France-Angleterre : sur un air de déjà vu
par Vern Crotteur

  • 06 October 2011
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À quelques jours du quart de finale qui va opposer les Bleus au XV de la Rose, Vern Crotteur se penche sur ce classique du rugby européen et mondial. Fini la rigolade, cette fois, ça va saigner…

Salut les Frenchies !

Alors, prêts pour samedi ? Les stats sont défavorables aux Bleus, mais peu importe. Cette fois, c’est quitte ou double, marche ou crève, ça passe ou ça casse. En tout cas, l’affiche me plaît. Le Crunch, c’est un peu la réédition annuelle de la Guerre de cent ans, revisitée avec un ballon ovale.

Ah les bons souvenirs de ces France–Angleterre d’antan… Qui n’a pas en mémoire ce terrible affrontement au Parc des Princes, lors du tournoi 1992 ? Match surréaliste, véritable œuvre de science-fiction… Déjà, en voyant les équipes arriver sur le terrain, on avait l’impression qu’on allait assister à une rencontre entre le XV de France pénitentiaire et la sélection des « Private schools » anglaises. Une opposition de styles illustrée à la perfection par les deux talonneurs. D’un côté, Brian Moore, avocat à la city de Londres en semaine et pit-bull aboyeur le weekend. De l’autre, Vincent Moscato, détenu à l’année au QHS de Bègles-Bordeaux et boite à gifles ambulante sur les terrains de rugby. Si le circuit international de la « World Wresling Federation » avait existé à l’époque, nul doute que l’on aurait proposé des contrats professionnels aux deux hommes… Le coupe-jarret de la Tamise contre le boucher de Gironde. Les foules auraient été déchaînées ! Dommage qu’en 1992, le match se soit fini en eau de boudin pour l’équipe de France, poussée à bout il est vrai par quelques psychopathes sadiques, porteurs du maillot à la Rose.

Mais ces temps de grand spectacle kafkaïen sont révolus. Quelque part, on se dit que c’est dommage, car c’est un pan de notre patrimoine rugbystique mondial qui s’est ainsi évanoui. Aujourd’hui, le rugby international est un produit aseptisé, homogénéisé et standardisé. Plus d’explications franches et viriles, entre hommes, quand l’arbitre a le dos tourné. Et même sans aller jusque-là, peut-on encore s’imaginer que les avants de l’équipe de France arrivent sur le terrain avec des maillots aux manches arrachées, histoire de faire ressortir leurs gros bras ? Bon, déjà, la question ne se pose pas, les maillots sont tellement moulants aujourd’hui. Et puis, c’est vrai, mutiler un maillot, ce n’est plus concevable, on risquerait de faire disparaître le logo du sponsor, ce serait trop moche vraiment.

Les Anglais pourtant semblent avoir conservé un certain nombre de traditions des temps anciens, mais uniquement en dehors du terrain. C’est sans doute la marque de leur attachement au folklore ovale. En tout cas, ils se sont bien amusés jusqu’à présent en Nouvelle-Zélande. Entre les soirées « lancer de nains » organisées par Mike Tindall, les beuveries orchestrées par les bad boys des lignes arrières, ou encore la séance d’humiliation d’une femme de chambre de leur hôtel (tiens, ça me rappelle quelque chose), les Rosbifs n’ont pas démérité. En observateur averti, je leur tire un grand coup de chapeau. L’esprit rugby n’est donc pas entièrement mort à l’ère du professionnalisme !

Autre ambiance en revanche dans le village de vacances de Takapuna, où la colonie animée par Marco a pris ses quartiers. Ici, on affiche officiellement une nonchalance et une décontraction toutes gauloises. Mais cette ambiance-là est feinte. Le contraste est saisissant avec l’hôtel d’Auckland où se sont installés les angliches… Là-bas, les éboueurs passent tous les matins pour vider les cannettes de bière qui s’empilent dans les poubelles. À Takapuna en revanche, Marco a dû refiler ses trois packs de bière au personnel de l’hôtel, car il n’a trouvé aucun joueur à qui les faire boire. Allez raconter ça à un Anglais, et il en avalera de travers son toast aux haricots, avant de vider d’un trait sa pinte de bière, pour se remettre du choc.

Bref, la France du rugby est tendue. Pas seulement l’équipe de France, non, tous les amateurs, fans et supporters, ceux qui ont fait le déplacement, comme ceux qui suivent les matches à la télé, en écoutant les ex-cel-lents commentaires de Christian Jean-Pierre, tellement enthousiaste qu’il en vient parfois à confondre foot et rugby, annonçant par exemple que la confrontation va être âpre pendant 90 minutes (si, si) ou que les 11 joueurs de l’équipe X ou Y sont prêts à recevoir le coup d’envoi (je sais, c’est malheureux).

Qu’est-ce qui attend les petits Bleus samedi ? C’est la question qui taraude un peu tout le monde. Et surtout, vont-ils nous sortir un « exploit » ? Le mot revient souvent dans les conversations. Quand on discute du match à venir, et de la façon de battre les Anglais, personne ne parle plus stratégie ou tactique. L’équipe de France et son prestidigitateur de coach n’en sont plus là, loin s’en faut ! Un vrai magicien ce Marco. Pