade Marcel Michelin, nos envoyés spéciaux ont mis la main sur quelques morceaux de papier chiffonnés …Les brouillons de Vern Crotteur.

Découvrez aujourd’hui, en exclusivité sur la Boucherie, une retranscription – sans fioritures et sans chichi – des principaux éléments de l’analyse «secrète» de Vern Crotteur… 

 

  •   1. Charnière 

L’absence de Carter est une perte énorme. Sans lui, ce n’est pas la même équipe. Quand les Français ont battu les Blacks à Dunedin en 2009, Carter ne jouait pas. Idem dans le tri-nations 2011, lorsque les Springboks ont battu des Blacks sans Carter.

Cruden a bien joué en demi-finale, mais derrière un pack qui avançait à chaque impact. Et dans l’animation du jeu, c’est Weepu qui a dicté le rythme de la rencontre. Après sa sortie, le jeu des Blacks s’est subitement déréglé. Ce n’est pas le fruit du hasard.

Il y a un déséquilibre par rapport à la qualité de jeu que les Blacks recherchent, car ils sont obligés de jouer avec un dix qui manque d’expérience et de maturité à ce niveau. Weepu aura donc une lourde responsabilité lors de la finale, d’autant que c’est aussi le buteur de l’équipe.

Options pour les Français:
– perturber les transmissions au niveau de la charnière, au moins ponctuellement. Missionner la troisième ligne sur la nécessité de cibler Weepu (l’accrocher sur certaines sorties de balle et le secouer un peu sur les plaquages).

 

  • 2. Troisième ligne

C’est l’élément de liaison indispensable entre le cinq de devant (combat) et les ¾ (franchissement). Neutraliser la 3e ligne des Blacks c’est les priver des soutiens offensifs les plus rapides et surtout des premiers défenseurs sur les phases de rucks.

Par rapport au jeu d’attaque des Bleus, il sera indispensable de fixer davantage McCaw et Cie sur les phases de conquête, afin de ne pas leur donner la possibilité de ralentir les relances françaises.

Options pour les Français:
– en touche : lancer en fond d’alignement et créer immédiatement des mauls. Mc Caw, Kaino et Read sont toujours dans cette zone là. Le maul permettra de les consommer dès le premier temps de jeu.
– en mêlée: une double poussée destinée à fixer la troisième ligne et ne pas lui permettre de sortir rapidement.
– sur les rucks: consommer au mieux les défenseurs placés au ras des regroupements (souvent des 3e lignes), par des pick and go dynamiques ou d’autres formes de jeu au près.

 

  • 3. Jeu au pied

Le trio arrière des Blacks s’est révélé solide jusqu’à présent sur les chandelles. En revanche il a montré quelques signes de faiblesse (du fait du placement des ailiers, très proches de la ligne) sur du jeu au pied dans son dos.

Options pour les Français :
– sur des relances après ruck : alterner différentes formes de jeu au pied par-dessus la défense ou à ras de terre, en cherchant les coins, et en essayant de garder le ballon dans l’aire de jeu.

 

  • 4. Conquête

C’est le secteur où le rapport de forces semble le plus équilibré. Les Bleus devront être au mieux de leur forme afin d’espérer dominer les Blacks sur ces phases, condition indispensables d’une éventuelle victoire française.
Options pour les Français :
– multiplier notamment les ballons portés sur touche (afin de fixer la 3e ligne et d’obtenir des pénalités).
– missionner la première ligne française, en particulier Mas, pour qu’ils ciblent Woodcock en mêlée, sachant que les Blacks seront durs à prendre au début (mêlée très dynamique à l’impact). Au fil du temps (fatigue aidant), les Bleus pourraient cependant établir une certaine domination, peut-être synonyme de pénalités en leur faveur.

 

  • 5. Organisation défensive sur contre-attaque

Si les Blacks ont été rarement pris en défaut sur des contre-attaques adverses, c’est qu’ils n’ont pas concédé beaucoup de turnovers jusqu’à présent.

Les Français devront défendre intelligemment (montées agressives, joueur en pointe pour couper les extérieurs, ne pas se consommer dans les rucks) afin d’obtenir des situations de surnombre défensif après plusieurs temps de jeu.

Options pour les Français:
Sur les ballons gagnés après turnover, essayer de contre-attaquer en utilisant au mieux les qualités du trio arrière bleu.
– jeu à la main si rapport de force favorable sur le premier rideau
– jeu au pied long, pour disputer la balle en poursuite (récupération dans le camp adverse, possibilité d’obtenir des pénalités), si rapport de force défavorable ou si fond de terrain mal couvert

 

  • 6. Le contexte

Les Blacks auront une pression énorme dimanche. Si les Français parviennent à les faire douter, tout est possible dans ce match.

Options pour les Français:
– réaliser une bonne entame pour ne pas être distancé au score
– ne se découvrir que sur le jeu de contre-attaque en respectant les consignes de jeu
– capitaliser au maximum sur les pénalités accordées aux Bleus (Parra = 100 % de réussite en demi-finale, Weepu = 40 %)

 

  • Pour rappel:

Coupe du monde 2007
Match de poule: Afrique du Sud – Angleterre: 36 – 0
Finale: Afrique du Sud – Angleterre: 15 – 6 dans un match que les Anglais auraient pu gagner.

France–Pays de Galles : le debriefing de Vern Crotteur

Vous savez quoi ? On est en finale.

Une fois de plus, les envoyés spéciaux de la Boucherie ont mis la main sur Vern Crotteur, pour un entretien d’après-match désormais rituel. Retour sur les éléments clés de la rencontre, du carton rouge à Warburton jusqu’au jeu étriqué des bleus, en passant par les erreurs commises par les Gallois.

  • A la Boucherie, nous avons poussé un grand « ouf » de soulagement au coup de sifflet final. Et vous ?

–                 Forcément soulagé aussi, car les Gallois auraient encore pu l’emporter dans les arrêts de jeu. Ma finale de rêve, ça a toujours été les Blacks contre la France. On va y avoir droit maintenant.

  • De nombreux supporters gallois, et même les spectateurs « neutres », jugent que les Français ne méritent pas leur qualification. Partagez-vous cet avis ?

–                 Absolument pas. On peut évidemment comprendre la déception des Gallois. Ils avaient une très belle équipe, qui a produit un rugby intéressant et agréable à voir pendant l’ensemble de la compétition. Mais en définitive, il leur a manqué certains ingrédients de base pour s’assurer une place en finale.

  • Avouez tout de même qu’ils ne l’auraient pas volé, s’ils avaient battu les Bleus.

–                 Bien sûr, ils auraient pu se qualifier. Mais ils ne l’ont pas fait. Je note d’ailleurs que si les Gallois ont battu les Irlandais, ils ont échoué à deux reprises face à des adversaires pratiquant un jeu plus restrictif.

  • Les Springboks et les Bleus ?

–                 Oui, et c’est significatif. Les Gallois ont du mal quand ils sont pris sur les basiques. Lors de la demi-finale, il y a aussi la dimension affective et mentale qu’ils ont beaucoup moins bien abordée que les Français.

  • On sentait pourtant les Gallois très motivés…

–                 Motivés, ils l’étaient, peut-être trop même. Je crois que cet excès d’enthousiasme explique aussi le placage dangereux de Warburton sur Clerc. Les Gallois se sont laissés emporter un peu par l’émotion, contrairement aux Français qui ont gardé la tête froide, parfois même trop froide, jusqu’au bout de la rencontre.

  • Alors justement ce carton rouge, mérité ou non ?

–                 Pour moi, il est absolument justifié, compte tenu des directives données aux arbitres. C’était un placage extrêmement dangereux. Même si Vincent Clerc ne s’est pas fait mal en définitive, il aurait pu être très gravement blessé. Donc pour moi, l’arbitre a pris la bonne décision. Ce genre de geste ne doit plus se produire sur un terrain. S’il faut en passer par des cartons rouges en demi-finale de coupe du monde, eh bien tant pis, Warburton connaissait la règle…

  • Mais le carton rouge fausse un peu le match non ?

–                 C’est difficile à dire. Ceux qui croient qu’à 15 contre 15 les Gallois l’auraient emporté pensent évidemment que c’est un moment décisif. Mais le rugby ne fonctionne pas comme ça. On peut même penser que le carton rouge a libéré encore un peu plus les Gallois, qui savaient qu’il ne leur restait plus qu’à se surpasser pour gagner, alors que les Français sont rentrés un peu plus dans leur coquille.

  • Vous croyez que le carton rouge a davantage pénalisé les Bleus ?

–                 Mentalement oui. Après la sortie du pilier Adam Jones sur blessure, puis celle de Warburton sur carton rouge, les Français ont du se dire qu’ils ne pouvaient plus perdre ce match. Et lorsque la peur de perdre s’immisce dans le cerveau des joueurs, ça paralyse le jeu de l’équipe. C’est ce qui s’est passé pour les Français, qui se sont cantonnés à leur stratégie pré-établie.

  • C’est-à-dire ?

–                 Les Gallois avaient besoin d’emballer le match pour pouvoir jouer leur jeu dynamique. Il leur fallait imposer un rythme soutenu pour faire rentrer leurs joueurs les plus pénétrants dans les intervalles. L’idée pour les Français, c’était de les en empêcher et d’exploiter éventuellement les ballons de contre qui se seraient présentés. Donc comme on pouvait s’y attendre, les Bleus laissé l’initiative aux Gallois, mais ils ont cherché à bien quadriller défensivement le terrain, dans toute la largeur, pour ensuite forcer des turnovers sur des situations de surnombres défensifs dans les rucks, au bout de plusieurs temps de jeu. De cette manière, les Français espéraient aussi obliger les Gallois à jouer au pied, ce qui donnerait des munitions au trio arrière bleu.

  • Mais on n’a pratiquement pas vu de tentative de contre-attaque française.

–                 C’est juste, et c’est certainement dû en partie au contexte mental de la rencontre, après l’expulsion de Warburton. Quand ils ont eu des ballons, les Français ont préféré déplacer le jeu au pied dans le camp gallois, plutôt que d’oser jouer à la main. Maintenant, sur le fond, il est clair que l’équipe de France a un gros problème en attaque. On le sait, ça ne date pas d’hier. C’est malheureusement le plus gros échec de Marc Lièvremont, indépendamment de la qualification pour la finale. Mais à ce stade de la compétition, il faut faire avec et jouer sur les points forts de l’équipe. Par rapport à ça, les choix offensifs réalisés s’inscrivent dans une certaine logique.

  •  Et contre ces Gallois alors, les choix ont été bons ou pas ?

–                 Pour se mettre réellement à l’abri, il aurait sans doute fallu en faire un peu plus, notamment en début de deuxième mi-temps. Mais c’est difficile de forcer ce genre de coup, quand on sent tout le monde fébrile. Surtout sur des contre-attaques, si un joueur s’engage sans que ses soutiens soient réactifs, c’est le meilleur moyen de perdre le ballon ou de se faire pénaliser.

  • Donc vous êtes plutôt d’accord avec les choix de jeu français ?

–                 Oui, à partir du moment où les Français dominaient outrageusement la conquête et qu’ils ne voulaient pas prendre trop de risques en attaque. En mêlée fermée, les Français régnaient en maîtres. Dans ce secteur, la sortie d’Adam Jones a très vite pénalisé les Gallois. Mais l’autre grande satisfaction pour la conquête française, c’est la touche.

  • Peut-être, mais en touche comme en mêlée, les Gallois avaient un joueur de moins…

–                 Sur la conquête, l’expulsion de Warburton n’a pas joué autant qu’on pourrait le croire. Warburton est avant tout un joueur de franchissement et de soutien. C’est donc davantage dans le jeu courant que son absence a peut-être pesé. En mêlée en revanche, les Français étaient incontestablement dominateurs. Et en touche, les Gallois ont réduit l’alignement pour ne pas se retrouver à un joueur de moins. Malgré cela, ils ont perdu 30 % des ballons sur leurs lancers ! C’est énorme, quand on sait qu’à ce niveau-là, les équipes gagnent généralement 90 % de leurs touches.

  • Comment expliquer cette défaillance ?

–                 D’abord par la qualité de l’alignement français, qui a considérablement rehaussé son niveau de jeu depuis le match contre le Tonga. La titularisation d’Imanol fait beaucoup de bien au Bleus à cet égard. Et c’est notamment du fait de leur domination en conquête que les Français auraient pu et du en faire un peu plus offensivement. Les occasions étaient là, d’autant que les Gallois avaient été privés de l’un de leurs meilleurs plaqueurs. Alors on peut effectivement regretter que les Français n’aient pas été plus entreprenants par moments.

  • Marc Lièvremont a essayé d’amener un peu plus de dynamisme en faisant entrer Swarzewski et Barcella.

–                 Oui, il a certainement voulu amener plus de tonicité dans le jeu français, notamment au ras des regroupements, où les Gallois sont peut-être un peu plus friables. Mais je ne suis pas sûr que ces changements s’imposaient à ce moment-là, car ils ont mis un terme à la période de domination absolue des Français en mêlée fermée. Du coup, les Gallois ont eu quelques ballons de plus à négocier, alors que leur conquête était auparavant catastrophique.

  • Et ils marquent finalement un essai aussi…

–                 Un essai mérité, mais sur une faute de défense assez basique. Puisque Nallet monte sur un joueur extérieur au porteur du ballon, alors qu’il aurait du garder son intérieur tant que Philipps n’avait pas fait de passe. Heureusement que les Gallois ne transforment pas l’essai !

  • Ils ont manqué beaucoup de points au pied…

–                 Oui, encore une fois, ils ne sont pas à  la hauteur sur les fondamentaux. Ils n’ont pas été bons en conquête et ils ne réussissent que 20 % de leurs tentatives au pied. Ils laissent 11 points en route, là où les Français font du 100 %.

  • L’entrée de Stephen Jones n’y a rien changé.

–                 Non, il n’a pas été supérieur à Hook dans l’alternance du jeu et surtout, il n’a tenté à aucun moment ce drop qui aurait pratiquement été synonyme de victoire galloise lorsque le score était de 9 à 8 pour les Français.

  • Encore un élément basique que les Gallois ont mal maitrisé ?

–                 Certainement. Il faut rappeler qu’ils étaient revenus à un point des Bleus avec 22 minutes de jeu restantes. Et en 22 minutes, ils n’ont pas tenté une fois le drop, alors qu’ils avaient le vent en poupe et qu’ils étaient en position très favorable.

  • Pourquoi n’ont-ils pas essayé ?

–                 D’abord parce qu’ils pensaient obtenir au moins une pénalité bien placée. Mais les Français ont extraordinairement bien défendu dans le dernier quart d’heure. La physionomie du match m’a d’ailleurs rappelé le quart de finale d’il y a quatre ans contre les Blacks. Et même si les Français ont été en permanence sur la défensive pendant les 15 dernières minutes, ils n’ont pas concédé une pénalité. C’est l’une des grandes performances collectives de cette équipe. Ils ont plié, mais n’ont jamais rompu.

  • Quand même, il y a la pénalité de Halfpenny à la 75e minute.

–                 Oui, mais pour moi, il s’agit d’une erreur d’arbitrage. Le joueur gallois au sol libère d’abord le ballon, comme il le doit, puis il remet les mains dessus, alors qu’il ne devrait plus y avoir de ruck. Nicolas Mas n’est pas en faute à mon avis et ce n’est que justice si Halfpenny manque son coup de pied.

  • Et dans les toutes dernières minutes, les Gallois hésitent…

–                 Encore une fois, à ce niveau, il faut être équipé pour résoudre tous les problèmes. Si vous n’avez pas de botteur capable de passer un drop sous les poteaux dans les arrêts de jeu, ça peut vous couter la victoire.

  • Avec Parra en revanche, les Français ont fait le plein de points au pied.

–                 C’est une grosse satisfaction pour les Bleus. Contre les Anglais, le taux de réussite au pied n’avait été que de 30 %, là ils sont à 100 %. On ne peut pas demander plus. Et puis, Parra fait de nouveau un gros match en défense. Par contre, je serais un peu plus sévère en ce qui concerne sa gestion du jeu.

  • Pour quelles raisons ?

–                 D’une part, il n’est pas capable de déplacer le jeu au pied dans le camp adverse. Or, vu le jeu que pratique l’équipe de France, c’est indispensable. A l’heure actuelle, c’est Yachvili qui prend en charge tout ce travail. Ensuite, Parra ne pèse jamais sur la défense. Pour l’instant, ça passe, car les Bleus n’en ont pas besoin pour s’imposer. Mais dès le prochain match, cela pourrait être déterminant.

  • Les Français ont-ils une chance contre les Blacks ?

–                 On en reparlera en fin de semaine, mais sur le fond, oui, ils ont certainement une chance. Ce qui sera intéressant, c’est l’opposition entre deux types de rugby que l’on va avoir en finale. Certains spectateurs « neutres » regrettent peut-être l’élimination des Gallois, car ils s’attendaient à une finale plus spectaculaire. Mais d’un point de vue rugbystique pur, il sera beaucoup plus intéressant de suivre une rencontre où deux conceptions du jeu vont s’affronter.

Vern

France – Pays de Galles: l’avis de Vern Crotteur

Notre expert nous donne les clefs du match contre ces satanés gallois.

A l’heure où l’on entre dans le «money time» de cette coupe du monde, la Boucherie s’est de nouveau tournée vers son expert maison. Vern Crotteur se montre cette fois plus optimiste que le week-end dernier. S’il reconnaît les progrès d’une jeune équipe galloise, il croit cependant aux chances de l’équipe de France.

Salut les Frenchies !

Cette fois, ça y est, on est dans le dur, presque dans la dernière ligne droite. Avec de belles oppositions en perspective, comme il y a quatre ans. Et un invité-surprise, comme il y a quatre ans aussi ! Non, je ne parle pas de la France, qui s’est glissée dans le dernier carré à la faveur d’un match plutôt réussi, après une phase de poule calamiteuse. Non, l’invité surprise c’est bel et bien le Pays de Galles. Et plus surprenant encore, les Gallois sont les favoris de la première demi-finale, si l’on en croit les bookmakers d’Auckland.

Alors il est vrai que les prestations de cette jeune équipe ont été convaincantes. Les Dragons rouges, ce n’est plus seulement du beau jeu, du rugby de mouvement. Non, les Gallois ont prouvé par des actes que leurs ambitions n’étaient pas que des paroles en l’air. Les médias en tout cas les adorent. D’ailleurs, il y a comme un bruit de fond lancinant qui se dégage des salles de presse et conférences de rédaction. Un buzz en quelque sorte…  Au départ, l’idée est simple. Les nouvelles règles avantagent désormais l’attaque, là où c’étaient auparavant les défenses qui avaient le dernier mot. Ce sera donc l’équipe la plus offensive qui l’emportera. Selon cette logique, qui n’en est pas une, le dragon gallois doit s’imposer face au coq français.

Et entre Cardiff et Llanelli, on y croit dur comme fer ! Une véritable crise d’hystérie collective s’est emparée du public… Un peuple tout entier s’est mis à rêver. Samedi, le millenium stadium de Cardiff accueillera 80 000 spectateurs à partir de 6h30 du matin, pour la retransmission d’un match qui se déroulera à 10 000 km de distance.

Chapeau les supporters, mais tout de même. Le pays de Galles favori contre la France ? En demi-finale de coupe du monde ? C’est pas un buzz, ça, c’est un bug ! Peut-être que je commence à perdre la mémoire, mais il me semblait pourtant que sur les résultats passés il n’y avait pas vraiment photo entre les deux équipes. Alors je ressors mes stats perso… Mais non, je ne me suis pas trompé. Neuf victoires françaises sur les onze dernières rencontres. Avec notamment un score sans appel de 28-9 en faveur des Bleus, il y a six mois environ.

Certains vont me dire que la coupe du monde, c’est pas les six nations. Exactement ! Parce qu’en coupe du monde, lors des matchs-couperets, il n’y a pas beaucoup plus dangereux qu’une équipe de France revancharde et remontée. Et remontés, ils le sont les Français ! D’abord contre eux-mêmes certainement, et puis sans doute contre ceux qui les voient déjà perdants samedi. Les Bleus sont toujours capables d’un exploit, c’est bien connu, mais depuis quand est-ce un exploit de battre le Pays de Galles ? Non, l’exploit de l’équipe de France, si exploit il doit y avoir, ce sera en finale…

Toutefois, rien ne serait plus déplacé que de sous-estimer ces Gallois. Ils sont à la portée des Bleus, mais ils sont quand même sacrément impressionnants. Leurs traditionnels points forts n’ont pas changé. Des passes. Beaucoup de passes. Des passes devant la défense. Des passes au contact. Des passes dans la défense. Des passes en avançant. Ou en reculant. Des passes toujours.

Mais cette vision stéréotypée n’est plus tout à fait vraie. Ou plutôt, la passion débridée des Gallois pour le jeu à tous crins a été canalisée par leur sélectionneur néo-zélandais et mise au service de l’avancée collective de l’équipe. D’ailleurs, en matière d’avancée justement, les Gallois sont en net progrès. Ils ont ajouté une dimension physique à leur palette ovale. Que ce soit en troisième ligne ou au centre, ils disposent maintenant de joueurs pénétrants, suffisamment puissants pour franchir et assez techniques pour assurer la continuité du jeu. Ajoutez à cela une défense de fer, fruit du travail avec un spécialiste converti du rugby à XIII. Puis versez encore une pincée de confiance et vous obtenez un mélange détonnant. Sans compter leur condition physique irréprochable qui les sert parfaitement dans leur volonté de produire du jeu.

Alors comment les prendre ?

Réponse facile, car il n’y a pas 36 solutions. Deux possibilités en fait: ou bien rivaliser et les surclasser, en produisant plus de jeu et plus de rythme (difficile à moins d’être les Blacks), ou au contraire les cabosser sur les fondamentaux. Le combat, la conquête, la défense… Dans ces secteurs, les Français ont prouvé face aux Anglais qu’ils étaient performants. Il faudra mettre les mêmes ingrédients samedi. Mais il faudra aussi et de nouveau faire preuve d’intelligence.

Car les Gallois sont toujours bien organisés dans la largeur du terrain. Et offensivement, leur jeu se nourrit avant tout de la capacité de jouer debout et de libérer rapidement les ballons. Les Français devront donc essayer de les resserrer en défense en leur imposant des phases de combat au près, sans tomber dans l’excès. Une bonne alternance du jeu sera indispensable, comme on l’a vue durant la première mi-temps du match contre les Anglais. Défensivement aussi il faudra essayer de fixer un maximum de joueurs gallois autour du ballon, afin de les priver des soutiens qu’ils ont habituellement autour du porteur.

A cet égard, la bataille de la troisième ligne pourrait être déterminante. Face au trio emmené par l’énoooorme Warburton, Dusautoir, Harinordoquy et Bonnaire devront nous sortir une prestation de gala. Au centre aussi, la tâche s’annonce ardue pour le duo Mermoz-Rougerie, car leurs vis-à-vis (Roberts et Davies) sont des clients comme on dit.

Mais attention, priver les Gallois de ballon ne veut pas dire que l’équipe de France devra prendre le jeu à son compte. Il ne semble pas qu’elle en soit capable pendant 80 minutes. Par contre, elle peut perturber le jeu de ligne des Gallois, au point que ceux-ci pourraient être amenés à tomber des ballons, faire des fautes et, en définitive, déjouer. Car la plus grande force des Gallois est aussi leur plus grande faiblesse. Ils aiment le jeu. S’ils sont mis en difficulté, il est fort à parier qu’ils se cantonneront à faire ce qu’ils savent… pour se rassurer. C’est-à-dire envoyer du jeu, même quand les conditions tactiques imposent peut-être d’autres solutions. Ce sont ces situations-là que les Français devront savoir exploiter. Surtout en contre-attaque, car le trio arrière bleu est capable de belles choses. Palisson, Clerc et Médard devront renouer avec la performance du week-end dernier.

En revanche, interdiction de baisser de régime cette fois-ci, car les conséquences risqueraient d’être fatales. Un gros point d’interrogation subsiste d’ailleurs en ce qui concerne Morgan Parra. Défensivement, il répondra présent sans aucun doute. En attaque, il fera son jeu, pas un jeu d’ouvreur, mais les Bleus ont trouvé des moyens pour le suppléer dans son rôle de meneur. La grande inconnue concerne surtout sa capacité de déplacer le jeu au pied, en fait sa non-capacité de déplacer … Samedi dernier, ce sont surtout Yachvili et ponctuellement Mermoz qui ont assumé ce rôle, puis Trinh-Duc lorsqu’il est entré en jeu. Si le besoin se fait sentir de se sortir de la pression par du jeu au pied long, les choses pourraient se corser …

L’issue du match n’en dépendra pas forcément, mais vu les forces actuelles de l’équipe de France, il est indéniable qu’il manque un vrai canonnier dans le XV de départ. Une chose toutefois plaide en faveur des Bleus. En effet, contrairement à ce que l’on avait pu penser avant le début de la compétition, ce n’est pas l’équipe qui tient le plus longtemps le ballon qui s’impose nécessairement. C’est plutôt l’équipe qui est la plus efficace dans son utilisation qui l’emporte … Et pour ce qui est de l’efficacité, les Bleus ont assurément des arguments à faire valoir.

Rendez-vous samedi matin …

Vern

France-Angleterre: le debriefing de Vern Crotteur

Vern a perdu son pari…

La  Boucherie retrouve son expert maison pour une analyse “à froid” du quart de finale. Si la victoire des Bleus réjouit le plus français des Kiwis, Vern nous rappelle quand même que tout n’a pas été parfait.

  • Alors Vern, surpris de la victoire des Bleus ?

–          Tout le monde savait que les Français étaient capables de battre cette équipe d’Angleterre, mais vu le contexte, je n’aurais pas parié dessus. Il y a eu une grosse mobilisation des Bleus autour de ce match. Le staff a pris du recul et a responsabilisé les joueurs, ce qui a été une bonne chose… ça a sans doute libéré les joueurs, et surtout, ça les a mis devant leurs responsabilités.

  •  Donc la victoire des bleus vous réjouit ?

–          D’un point de vue purement rugbystique, la victoire française est très positive, car le jeu anglais façon Martin Johnson, c’est quand même un retour en arrière. Si ce rugby-là avait été gagnant, cela aurait envoyé un très mauvais signal à travers le monde de l’ovale. Donc, ne serait-ce que pour ça, je suis ravi que les Français l’aient emporté, d’autant qu’ils ont pratiqué un jeu de mouvement très intéressant.

  •   En première mi-temps…

–          C’est vrai. Mais ce qu’il faut retenir, c’est qu’ils ont marqué sur leurs temps forts, chose qu’ils n’avaient pas faite contre les Blacks. Et c’est toute la différence.

  •  Pourtant l’entame a été difficile pour les Bleus.

–          Les premières minutes n’ont pas été à leur avantage. Ce n’était pas forcément une surprise. Par contre, ce qui m’a étonné, ce sont les choix de jeu des Anglais. Sur leurs premières actions offensives, j’ai tout de suite pensé dit qu’ils ne prenaient pas le match par le bon bout. Je dirais même qu’ils n’ont pas suffisamment respecté leur adversaire et que, contrairement à ce qu’ils ont laissé entendre, ils étaient convaincus d’être nettement supérieurs aux Bleus.

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  • Qu’est-ce qui vous fait dire cela ?

–          Ça a échappé à pas mal de monde, mais si les Anglais ont perdu, c’est aussi lié au fait qu’ils ont joué à l’envers pendant toute la première mi-temps. Sur leurs trois ou quatre premiers ballons d’attaque, dans les cinq premières minutes, ils ont écarté systématiquement le ballon jusque dans le couloir des 15 m, en essayant de prendre les Français sur du jeu au large, en première main…

  • C’était une erreur ?

–          Ce n’était pas une erreur en soi, car la situation de jeu permettait effectivement de jouer ainsi, mais c’est certainement une erreur quand on est anglais et que l’on joue face à la France. Si les Anglais avaient au contraire essayé de prendre le centre du terrain, d’enchainer les temps de jeu en avançant comme ils l’ont fait en deuxième mi-temps, ils auraient peut-être fini par faire craquer la défense française. Au lieu de cela, ils se sont précipités.

  • Vous croyez que cela a pesé dans la rencontre ?

–          En tout cas, les options de jeu anglaises ont permis aux Français d’échapper à des séances de pilonnage au près dès l’entame. Si les Anglais avaient fait preuve de plus de patience, en contrôlant le rythme de la rencontre et en imposant un gros combat devant, qui sait… Mais ils ne l’ont pas fait.

  • La défense française a été excellente aussi.

–          Il y a eu des placages déterminants, mais sans doute un peu plus tard. Bonnaire en particulier a été exemplaire tout au long de la rencontre. Mais ce qui a vraiment permis d’inverser la pression, c’est la touche. Les Anglais savaient que les mêlées seraient très disputées, mais ils comptaient beaucoup sur leur touche pour mettre les Bleus à la faute. Pendant les matches de poule, les Français n’avaient pas été très bons en contre. La rentrée d’Imanol a changé la donne. S’ajoute à cela le fait que Wilkinson n’a pas été très heureux dans son jeu d’occupation au pied.

  • La touche française est donc l’une des satisfactions de la soirée ?

–          En termes de statistiques, la touche française n’a été ni meilleure ni pire que lors des matches de poule, mais en revanche, elle a eu la capacité de gagner des ballons à des moments clés, que ce soit en attaque ou en défense. Avec deux spécialistes du saut (ndlr: Bonnaire et Harinordoquy) et un deuxième ligne capable de sauter en début d’alignement, les Français sont compétitifs dans ce secteur.

  • Dans l’animation offensive aussi, les Français ont été en progrès. Parra notamment a été très en vue.

–                 Il faut rester prudent. Parra a très bien joué le coup sur l’ essai de Vincent Clerc. Mais si vous regardez bien, c’est surtout sur des relances, après un ruck ou un maul, qu’il intervient en tant que premier attaquant, et dans ce cas, uniquement en tant que passeur ou relayeur, jamais pour attaquer la ligne ou pour fixer la troisième ligne adverse. En outre, sur les lancements de jeu, il ne joue pas ouvreur, mais se place dans la ligne, entre les centres, et c’est Mermoz ou l’ailier côté fermé qui intervient à sa place.

  • Pourquoi s’en priver, si c’est efficace ?

–                  C’est efficace, oui, dans la mesure où cela permet aux Bleus de créer plus d’alternance par rapport à des lancements classiques, joués autour du 10. Mais ce jeu dépend alors fortement de la capacité du 12 de suppléer l’ouvreur. Heureusement, Mermoz est en train de monter en puissance et il sert de pivot à l’attaque française sur pas mal d’actions. Il ne faut pas oublier non plus que les Anglais avaient aligné un pack très lourd et pas très mobile, de sorte que la ligne d’attaque bleue a assez bien fonctionné malgré l’absence d’un véritable 10. En revanche, face à une troisième ligne plus coureuse, le registre offensif limité de Parra risque de constituer un handicap.

  • En défense en revanche, Parra a fait une grosse partie.

–          C’est vrai qu’il a très bien défendu, pas forcément dans son couloir encore une fois, mais ses interventions ont toujours été tranchantes et il a beaucoup plaqué. Non, en défense, sa prestation a été bonne, mais par contre son jeu au pied a failli couter cher aux Bleus. En début de partie, son coup de pied sur la touche volée aux Anglais, à 5 mètres de l’en-but, permet de libérer le camp français. Mais le reste du temps, ce sont les coups de pied de Yachvili qui permettent aux Français de se libérer de la pression anglaise. Et en deuxième mi-temps, lorsque Parra a été repositionné à la mêlée, ses deux coups de pied par-dessus ont rendu la balle aux Anglais et sont directement à l’origine de l’un des deux essais. La différence avec Trinh-Duc est flagrante. Lorsque le Montpelliérain est rentré, son jeu d’occupation et son drop, même s’ils n’ont pas l’air de grand chose, ont peut-être permis aux Français de remporter le match finalement.

  • La deuxième mi-temps a été plus difficile pour les Bleus, à tous les niveaux.

–          Les Français remportent la première mi-temps sur le score de 16-0 et perdent la seconde 12-3, ce qui fait une grosse différence c’est vrai. Il y a deux explications à cela je pense. D’une part, les Anglais ont joué à l’envers en début de partie. En deuxième mi-temps, ils sont revenus à ce qui fait leur force. Avancer au centre du terrain, imposer un gros combat au près et ne déplacer le ballon sur les extérieurs que lorsque des surnombres ou des brèches ont été créées dans la défense. De plus, mentalement, les Français étaient passés en mode “défense”, c’est-à-dire défendre l’avantage acquis et essayer de jouer en contre. Le problème, c’est que les Bleus n’ont pu véritablement occuper le camp anglais au pied qu’à partir du moment où Trinh-Duc est entré en jeu.

  •  On n’a pas encore parlé de la mêlée.

–          Il y a eu du bon et du moins bon. En fait, la mêlée n’a pas eu de grosse influence sur l’issue du match, car on était en présence de deux packs très proches dans ce secteur. Les Anglais, avec un peu plus de masse et de puissance, les Français, plus techniques et meilleurs dans les duels entre premières lignes. Ça ne veut pas dire que la mêlée n’aura pas son importance lors des matches restants, mais que ce n’est pas sur cette phase que la victoire s’est construite samedi dernier.

  •  Qu’est-ce qui a fait la différence alors, en définitive ?

–                 Il y a toujours un facteur chance. Les Français résistent bien aux premiers assauts anglais et ils marquent le premier essai, ce qui a indiscutablement boosté leur confiance et semé le doute dans l’esprit des Anglais. Les Anglais ont tombé énormément de ballons aussi, et leur jeu au pied a souvent été approximatif. Je crois, quitte à me répéter, que les Anglais ont sous-estimé la réaction d’orgueil des Français. Après, à 16-0, c’est difficile de remonter un tel handicap, mais si on analyse le match à froid, il apparaît que tout aurait pu basculer jusque très tard en deuxième mi-temps. La défense française a bien résisté malgré tout, preuve que les Français étaient prêts mentalement. Surtout je crois aussi que l’expérience que certains joueurs apportent a joué un rôle non négligeable, face à des Anglais plus jeunes, malgré la présence de Wilkinson ou de Shaw par exemple.

  • Vous pensez à qui en particulier ?

–                  Harinordoquy, Dusautoir et Bonnaire, ainsi que Nallet, Rougerie ou Clerc par exemple.  Ils avaient certainement conscience qu’à moins de réagir, ils risquaient de revivre la déconvenue d’il y a 4 ans, amplifiée encore par le fiasco contre le Tonga.

  •  Retournement de situation incroyable donc, en une semaine.

–          L’équipe de France est toujours parvenue à relever son niveau de jeu lors des matchs-couperets, ce n’est pas nouveau. Tout le monde sait que les Français ne sont jamais meilleurs que lorsqu’ils sont au pied du mur, ça s’est encore vérifié samedi. Au-delà, je crois qu’il y a enfin eu ce déclic après le match du Tonga. Les joueurs semblent avoir pris leur destin en main. Le staff technique est encore là , mais ce sont les joueurs qui sont aux commandes.

Vern

France-Angleterre : sur un air de déjà vu

Vern nous parle de nos chers ennemis avant le Crunch…

À quelques jours du quart de finale qui va opposer les Bleus au XV de la Rose, Vern Crotteur se penche sur ce classique du rugby européen et mondial. Fini la rigolade, cette fois, ça va saigner…

Salut les Frenchies !

Alors, prêts pour samedi ? Les stats sont défavorables aux Bleus, mais peu importe. Cette fois, c’est quitte ou double, marche ou crève, ça passe ou ça casse. En tout cas, l’affiche me plaît. Le Crunch, c’est un peu la réédition annuelle de la Guerre de cent ans, revisitée avec un ballon ovale.

Ah les bons souvenirs de ces France–Angleterre d’antan… Qui n’a pas en mémoire ce terrible affrontement au Parc des Princes, lors du tournoi 1992 ? Match surréaliste, véritable œuvre de science-fiction… Déjà, en voyant les équipes arriver sur le terrain, on avait l’impression qu’on allait assister à une rencontre entre le XV de France pénitentiaire et la sélection des « Private schools » anglaises. Une opposition de styles illustrée à la perfection par les deux talonneurs. D’un côté, Brian Moore, avocat à la city de Londres en semaine et pit-bull aboyeur le weekend. De l’autre, Vincent Moscato, détenu à l’année au QHS de Bègles-Bordeaux et boite à gifles ambulante sur les terrains de rugby. Si le circuit international de la « World Wresling Federation » avait existé à l’époque, nul doute que l’on aurait proposé des contrats professionnels aux deux hommes… Le coupe-jarret de la Tamise contre le boucher de Gironde. Les foules auraient été déchaînées ! Dommage qu’en 1992, le match se soit fini en eau de boudin pour l’équipe de France, poussée à bout il est vrai par quelques psychopathes sadiques, porteurs du maillot à la Rose.

Mais ces temps de grand spectacle kafkaïen sont révolus. Quelque part, on se dit que c’est dommage, car c’est un pan de notre patrimoine rugbystique mondial qui s’est ainsi évanoui. Aujourd’hui, le rugby international est un produit aseptisé, homogénéisé et standardisé. Plus d’explications franches et viriles, entre hommes, quand l’arbitre a le dos tourné. Et même sans aller jusque-là, peut-on encore s’imaginer que les avants de l’équipe de France arrivent sur le terrain avec des maillots aux manches arrachées, histoire de faire ressortir leurs gros bras ? Bon, déjà, la question ne se pose pas, les maillots sont tellement moulants aujourd’hui. Et puis, c’est vrai, mutiler un maillot, ce n’est plus concevable, on risquerait de faire disparaître le logo du sponsor, ce serait trop moche vraiment.

Les Anglais pourtant semblent avoir conservé un certain nombre de traditions des temps anciens, mais uniquement en dehors du terrain. C’est sans doute la marque de leur attachement au folklore ovale. En tout cas, ils se sont bien amusés jusqu’à présent en Nouvelle-Zélande. Entre les soirées « lancer de nains » organisées par Mike Tindall, les beuveries orchestrées par les bad boys des lignes arrières, ou encore la séance d’humiliation d’une femme de chambre de leur hôtel (tiens, ça me rappelle quelque chose), les Rosbifs n’ont pas démérité. En observateur averti, je leur tire un grand coup de chapeau. L’esprit rugby n’est donc pas entièrement mort à l’ère du professionnalisme !

Autre ambiance en revanche dans le village de vacances de Takapuna, où la colonie animée par Marco a pris ses quartiers. Ici, on affiche officiellement une nonchalance et une décontraction toutes gauloises. Mais cette ambiance-là est feinte. Le contraste est saisissant avec l’hôtel d’Auckland où se sont installés les angliches… Là-bas, les éboueurs passent tous les matins pour vider les cannettes de bière qui s’empilent dans les poubelles. À Takapuna en revanche, Marco a dû refiler ses trois packs de bière au personnel de l’hôtel, car il n’a trouvé aucun joueur à qui les faire boire. Allez raconter ça à un Anglais, et il en avalera de travers son toast aux haricots, avant de vider d’un trait sa pinte de bière, pour se remettre du choc.

Bref, la France du rugby est tendue. Pas seulement l’équipe de France, non, tous les amateurs, fans et supporters, ceux qui ont fait le déplacement, comme ceux qui suivent les matches à la télé, en écoutant les ex-cel-lents commentaires de Christian Jean-Pierre, tellement enthousiaste qu’il en vient parfois à confondre foot et rugby, annonçant par exemple que la confrontation va être âpre pendant 90 minutes (si, si) ou que les 11 joueurs de l’équipe X ou Y sont prêts à recevoir le coup d’envoi (je sais, c’est malheureux).

Qu’est-ce qui attend les petits Bleus samedi ? C’est la question qui taraude un peu tout le monde. Et surtout, vont-ils nous sortir un « exploit » ? Le mot revient souvent dans les conversations. Quand on discute du match à venir, et de la façon de battre les Anglais, personne ne parle plus stratégie ou tactique. L’équipe de France et son prestidigitateur de coach n’en sont plus là, loin s’en faut ! Un vrai magicien ce Marco. Pas plus tard que la semaine dernière, il a encore fait la démonstration de son talent. Il a pris un demi de mêlée et hop, il l’a fait disparaître dans son chapeau et en a sorti un demi d’ouverture tout beau, tout neuf. Pareil quand on l’interroge sur le jeu de l’équipe. Là où d’autres coaches essaient d’embrouiller l’assistance avec des explications techniques obscures, qui feraient pâlir d’envie Villepreux, pourtant maître incontesté en élucubrations rugbystiques absconses, Marco, lui, se gratte le menton et se fend d’un simple « je ne sais pas ». De quoi clouer le bec aux plus velléitaires des journaleux présents.

Alors quand même le sélectionneur de l’équipe nationale ne sait plus où il en est, quoi de plus normal pour les supporters que de se tourner vers l’arme secrète, la botte imparable, la potion magique du rugby français en coupe du monde… j’ai nommé, l’exploit ! Car l’exploit est au rugby français ce que les apparitions de la Vierge sont à l’église catholique. Souvent conjuré, rarement vu, il n’en est que plus beau lorsqu’il se réalise enfin, c’est-à-dire en moyenne une fois tous les 8 à 12 douze ans. Contre l’Australie en 1987, puis contre les Blacks en 1999, et de nouveau contre ces mêmes Blacks en 2007. La logique métaphysique de cette croyance voudrait donc que 2011 soit une année de vaches maigres pour les Bleus. Merde, me direz-vous… et je serais plutôt d’accord.

Mais l’exploit étant par essence imprévisible, il serait vain de se baser sur sa fréquence passée pour calculer sa probabilité future. Donc, pourquoi ne pas y croire ? D’autant que les Anglais, soyons francs, c’est pas la Nouvelle-Zélande ou l’Australie non plus. Vrai. Il serait sûrement plus facile de les battre eux, plutôt que les deux géants du Pacifique. Faux. Parce que l’exploit dont la France est coutumière en Coupe du monde ne se réalise que quand on a vraiment affaire à des clients hors normes, des Jonah Lomu par exemple, ou un Daniel Carter.

Les Anglais, à part deux centres aux mensurations de frigo américain, qu’ont–ils d’hors normes ? Même Wilkinson est repassé du statut d’immortel, acquis lors de la coupe du monde 2003, à celui de simple surhomme, décerné par les timbrés de la rade de Toulon. En revanche, les Anglais ont une stratégie de jeu sophistiquée et bien huilée, dite du rouleau compresseur. Le terme n’est pas très élégant, c’est vrai, mais les résultats sont plutôt probants. Prenons d’abord le contre-exemple français, à titre comparatif. Les Bleus ont joué comme des merdes pendant 50 % à 100 % des matches de poule … et ils ont soit perdu, soit pris une flopée de points. Les Anglais aussi ont joué comme des bouses, mais ils ont toujours su résister à la pression adverse, sans se démonter, et ont persisté dans leur jeu unidimensionnel de prise du centre du terrain et de piétinement de l’adversaire lorsqu’il a un genou au sol. Résultat: quatre victoires en quatre matches et une confiance gonflée à bloc.

Difficile donc d’être optimiste pour la France. Mais comme chacun sait, impossible n’est pas français ! Face à ce XV de la Rose, il faudra toutefois mettre les mains dans le camboui, se la jouer pénible et ne pas hésiter à faire dans le brutal, bref, «les travailler en férocité», comme dirait  Raoul Volfoni. Et ce qui est certain aussi, c’est que les Bleus devront miser sur leur célèbre intelligence situationnelle, qu’ils considèrent sans doute comme l’arme du dernier recours, puisqu’ils ne l’ont pratiquement pas utilisée jusqu’à présent. Inutile d’aller taper sans arrêt dans le mur … Le rideau défensif anglais paraît solide. Du coup, au lieu de leur lire une lettre de Guy Moquet, Marco ferait bien de leur citer une autre réplique de film célèbre en guise de motivation : «Écoutez les gars, je crois qu’on a toujours le même problème, c’est-à-dire qu’on peut pas vraiment tout miser sur notre physique. Alors si je peux me permettre un conseil : oubliez que vous n’avez aucune chance, allez-y foncez, on sait jamais, sur un malentendu ça peut marcher».

Bonne chance pour samedi. Je vous soutiendrai à 200 %.

 Vern

France – Tonga : Vern Crotteur fait le bilan …

Vern est décidément le plus fort, il peut même analyser le néant.

Fidèle à ses principes sanglants, la Boucherie n’a pas peur de mettre le doigt là où ça fait mal, au cœur d’une équipe de France qui semble au bord de l’implosion. Avec notre Kiwi maison, retour sur le naufrage face au Tonga et présentation du quart de finale contre l’Angleterre.

–       Alors Vern, sous le choc vous aussi ?
–       Je préfère garder mon sens de l’humour. A posteriori je me dis que le
New Zealand Herald ne se sera trompé que d’une semaine. Ils avaient fait leur une sur « Une farce à la française », à l’annonce du XV de France appelé à affronter les Blacks. Mais la farce, c’est cette semaine qu’on y a assisté !


–      
Plus sérieusement, qu’est-ce qui s’est passé selon vous ?
–       Difficile de donner un éclairage de l’extérieur, quand même le sélectionneur de l’équipe de France déclare qu’il ne sait pas… Franchement, mieux vaut ne pas trop gamberger. Il reste une semaine pour préparer le match contre les Anglais, c’est à ça qu’il faut penser maintenant.


–      
Bon… on ne va pas refaire le match, mais peut-être que vous pouvez quand même nous en dire quelques mots.
–      C’est vraiment remuer le couteau dans la plaie … Sur le plan du jeu, la France a été inexistante, surtout en deuxième mi-temps. Il faut bien se dire que la note aurait dû être bien plus salée, si les Tonguiens avaient mieux exploité leurs chances. Déjà, ils manquent 12 points au pied et ils ratent au moins un essai tout fait. Et les Français marquent littéralement à la dernière seconde. C’est dire si l’écart entre les deux équipes a été énorme sur ce match. C’est surtout la façon dont la rencontre a été abordée sur le plan tactique et stratégique qui donne à réfléchir. Les Français ont eu un jeu d’occupation catastrophique, notamment en deuxième mi-temps. Au lieu de casser le rythme et de repartir par exemple sur des touches, où le maul français aurait éventuellement pu mettre à mal les Tonguiens, eh bien, la France a rendu les ballons à l’adversaire qui n’a pas manqué de les remonter à la main. Vous ajoutez à celà une défense beaucoup trop poreuse et mal organisée et vous avez déjà les ingrédients du fiasco de samedi.


–    
Mentalement non plus, les Français ne semblaient pas y être.
–       L’équipe n’a pas su se mobiliser autour de cette rencontre, c’est vrai. Les joueurs manquaient d’envie et certains ont peut-être sous-estimé l’adversaire. Pour autant, donner un spectacle aussi désolant, c’est indigne de l’équipe de France, sans vouloir manquer de respect aux Tonguiens. Et c’est ce qui me fait dire qu’il y a un profond malaise au sein du groupe. Tout le monde savait que ce serait un match pénible. Les Tonguiens étaient remontés, alors que les Français n’avaient besoin que d’un point pour se qualifier. C’est difficile de se motiver pour un tel match, même quand tout va bien par ailleurs.


–      
Mais tout ne va pas bien manifestement…
–       Non, tout ne va pas bien, c’est évident. En général, une équipe qui a confiance en ses moyens va laisser passer l’orage en se retrouvant sur ce qu’elle sait faire. Sur des choses simples, pour inverser la pression petit à petit. La défense d’abord, la conquête, le jeu au près ou les groupés pénétrants. Peu importe. Les Anglais en ont fait la parfaite démonstration contre l’Ecosse. Mais l’équipe de France n’a jamais eu ce sursaut d’orgueil collectif.  


–      
Comment expliquer cette faillite collective, alors que le staff annonçait l’équipe en progrès la semaine dernière ?
–       Je crois d’abord qu’il y a un énorme fossé entre les déclarations que les coachs font à la presse et la réalité interne de cette équipe. Mais les joueurs ne sont pas exempts de critiques, loin de là. Leur comportement sur le terrain a été déplorable. Quand on a vu le match, on ne peut qu’être frappé par les regards vides, absents. Certains joueurs avaient l’air perdu.


–      
La faute à qui ?
–       Evidemment, d’abord aux joueurs, qui ne sont manifestement pas entrés sur ce terrain avec le bon état d’esprit. Mais au-delà, le staff ne peut pas se cacher éternellement derrière les mêmes justifications et les mêmes excuses. Il y a des choix de jeu et de stratégie pour lesquels l’encadrement est directement responsable.


–      
Par exemple ?
–       Forcément, on pense tous à cette politique de rotation des joueurs, que le staff conçoit comme un facteur de motivation et de mise en concurrence. Et qui est en fait une politique de la carotte et du bâton, sans que les joueurs sachent toujours ce qu’on leur reproche, ni où ils se situent dans la hiérarchie interne du groupe. C’est extrêmement déstabilisant et démotivant pour ceux qui en font les frais.


–      
Marc Lièvremont mise sur l’homogénéité du groupe.
–       Peut-être qu’il est parti du constat que la France n’avait pas les moyens d’aller loin sans ménager certains joueurs. Il a certainement raison. D’autres équipes aussi ménagent leurs cadres. Mais le fait est que sur tous les paramètres de stabilité d’une équipe, l’encadrement a failli. Cette stabilité est pourtant essentielle durant une compétition telle que la coupe du monde.


–      
Pourtant, il a été dit à de nombreuses reprises que l’équipe gagnerait ou perdrait avec 30 joueurs, pas 15 ou 22.
–       Evidemment que c’est une bonne chose de maintenir la cohésion du groupe. Je note tout de même que certains passent une bonne partie des matches en tribune… Et surtout, les discours semblent changer d’un match à l’autre. C’est une cacophonie incompréhensible, dans la droite lignée de ce qu’on a vu pendant le tournoi. Il n’y a aucune épine dorsale dans cette équipe. L’axe 2-8-9-10-15 doit en être à sa 4
e reconfiguration en autant de matches de poule. Et il y a une instabilité chronique dans toutes les lignes arrières, alors même que le groupe est réduit à 30 joueurs et que les choix sont donc plus restreints encore que pendant le tournoi. La charnière est expérimentale, puisqu’on a reconduit Parra à l’ouverture. Il ne démérite pas peut-être, mais il n’est pas un ouvreur. Les centres ne jouaient que leur 2e match de compétition ensemble. Le trio arrière a été remanié une nouvelle fois lui aussi. Alors par la force des choses, il n’y a presque plus rien sur quoi les joueurs peuvent se retrouver collectivement, lorsqu’ils sont sous pression. Et ça, c’est la conséquence logique des errements du staff.


–     
Mais n’est-ce pas plus logique de sélectionner les joueurs en forme ?
–      Qu’est-ce que ça veut dire les joueurs en forme, quand la compo change d’un match à l’autre ? ça n’a pas de sens. Durant la phase de construction d’une équipe, évidemment, le coach peut faire tourner son effectif et donner aux joueurs “potentiels” l’occasion de s’exprimer. Mais ça fait tout de même 4 ans que ce staff est en place. A un certain moment, le boulot du coach c’est aussi de créer une hiérarchie au sein du groupe et d’assumer les choix ainsi faits. ça ne veut pas dire que la hiérarchie est immuable, mais on ne change pas d’un match à l’autre. Or Lièvremont n’a jamais vraiment fait de choix et ça a manifestement déstabilisé une partie de ses joueurs. Et surtout, il ne leur a jamais vraiment laissé l’occasion de jouer ensemble dans la durée, au niveau des 3/4. C’est extrêmement préjudiciable au rendement de l’équipe.


–    
Il a donc eu tort de baser sa sélection sur le niveau de forme des joueurs ?

–      L’erreur qui consiste à sélectionner les joueurs prétendument en forme, ou les meilleurs joueurs du moment, c’est que ça ne permet pas de sélectionner le groupe qui aura le meilleur rendement collectivement.  Une équipe ce n’est pas une somme d’individualités, ça se construit. Et ça ne peut se construire qu’à travers l’entrainement et le jeu.


–      
Est-ce que vous n’etes pas un peu dur avec le sélectionneur?
–       C’est peut-être dur, mais c’est la réalité des choses. Et ça n’est rien en comparaison des insanités qui seront déversées sur Marc Lièvremont dans la presse s’il se plante en quart de finale. Ça fait des semaines que certains fourbissent leurs armes dans les salles de presse. C’est dommage pour Marc, car c’est un homme entier et honnête. Mais face aux critiques pas toujours fondées des journalistes et du milieu du rugby aussi, je crois qu’il a fini par se couper de l’extérieur et s’enfermer dans ses certitudes, sans se rendre compte qu’il se trompait parfois. Maintenant, il est trop tard pour changer la donne. Il va falloir faire avec.


–      
Le staff aurait encouragé les joueurs à se prendre en main pour cette semaine de préparation avant les quarts de finale.
–       C’est peut-être ce qu’il y avait de mieux à faire. Quand le discours ne passe plus, quand le coach n’a plus l’adhésion des joueurs, mieux vaut prendre du recul et mettre les joueurs devant leurs responsabilités. Au moins, personne ne pourra plus se cacher. Il faut alors que les joueurs les plus expérimentés et le capitaine définissent la stratégie à adopter et battent ensuite le rappel des troupes.


–      
Vous y croyez ?
–       Mentalement, les Français seront prêts pour le combat, je n’ai aucun doute là-dessus. Mais je ne sais pas s’ils auront la confiance nécessaire pour tenir la route. Dans ce genre de confrontation, une équipe qui doute part avec un sérieux handicap. Et puis, il y a aussi la question de la composition de l’équipe. Qui va en décider ? Est-ce que le coach persistera dans certains choix, lui qui avait annoncé qu’il irait jusqu’au bout de ses convictions ?


–      
Vous pensez à quels postes ?
–       Evidemment, je pense d’abord au poste d’ouvreur. Lièvremont semble considérer Parra comme une alternative viable, ce qui n’est pas le cas. Il faut titulariser Trinh-Duc, sans quoi, le match est perdu. Maintenant, est-ce que Trinh-Duc est en mesure de se remettre psychologiquement d’applomb, je n’en sais rien. L’autre gros point d’interrogation concerne les centres. Rougerie est
out et Estebanez exclu. On va donc devoir changer, encore une fois.


–      
Mermoz-Marty ?
–       Il n’y a pas vraiment le choix. A moins que Lièvremont tente un nouveau coup de poker, titularise Parra en 10 et fasse jouer Trinh-Duc en 12. Mermoz glisserait alors en deuxième centre. Qui sait …


–      
Le centre du terrain devrait être un enjeu déterminant de cette rencontre.
–       Assurément. Les Anglais ont besoin de dominer dans ce secteur pour remporter le match. Ils ont des centres qui manoeuvrent très peu, font très peu de passes, mais s’ils rentrent dans la défense française et parviennent à assurer la continuité du jeu ou à mettre les Français à la faute, ce serait très très difficile de résister. Cette équipe d’Angleterre est un rouleau compresseur, il faut absolument l’empêcher d’avancer et surtout rivaliser dans les rucks. Défensivement, ce sera un tout autre match que contre les Blacks, où les Français avaient décidé de ne pas contester les ballons. Contre l’Angleterre, il faudra aller au charbon, sinon ils enchaineront au près, puis et écarteront les ballons d’une ou deux passes, lorsque le rideau défensif français sera plus clairsemé. C’est dans ces circonstances-là que leur trio arrière est le plus dangereux.


–      
Pourtant les Anglais n’ont pas vraiment convaincu jusqu’à présent eux non plus.
–       C’est vrai, mais ils ont gagné tous leurs matches et surtout, lorsqu’ils ont été mis en difficulté, par les Argentins et les Ecossais, ils n’ont jamais paniqué. Ils ont continué à faire leur jeu, en respectant leur « game plan » et ils ont fini par l’emporter en fin de match. C’est une équipe qui a confiance en ses moyens et, dans un match serré, il est peu probable qu’elle craque sous la pression.


–      
Mais il y a bien des points faibles dans cette équipe, non ?
–       Comme je le disais, leur jeu repose énormément sur l’ascendant qu’ils cherchent à prendre au centre. Si l’équipe de France parvient à les neutraliser dans cette zone, pendant 80 minutes, elle augmentera déjà nettement ses chances de succès. Ensuite, dans leur organisation défensive, les Anglais semblent plus fragiles en bout de ligne, il y aura surement des coups à jouer pour le trio arrière bleu.


–  
Il y a aussi la blessure de Wilkinson.
–    Pour l’instant, on ne sait pas exactement ce qu’il en est. Martin Johnson a défini une stratégie de jeu et Wilkinson y occupe une place prépondérante, notamment par sa capacité à déplacer le jeu au pied. Donc, s’il ne peut pas jouer, ce sera embêtant pour les Anglais. Mais ils feront alors rentrer Toby Flood, qui est plus dangereux ballon en main. Cela dit, peut-être que Martin Johnson va nous surprendre aussi … Car Tindall n’est pas tout à fait sûr d’être opérationnel contre la France.


–  
Quelle surprise peut-il y avoir ?

–    Les Anglais pourraient être tentés de refaire le coup de la demi-finale de 2003, où ils avaient sélectionnés Mike Catt en 12, alors qu’il avait été sur le banc depuis le début de la compétition. Il faut savoir que durant le tournoi 2002, la France et Serge Betsen en particulier avaient fait exploser les Anglais, en ciblant Wilkinson. Lors de la Coupe du monde 2003, les Anglais avaient retenu la leçon en titularisant un 12 capable de suppléer Wilkinson dans le jeu au pied. Et ça leur avait plutot bien réussi.


–  
Et en 2011, ils pourraient s’y prendre comment dans ce cas ?
–   En mettant Wilkinson à l’ouverture et Flood en 12. Tuilagi passerait second centre et Tindall serait sur le banc. Ce n’est pas impossible, car les Anglais sont conscients du danger que la troisième ligne française fait peser sur Wilkinson. Avec Bonnaire, Dusautoir et éventuellement Harinordoquy, les Bleus disposent d’une troisième ligne très mobile. Si elle parvient de neutraliser Wilkinson, la machine anglaise risque de se gripper. Donc l’hypothèse Wilkinson–Flood en 10-12 n’est pas à écarter, même si elle dépend aussi des blessures des joueurs.


–      
On n’a pas encore parlé du pack anglais.
–       Devant, les Anglais ont un problème en mêlée. En raison du forfait de Sheridan, c’est Stevens qui a été repositionné à gauche, mais c’est un droitier de formation et il a encore du mal à son nouveau poste. La troisième ligne aussi manque de mobilité et concède beaucoup de fautes au sol. La France devra essayer d’exploiter ces points faibles.


–      
La touche anglaise a souffert aussi contre les Ecossais…
–       C’est vrai qu’ils ont eu du mal, surtout en 1
e mi-temps, mais le contre écossais est l’un des plus performants en Europe, sinon dans le monde. Il faut donc relativiser. Les Anglais auront d’ailleurs un avantage de taille non négligeable au niveau des sauteurs. Personnellement, je crois même que leur supériorité dans ce domaine impose pratiquement la titularisation d’Imanol en 8, car les Français auront besoin de deux, sinon trois spécialistes du saut (ndlr : Bonnaire, Harinordoquy et Pierre). Sans compter qu’Imanol se transcende toujours lors des matches contre les Anglais. Et son expérience peut être précieuse aussi.


–      
Un pronostic peut-être pour finir ?
–     Je soutiendrai évidemment la France, mais sur ce qu’on a vu jusqu’à présent, c’est difficile de les voir gagnants. Mais avec la France, tout est possible…

Vern


Le dossier technique de Vern Crotteur : décryptage de la mêlée Black

Contrairement à ce qui avait été annoncé par les journaleux de la presse dite “sportive” (du dimanche), les Blacks n’ont pas hissé le pavillon blanc samedi, à l’heure des mêlées. En fait, c’est plutôt, la première ligne de playmobils français qui a souffert de la comparaison… Dans un premier temps du moins. Mais ce constat n’est pas une surprise pour notre consultant de luxe. Retour sur l’une des faces cachées du rugby.

Salut les Frenchies !

Certains d’entre vous ont été surpris de la puissance de la mêlée néo-zélandaise, samedi à l’Eden Park. Je pense par exemple à Pierre Chombier, pilier de l’US Combes-les-Roses, en 4e série, qui m’a écrit qu’il a failli tomber de sa chaise, sa Kanterbrau à la main, lorsque les Blacks ont vrillé la colonne de Ducalcon… Mais Pierre fait malheureusement partie de tous ces lecteurs fidèles aux grands quotidiens (ou bi-hebdomadaires) sportifs. A force de lire des conneries, forcément, on finit par les croire … Heureusement, les Blacks sont venus rappeler qu’ils n’étaient pas l’Australie, comme on a pu s’en rendre compte !
Il est vrai qu’en Nouvelle-Zélande, la mêlée n’a pas le prestige qu’elle a en France. Là-bas, on ne s’enflamme pas tellement lors des mêlées à cinq, point culminant de nombreuses rencontres du TOP 14, et point de départ de nombreuses bagarres des divisions inférieures. Ah les joies de la mêlée en championnat de France. Heureux ceux qui ont eu la joie de vivre en direct, de l’intérieur (“dans la cage” comme on dit), les aimables échanges de noms d’oiseaux et de marrons entre paquets adverses.
La richesse du vocabulaire rugbystique français atteste également l’importance qu’on accorde à la mêlée …Mêlées relevées, écroulées, tournées, mêlées qui font bouchon de champagne, piliers qui se retrouvent la tête dans le cul… Tordre son vis-à-vis, rentrer en travers, rentrer au casque, en bélier … Autant d’expressions truculentes et gauloises, qui traduisent la prédilection particulière de l’Hexagone pour cette phase de jeu.

Au pays des Blacks en revanche, on a une autre approche, moins folklo certes, mais tout aussi efficace. Car les Blacks ont bien compris, à la différence des Wallabies, qu’une mêlée de qualité était indispensable pour rivaliser avec les poids-lourds de l’hémisphère nord. Explications…

Petit retour en arrière

La prise de conscience remonte à une époque où le Super 14, qui était alors le Super 12, ressemblait davantage à une NBA-bis qu’à une grande compétition de rugby. Des scores fleuves, avec des avants et des 3/4 interchangeables, annonciateurs d’un nouveau rugby plus spectaculaire et ayant fait l’impasse sur les moments ennuyeux tels que la conquête, en particulier la mêlée. Ne manquaient plus que quelques efforts, quelques aménagements de la règle, et le raccord aurait été fait avec le jeu à XIII et sa mêlée de pacotille.

Heureusement, les Coupes du monde 1999 et 2003 sont passées par là. Ébahis, les supporters des Blacks, puis des Wallabies, ont découvert face à la France et l’Angleterre ce que c’était un véritable paquet d’avants et une mêlée conquérante. Taine Randell, par exemple, capitaine des All Blacks de 1999, a ainsi passé six mois dans un sanatorium privé pour se remettre du traumatisme qu’avait provoqué sa rencontre fortuite avec Franck Tournaire, par un après-midi d’octobre 1999, dans la banlieue de Londres.

Après avoir remisé à la casse la presque totalité de leurs piliers (en plastique trempé), les Blacks et les Wallabies se mirent donc en quête de nouvelles solutions. Mais les choix qui ont été faits par les deux grandes puissances du Pacifique sont diamétralement opposés.
Partant d’un constat d’impuissance (en Australie, les piliers sont presque autant menacés d’extinction que les Aborigènes), les Wallabies ont décidé de faire plus ou moins l’impasse sur la mêlée, en se disant qu’en trichant et en truquant, ça finirait par passer. Cette stratégie, dite du kangourou sauteur (car il évite ainsi les obstacles placés sur sa route), a plutôt bien marché… jusqu’à la sortie prématurée des Australiens, lors de la coupe du monde 2007, broyés en mêlée par des Anglais sûrs de leur force.
Les Néo-Zélandais en revanche ont choisi une autre voie, plus en accord avec leur identité rugby : innovation, pragmatisme et excellence technique. La classe quoi…
Dès 2004 donc, la fédération néo-zélandaise a fait appel à Mike Cron, l’homme qui allait révolutionner la mêlée Black. Et ceux qui ont bonne mémoire (c’est-à-dire tous ceux qui n’appartiennent pas à la rédaction du Merdol) se souviendront sans doute de ce match de novembre 2006, lorsque les Blacks avaient littéralement atomisé les Bleus, au score et en mêlée.

Une mêlée d’un type nouveau

Cette date a une importance symbolique toute particulière : les joueurs et le staff tricolore découvraient en effet une mêlée d’un type nouveau, face à laquelle ils n’avaient pas su trouver de réponse. Enfin pas de réponse valable, puisque Bernie, alias le Kaiser, alias le Dingue, s’était lancé dans une allocution d’anthologie à la mi-temps, menaçant de faire égorger jusqu’à la troisième génération toute la descendance des piliers français, s’ils continuaient à reculer. Mais rien n’y a fait. Un vent de panique a soufflé sur l’équipe de France et son staff ! Avec la coupe du monde 2007 qui approchait, il fallait absolument rivaliser dans ce secteur pour espérer battre les Blacks.

Toute la saison 2006/2007 fut donc consacrée à l’analyse de la mêlée néo-z. Nombre de techniciens fédéraux bossèrent sur la question. Les stagiaires BE2 furent mis à contribution, de même que la dame pipi de Marcoussis, qui dut un jour mettre en place le joug du CNR à elle toute seule. Et les nuits de Bernie se peuplèrent de cauchemars dans lesquels Mike Cron, le grand gourou de la mêlée Black, venait prendre le rôle de Freddy, des Griffes de la nuit.
Il faut dire que Cron n’avait pas fait les choses à moitié ! En s’inspirant notamment d’autres disciplines sportives, telles que le football américain et le sumo (si, si, c’est vrai), et en se fondant sur des études en biomécanique sportive (sérieux, ça existe), Cron avait mis au point une mêlée qui allait à l’encontre de tout ce qui se pratiquait jusqu’alors. De quoi donner le tournis à des générations de premières lignes du pays basque et de rendre fou (si ce n’était déjà fait) les vieux grognards du RCT ou les frères Rapetou du CABB.
Baptisée “méthode d’impact total” (déjà le nom n’est pas drôle), cette technique se caractérise surtout par un inversement de la séquence d’entrée en mêlée. Traditionnellement, c’était le talonneur ou le pilier droit qui déclenchait le mouvement vers l’avant, ou vers le haut, ou vers le bas, plus rarement vers l’arrière, quoique… Les anciens de la confrérie des premières lignes se souviendront certainement avec émotion de la position plus ou moins inconfortable dans laquelle ils étaient avant l’entrée en mêlée (ou en bélier). Imaginez-vous accroupi, à rester en équilibre tout en contrecarrant la pression exercée par vos deuxièmes lignes. C’est un peu comme se pencher sur des chiottes à la turc et se retenir de chier, quand on a la diarrhée.

Mais rien de scatologique dans la mêlée façon Mike Cron, qui avait conclu que la séquence d’entrée devrait se faire de l’arrière vers l’avant, afin d’assurer une bonne synchronisation de la poussée et de garantir une puissance d’impact maximale. Et accessoirement la relâcher la pression exercée sur les sphincters des piliers.
C’est donc le numéro 8 qui va déclencher le mouvement d’entrée en mêlée. Jusqu’au commandement de l’arbitre, le 8 retient ses deuxièmes lignes, au lieu de pousser déjà à leur cul. Les deuxièmes et troisièmes lignes ailes, eux, retiennent les premières lignes, qui sont les seuls à être déjà en équilibre avant, prêts à se laisser littéralement propulser vers l’adversaire. Au commandement de l’arbitre, le 8 déclenche vers l’avant et le bloc deuxième ligne + troisième ligne va propulser les piliers et le talonneur vers la première ligne d’en face, en un mouvement unique, bien synchronisé.

Impact maximal

Cette technique garantit une force d’impact maximal à l’entrée en mêlée et elle évite ces mouvements de vagues et d’ondulations que l’on voit parfois lorsque les joueurs du paquet d’avants ne rentrent pas simultanément en mêlée.
L’autre avantage, c’est que cette mêlée permet de devancer souvent l’adversaire dans la prise de la ligne de remise en jeu, véritable ligne d’avantage de la mêlée fermée. Pris à l’impact, n’ayant pas eu le temps de se mettre dans une position de poussée idéale, l’adversaire est obligé de reprendre ses appuis dès l’introduction du ballon… autrement dit, l’adversaire est “mort” avant même que le ballon ne soit remis en jeu.
Enfin, dernier avantage, et non des moindres, cette façon de prendre l’ascendant sur la première ligne adverse garantit généralement qu’on va pouvoir leur marcher sur la gueule, les piétiner façon bétail, ce qui met du baume au cœur à tout pilier qui se respecte.

Un temps d’adaptation

Après le traumatisme de novembre 2006, il a fallu plusieurs mois à l’équipe de France pour mettre au point des parades à cette domination néo-zéalandaise. Bernie en particulier a dû passer des somnifères aux calmants, des calmants aux tranquillisants et des tranquillisants à la cocaïne, qu’il ne prend aujourd’hui plus que très occasionnellement, quoique depuis son arrivée dans la “rade”, les dealers de La Ciotat seraient apparemment en rupture de stock.
En tout cas, le fait est que les parades trouvées en 2007 sont encore valables aujourd’hui. Et le travail effectué par le seul vrai technicien compétent dans l’entourage de l’équipe de France, à savoir Marc, euh non, Emile, euh non, Didier, oui c’est ça, Didier, ce travail a permis aux Bleus de neutraliser partiellement l’avantage que les Blacks avaient pris.

On l’aura compris, la force de la mêlée Black, cela s’est encore vérifié samedi dernier à l’Eden Park, c’est sa vitesse d’entrée et sa puissance d’impact. Pour les contrecarrer, il est notamment indispensable de rivaliser avec eux sur l’anticipation du commandement d’entrée. Interdiction de se faire prendre de vitesse par les néo-zélandais qui se mettent toujours à la limite de la faute, par rapport au moment exact du commandement de l’arbitre. Mais plus facile à dire qu’à faire, de mauvaises langues prétendent même que les Blacks anticipent aussi souvent le commandement de l’arbitre que McCaw se met hors jeu dans les regroupements.

Toutefois, si le duel pour la prise de la ligne de remise en jeu est gagné, ou s’il se solde par un match nul, on est déjà dans de bien meilleures conditions pour rivaliser et surclasser les Néo-zélandais. C’est alors qu’intervient l’une des forces de la mêlée française, à savoir la capacité des piliers de manœuvrer leur adversaire direct. La morphologie du pilar hexagonal est souvent sa meilleure arme… Entre Pyrénées et Massif central, on n’a peut-être pas de golgoth à la sud-af, mais des formats plus réduits, costauds et roublards, dont le grand Alfred Roques, alias le pépé du Quercy, est sans doute l’un des précurseurs. La force de ces piliers là, c’est lors des duels avec leur vis-à-vis qu’elle se déploie et c’est ainsi que se décide l’issue de la mêlée.

Autre facteur déterminant pour perturber la mêlée black… la fatigue. La mêlée néo-zéalandaise mise en effet beaucoup sur son dynamisme et elle a tendance à s’émousser au fil du match. Toute équipe qui parvient donc à rivaliser en début de rencontre, même sans dominer, a de bonnes chances d’améliorer sa performance, à mesure que le temps avance. Illustration parfaite lors du match de samedi, puisque la mêlée française a su absorber la pression mise à l’impact par les Blacks, pour ensuite inverser progressivement la tendance, jusqu’à devenir dominante en fin de rencontre (il est vrai que l’entrée de la Buche a sans doute joué un rôle non négligeable).

Enfin, si la mêlée est avant tout question d’impact et de synchronisation, d’autres éléments entrent aussi en ligne de compte. Difficile à croire quand on n’y connait rien, mais la mêlée est en fait un travail de précision, d’orfèvre… Les vieux piliers aux oreilles en chou-fleur, généralement avares de paroles, se muent souvent en véritables moulins à paroles quand il s’agit d’évoquer les détails de cette phase de jeu. Comment tordre son vis-à-vis sans écrouler la mêlée, comment s’engager sous le sternum de l’adversaire et lui écraser la cage thoracique, comment faire bouffer l’herbe au talon d’en face. Bref, les nuances et les finesses ne manquent pas. Cantonnons nous à ce qui reste dans les limites de la légalité, pour n’aborder que les liaisons entre coéquipiers de première ligne, et notons dans ce domaine que les Blacks cherchent généralement à exercer une pression égale sur toute la largeur de la mêlée, alors que d’autres équipes préfèrent parfois concentrer la pression en un point précis (habituellement le talonneur, qui agit comme un coin que l’on enfonce dans l’édifice adverse).

No scrum, no win…

Vous l’aurez compris, les affrontements en mêlée entre la France et la Nouvelle-Zélande constituent un peu une opposition de styles. Il y a plusieurs façons d’être efficace… Ce qui reste cependant incontournable, c’est qu’il n’y a pas de salut sans bonne mêlée. No scrum no win, disent les Anglais. En fait, ils disent pas du tout ça, encore une invention d’un journaliste hexagonal mal informé (ou mal intentionné), mais peu importe, on saisit le sens. Pourtant, là aussi, les avis divergent. C’est quoi avoir une bonne mêlée ? Est-ce qu’il faut être totalement dominateur dans ce secteur, ou simplement être en mesure de gagner confortablement ses ballons et de pouvoir mettre l’adversaire sous pression, au moment voulu ? Comme toujours, la vérité est sur le terrain… Et pour l’instant, dans le secteur de la mêlée au moins, aucune équipe n’est sortie clairement vainqueur du match de samedi dernier.

France–All Blacks : le debriefing de Vern Crotteur

Vern répond aux questions d’un journaliste plus compétent que Denis Brogniart.

Pressenti initialement comme consultant sur TF1, c’est finalement avec la Boucherie Ovalie que l’illustre Vern Crotteur s’est engagé à l’occasion de cette Coupe du monde. Retour sur le match de samedi avec le technicien néo-z, qui nous livre son verdict sur la prestation des Bleus.

Tout d’abord Vern, en quelques mots, comment résumez-vous la prestation du XV de France, samedi face aux Blacks ?

Au-delà du résultat, je crois que les Bleus peuvent avoir quelques regrets, car le score ne reflète pas entièrement la physionomie de la rencontre. En termes de possession et d’occupation, le bilan est beaucoup plus équilibré. Mais le fait est que contre cette équipe des Blacks, chaque erreur se paie cash.

Tout n’est donc pas si noir pour les Bleus ?

Non, il y a des motifs de satisfaction et d’espoir pour l’équipe de France. Physiquement, la France a su rivaliser avec les Blacks qui ont mis beaucoup d’intensité dans le combat, notamment les phases de ruck. Les Bleus ont souffert, mais sans jamais baisser les bras. Je crois d’ailleurs que les joueurs avaient besoin de se rassurer sur ce plan. Donc, à part quelques reculades spectaculaires, mais anecdotiques, les Français ont toujours répondu présents. Même en milieu de première période, où on pouvait craindre le pire, ou lors de cette mêlée a cinq mètres, vers la 50e minute. C’est je crois très positif pour les Bleus, qui tireront certainement davantage d’enseignements de ce match que les Blacks.

Pourtant la production offensive française n’a pas permis de mettre en danger les néo-zélandais.

Il est vrai que les Français ont marqué sur un contre et sur une pénalité rapidement jouée, et non sur du jeu construit. Ils se sont nourris d’une erreur ou de l’inattention de leurs adversaires. Mais c’est une marque de fabrique de ce XV de France, qui est plutôt une équipe de “coups” et de contres. Elle a dû mal à scorer sur ses temps forts. Le manque de repères et d’automatismes des lignes arrières y est certainement pour quelque chose, mais il faudra maintenant faire avec et adapter toute la stratégie française à cet état de fait. Cela dit, on a vu tout de même une production offensive très intéressante pendant les dix premières minutes. Et si Damien Traille avait marqué l’essai à la 5e minute, le match aurait peut-être été différent.

Vous croyez que la France aurait pu remporter la rencontre ?

Non, les Blacks étaient incontestablement plus forts et ont affiché une grande maîtrise et beaucoup de sang-froid. Mais les Français auront sans doute beaucoup appris de cette rencontre, notamment sur les erreurs à ne pas commettre s’ils veulent avoir une chance de remporter la finale qui pourrait encore les opposer aux Blacks.

Précisément, les erreurs françaises, ont été nombreuses en défense.

Oui, elles ont été nombreuses, mais ne sont pas seulement le fait des joueurs qui les ont commises. En fait, elles se situent à deux niveaux. D’une part, il y a ce que l’on voit sur le terrain. Des erreurs individuelles, parfois grossières, qui aboutissent à des essais. Mais si l’on pousse plus loin l’analyse, on se rend compte que ces erreurs résultent en partie d’une mauvaise stratégie défensive, d’un alignement défaillant en touche ou tout simplement du bricolage qui a été fait par rapport à la charnière. C’est alors la responsabilité du staff qui est engagée, pas seulement celle des joueurs.

Qu’est-ce que vous entendez par là ? Trois des essais résultent simplement de placages ratés …

Les placages ratés, c’est ce qu’on voit à la télé. Et il y en a eu beaucoup au cours des 30 premières minutes, mais personnellement, j’y vois d’abord le résultat d’un schéma défensif naïf et inadapté au jeu des Blacks.

C’est-à-dire?

C’est-à-dire que les Bleus ont commencé par défendre tel que cela avait déjà été annoncé dans la presse tout au long de la semaine: en poussant les Blacks vers les extérieurs, afin de les éloigner sans doute de la zone supposément faible du 10. Cette stratégie n’a pas fait long feu, pour plusieurs raisons. D’abord parce que les extérieurs sont des points forts des Blacks. Ensuite parce qu’en chassant vers les extérieurs, les défenseurs sont plus vulnérables à des contre-pieds, surtout lorsqu’ils font du travers au lieu de monter d’abord et de glisser ensuite. Quand on connaît la qualité d’appuis des ¾ néo-z, on se dit que c’était suicidaire. De plus, comme les Blacks sont parvenus à sortir assez rapidement les ballons des rucks, les Français ont souvent été en retard dans le replacement défensif ou au contraire ils ont anticipé la circulation du ballon, ce qui a créé des fissures dans le rideau défensif bleu. Enfin, il convient de noter que le staff avait décidé de doubler le couloir défensif de Parra à l’aide d’un troisième ligne, ce qui a encore aggravé les problèmes défensifs, puisque les Français ont été obligés de se dégarnir ailleurs et qu’ils ont malgré tout été pris en défaut dans la zone du 10.

Y avait-il une alternative ?

Oui bien sûr. Et c’est cette solution-là que les Bleus ont adoptée à partir de la 23e minute. Malheureusement, ils étaient déjà menés 19-0 et le match était plié. Mais à partir de ce moment-là, les défenseurs bleus sont venus couper les extérieurs et sont montés de façon beaucoup plus agressive pour se placer sur la trajectoire du ballon. C’est ce qui annihile plusieurs offensives néo-z et cela amène aussi l’essai de Maxime Mermoz.

Tout de même, sur le premier essai, ce n’est pas l’organisation défensive qui est en faute.

Le premier essai résulte d’une accumulation d’erreurs, elles aussi liées à une mauvaise organisation défensive. C’est d’abord Papé qui se décale et laisse filer Weepu à son intérieur. Ensuite Picamoles et Bonnaire ne montent pas non plus et attendent les Blacks tout en chassant vers la touche. Du coup Nonu prend le trou et les deux défenseurs français ratent leur placage. Et enfin, il y a Clerc qui, s’il était monté en pointe, aurait pu empêcher l’essai. Il faut savoir que les Blacks, comme les Australiens, attaquent souvent sur deux lignes. Si la défense se laisse fixer par la première ligne, elle laisse beaucoup trop d’espaces à la seconde, qui peut alors manœuvrer librement. C’est pour cela que les Français auraient dû monter beaucoup plus vite en défense, et envoyer un « parasite » sur la deuxième ligne d’attaque Black, dès lors qu’il n’y avait pas un trop grand surnombre pour les néo-z. Il a fallu que les Bleus prennent trois essais avant de s’adapter.

Pourtant les deuxièmes et troisièmes essais sont tout à fait différents l’un de l’autre.

La situation de jeu est différente oui, mais les Français sont encore dans un schéma défensif très attentiste, où ils ne montent que lentement et glissent simplement sur les extérieurs. C’est particulièrement vrai du troisième essai où Ducalcon se fait prendre sur un simple crochet intérieur, parce qu’il est déjà en train de coulisser au lieu d’aller chercher le porteur de balle.

– Et le second essai ? Erreur individuelle ou problème d’organisation aussi ?

Les deux. D’ailleurs cet essai est particulièrement rageant pour les Français je trouve, car j’ai l’impression que le staff n’a pas bien fait ses devoirs et n’a pas tiré les enseignements des erreurs passées. Quand on dit à ses joueurs qu’à haut niveau, il faut tendre vers l’excellence, il faut faire pareil en tant que coach.

Le staff responsable du second essai ? Mais ce sont les joueurs qui sont sur le terrain, pas les entraîneurs …

Le deuxième essai black me rappelle pourtant curieusement le premier essai que les Australiens avaient marqué contre la France en novembre dernier, au stade de France. La seule différence était que les Australiens avaient fait une passe de plus, puisque c’est leur ouvreur qui fait jouer l’ailier à son intérieur. Mais l’organisation défensive française en touche avait été exactement la même et elle avait commis exactement la même erreur. Je suis certain que Graham Henry et ses assistants ont pris bonne note de ce point faible, qui n’a pas été corrigé depuis novembre 2010.

Quel serait donc ce point faible ?

Le fond de l’alignement français est composé d’un seconde ligne, d’un troisième ligne et du talonneur, qui est en fait verrouilleur. Dusautoir lui, est placé en relayeur. Dans les deux cas, contre l’Australie en novembre comme contre la Nouvelle-Zélande samedi, le relayeur (ndlr : Dusautoir) a dépassé la ligne du ballon et a voulu se placer dans le couloir du 10. Il s’est donc retrouvé en avance sur le ballon, alors que le verrouilleur était en retard ou s’est laissé fixé par le porteur. Il s’agit d’erreurs individuelles certes, mais elles sont favorisées par le mode d’organisation choisi en touche et par le type de montée défensive. D’autant que de placer un talonneur et un deuxième ligne en bout d’alignement ne favorise pas forcément une circulation rapide vers la zone de franchissement et n’est vraiment pas une garantie face à des joueurs explosifs et forts sur les appuis. Face à des adversaires plus modestes, cela ne prête peut-être pas à conséquence, mais face aux Blacks ou aux Wallabies, ça ne pardonne pas, car ils ont des schémas de jeu très précis, qui leur permettent d’exploiter ces failles individuelles ou structurelles.

Les schémas de jeu, justement parlons-en, côté français. Comment jugez-vous la prestation de Parra pour sa première titularisation à l’ouverture ?

Parra s’en sort plutôt bien, si l’on tient compte du contexte et de l’adversaire. Mais il n’est pas un ouvreur non plus. Défensivement, il a été courageux, ne s’est jamais échappé et a même eu une ou deux interventions décisives. Mais il a fallu l’épauler aussi tout au long du match, ce qui a créé des problèmes en défense.

Et offensivement ?

Offensivement, c’est un peu pareil. Il a animé dans un certain registre, celui du passeur relayeur, mais il n’a jamais vraiment pesé sur la défense. Il n’a pas attaqué son couloir de jeu et a toujours joué très loin de la ligne, ce qui laissait aux Blacks le temps de s’organiser. En outre, sur les lancements de jeu, les Français ont dû recourir à certains subterfuges pour éviter que Parra ne soit trop sous pression. Ils ont joué en pivot autour de Mermoz, avec l’ailier fermé en leurre dans le couloir du 10, mais comme Parra était trop loin de la ligne, ça n’a pas servi à grand-chose. Et ça a monopolisé des joueurs français qui ont manqué ailleurs dans la ligne d’attaque.

Le jeu d’attaque français semble toujours être en chantier. Que manque-t-il donc aux Bleus pour être efficace dans ce secteur ?

Le manque d’automatismes et de repères communs est certainement préjudiciable à l’équipe, car l’équilibre au centre (avec Mermoz et Rougerie) n’est pas mauvais, et le triangle d’attaque arrière a des qualités. Mais au-delà des joueurs et du manque de temps de jeu, il est évident que l’équipe de France est trop prévisible sur les lancements de jeu, qui n’induisent presque jamais de déséquilibre et obligent ensuite les Français à batailler dur pour avancer au près et recréer du mouvement. C’est notamment lié au fait que les Bleus ont apparemment abandonné l’idée d’attaquer la défense dans le couloir du 10, en particulier sur des lancements après touche. Les ballons sont systématiquement écartés, ce qui facilite grandement le travail des défenseurs. Ça s’est encore vérifié samedi, où les défenseurs blacks arrivaient souvent avant les soutiens offensifs français. Ce manque d’incertitude sur la zone de franchissement et cette incapacité des Français de fixer un maximum de défenseurs dans la zone du 10 explique en partie les difficultés qu’ils rencontrent ensuite pour sortir rapidement les ballons. D’où aussi le manque de soutiens offensifs autour du ballon, lors des séquences ultérieures. On a là l’illustration qu’à ce niveau de compétition, il est indispensable de pouvoir peser sur la défense dans toute la largeur du terrain. Il faut avoir un 10 capable d’attaquer la ligne, avec des joueurs dans son dos capables de franchir dans cette zone.

Donc c’était une erreur de titulariser Parra à l’ouverture ?

Je ne sais pas si c’était une erreur. À partir du moment où le coach avait décidé qu’il fallait changer d’ouvreur, il n’y avait pas vraiment le choix. Mais ce qui est sûr c’est qu’il aurait fallu jouer différemment avec deux demis de mêlée dans le XV de départ. La titularisation de Parra aurait pu se comprendre si on avait voulu dynamiser le jeu français autour des regroupements par exemple. Yachvili et Parra interchangeables en quelque sorte, se partageant éventuellement chacun un côté du terrain et alternant les relances à la main auprès des avants, le jeu de ¾ et le jeu au pied court. Au lieu de cela, Parra a essayé de jouer comme un véritable ouvreur. C’est dommage, parce qu’on a vu pendant les dix premières minutes qu’une bonne alternance du jeu aurait pu déstabiliser les Blacks. Je trouve que Yachvili a d’ailleurs très bien abordé la rencontre, notamment dans son jeu au pied. Dommage que ses efforts n’aient pas été récompensés.

La mêlée française a rencontré quelques problèmes en revanche.

L’entame des deux mi-temps a été difficile pour les Français c’est vrai, mais ils se sont bien repris par la suite. C’était prévisible dans une certaine mesure. Les Blacks ont une mêlée qui met énormément de pression à l’impact. Quand ils sont frais, ils sont très forts. Mais au fil du match, les Français sont parvenus à inverser la tendance en les travaillant dans les duels entre piliers. Et ça s’est vérifié encore davantage avec la rentrée de Servat, qui fait certainement du bien aussi dans ce secteur.

Globalement, vous semblez trouver la prestation des Français plutôt correcte, on dirait. 

Je crois que l’ampleur du score empêche certains observateurs d’analyser objectivement la rencontre. C’est pareil d’ailleurs du côté des Blacks. Ils avaient à cœur de laver l’affront de Cardifff. C’était une question de fierté nationale. Ce score de 37-17 réjouit évidemment tous les Néo-Zélandais, mais je crains qu’ils ne soient bien moins confiants si ces deux équipes devaient se retrouver lors de la finale début octobre.

Vous pensez donc que c’est encore jouable pour l’équipe de France ?

Oui, si les Bleus parviennent à gommer les erreurs individuelles et à améliorer leur organisation collective, surtout en défense. Mais d’abord, il faudra encore battre le Tonga, ce qui ne sera pas une partie de plaisir. Maintenant tout va dépendre aussi de l’état d’esprit du groupe. Une défaite comme celle de samedi peut permettre d’avancer. Ou au contraire, si l’atmosphère n’est pas sereine ou s’il y a des tensions préexistantes, la performance peut s’en ressentir. Mais cela, il est impossible d’en juger de l’extérieur.

Propos recueillis par les envoyés spéciaux de la Boucherie au « Takapuna Bar » d’Auckland, quartier général de VErn Crotteur pendant la coupe du monde.

NDLR : la rédaction de la boucherie refuse toute responsabilité pour les propos tenus par Vern Crotteur, en raison de l’état d’ébriété avancée du technicien néo-z durant cet entretien …

Les Bleus peuvent-ils battre les Blacks samedi … ou au moins les accrocher ?

Notre Kiwi préféré nous livre les clefs du match contre les Blacks.

Salut les Frenchies,

Alors, ça va ? Vous vous morfondez déjà à l’idée de voir votre équipe fétiche passer à l’abattoir, samedi à l’Eden Park ? C’est vrai qu’en voyant la énième surprise abracadabrantesque que nous a sortie Marco, le gentil animateur de colonie de vacances en périple dans l’hémisphère sud, on serait tenté de se fourrer la tête dans le sable et d’attendre le carnage à venir. Parra à l’ouverture ? Et pourquoi pas Nallet en premier centre ? Mais, pas si vite … Il y a eu un truc la semaine dernière, non ? Y a pas un gros kangourou jaune et vert qui s’est fait écorcher en se frottant à un Trèfle plutôt piquant ?

Du coup, l’Ovalie se remet à espérer, même si certains se demandent déjà s’il ne vaudrait pas mieux faire l’impasse sur le match de samedi, histoire de se ménager une suite de parcours plus facile. Question théorique et dangereuse, car jouer à 50 % contre les Blacks, c’est se condamner à prendre une raclée, puis à devoir enchaîner un match piège contre le Tonga, dans des conditions physiques et mentales difficiles, pour aller ensuite affronter l’Angleterre (qui a quand même un taux de succès de 75 % contre la France en CDM). Ce qui peut paraître a priori comme un parcours plus facile l’est donc beaucoup moins dans la pratique. Mieux vaut oublier cette hypothèse. Pour la France, l’idéal serait sans doute de perdre le match sur un score serré, avec moins de 8 points d’écart par exemple, histoire d’empocher le bonus défensif. Ou même de remporter la rencontre, ce serait sacrément bon pour le moral des troupes et ça libèrerait des énergies pour la suite de la compétition. La question est donc simple, comment battre ou au moins accrocher ces Blacks, afin de sortir du terrain la tête haute, dans l’attente d’éventuelles retrouvailles début octobre … Ce qui est certain, c’est que ce sera très, très dur à l’Eden Park, car les Blacks sont bien déterminés à marquer leur territoire et à faire oublier l’humiliation de Cardiff.

Première condition donc pour oser espérer une bonne perf samedi: il faudra savoir défendre, beaucoup défendre, bien défendre, mais pas que défendre … Si les Français cherchent à rééditer l’exploit de Cardiff de 2007, en arrêtant vague après vague d’assauts néo-z, autant le dire de suite, ça ne marchera pas et au final, le XV du coq risque de prendre la marée. À ce titre, la titularisation de Parra à l’ouverture est un pari risqué, car les Blacks, et en particulier leurs troisièmes lignes et leur premier centre (Nonu ou SBW) vont venir le chercher, le petit Morgan. Le staff dit de Parra qu’il est courageux, tant mieux, car du courage, il en aura besoin pour plaquer à tour de bras. Il faudra peut-être resserrer le dispositif défensif autour de lui par moments, mais pas trop non plus, pour ne pas laisser d’espace ailleurs. La troisième ligne française est d’ores et déjà appelée à réaliser un match d’anthologie …

Autre élément défensif indispensable dans une stratégie “anti-black”, ne pas laisser Carter prendre le jeu à son compte. L’ouvreur des Crusaders est certainement le meilleur du monde lorsqu’il est en forme, mais il n’a pas été au mieux dernièrement. Et il revient d’ailleurs de blessure. Il sera sans doute moins affûté, moins tranchant peut-être, que lors de ses précédentes confrontations avec les Bleus. En tout cas, moins il aura de temps et d’espace pour manœuvrer, moins les Blacks seront efficaces. Si l’on ajoute à cela le fait que le poste de demi de mêlée est une faiblesse (toute relative) de cette équipe néo-z, la conclusion logique serait d’imposer une pression de tous les instants sur cette charnière. Les avants français auront fort à faire et devront véritablement se surpasser pour rivaliser dans les zones de ruck, afin de ralentir les relances, de pourrir les ballons et d’en grappiller éventuellement quelques-uns.

Mais c’est aussi au centre du terrain qu’il faudra peser. Les Blacks chercheront à prendre les intervalles, ou à fixer les défenseurs français au milieu du terrain – par des courses en leurre et/ou une double ligne d’attaque -pour mieux les déborder sur les extérieurs. Une montée défensive très agressive sera donc nécessaire pour couper les espaces et placer des joueurs français sur la trajectoire du ballon, que ce soit pour empêcher du jeu au large ou pour parasiter les passes après contact. Aurélien Rougerie en particulier aura un rôle crucial à jouer dans ce domaine.

Ce n’est que si le dispositif défensif français tient le choc, que les Bleus pourront espérer quelque chose. Évidemment la météo aura son importance aussi, et des conditions pluvieuses favoriseront sans doute les Bleus, mais les Blacks sont l’équipe la plus complète de ce tournoi sur le plan technique. Même lorsque le ballon est glissant, ils font peu d’en avants. Donc, il ne faudra pas compter seulement sur l’étanchéité de la muraille bleue ou sur un ciel capricieux, non, il faudra aussi produire du jeu. Aïe … problème.

Problème, mais pas tant que ça non plus, car au-delà des carences affichées lors de ses deux premières sorties, l’EDF apparaît comme une équipe de contre, opportuniste, capable de marquer très rapidement sur des “coups” ou des ballons de récupération. Vu que les Blacks prendront le jeu à leur compte, ce n’est pas plus mal. Les Français devront toutefois réagir sur le moindre ballon récupéré et exploiter au mieux ces possibilités de marque. En outre, il convient de noter que les Blacks ont concédé un nombre dantesque de pénalités lors des rencontres contre le Tonga et le Japon. Un Parra ou un Yachvili en forme mondiale sera donc tout aussi indispensable pour les Bleus qu’une défense imperméable et un froid réalisme en attaque.

Enfin, il y a quelques failles dans l’armure néo-z, failles qui ne sont pas toutes apparues jusqu’au présent. D’une part, comme les Tonguiens l’ont montré, il y a peut-être des coups à tenter au près, surtout à proximité de la ligne d’en-but … Avis aux Servat, Nallet et autres Swarzewski ! En mêlée fermée aussi, les Bleus seront peut-être capables de mettre la pression … Avec Alain Rolland comme arbitre, si l’EDF prend l’ascendant, elle bénéficiera certainement de quelques pénalités en sa faveur.
Mais l’autre point faible, celui qui n’a pas été mis en évidence par les adversaires précédents des Blacks, c’est le placement défensif, notamment en bout de ligne, sur du jeu au pied de récupération. Une bonne alternance dans ce domaine, avec différents types de coups de pied, que ce soit du Yach, de Parra ou de Traille, fournira sans doute quelques bonnes munitions aux Bleus.

Enfin, s’il faudra épauler Parra en défense, il faudra aussi lui faciliter la tâche dans l’animation offensive. Autant Rougerie sera crucial pour anihiler les offensives Black dans la largeur du terrain, autant Mermoz devrait être amené à assumer un véritable rôle de “second cinq-huitième”, façon néo-z, si l’on veut éviter que Parra se prenne trop systématiquement une rafale, ballon en main. Sur les premiers temps de jeu, on peut ainsi imaginer que l’EDF cherche parfois à jouer en pivot autour de Mermoz, Parra servant alors de relai entre le 9 et le 12, ou de leurre en cas de passe sautée. Il est vraisemblable également que l’ailier français côté fermé (en particulier Clerc), soit appelé ponctuellement à attaquer le couloir du 10 adverse dès le lancement, en lieu et place de Parra. Une telle alternance du jeu au niveau du premier attaquant, si l’EDF parvenait à la mettre en place, pourrait se révéler intéressante. Elle nous changerait en tout cas des lancements téléphonés dont les Bleus nous gratifient depuis trop longtemps, ou des attaques individuelles de Trinh-Duc qui a trop tendance à aller défier tout seul lorsque le lancement est mal amorcé.

Pour le reste, l’EDF n’aura pas droit à l’erreur. La conquête devra être propre. Le contre en touche devra être performant et la conservation du ballon devra être à son meilleur niveau. À ce titre, le fait d’associer le Yach et Parra à la charnière permettra peut-être de dynamiser les relances françaises, encore trop lentes lors des dernières rencontres. C’est un peu un retour à l’ère Laporte, avec Parra dans le rôle d’un Merceron bis, polyvalent à la mêlée et à l’ouverture. Pour autant, il ne faudra pas tomber dans un jeu stéréotypé, caractérisé par le séquençage habituel: attaque au centre du terrain, relance au près par les gros, retour source puis relance au large avec triplette arrière intercalée et éventuellement jeu au pied de récupération … Mais finalement, si tout le reste fonctionne à peu près bien, ce ne sera déjà pas si mal d’enchaîner ces quelques temps de jeu, encore et encore … et encore. Au bout de quatre-vingt minutes, en s’accrochant bec et ongles, tout est possible.

Vern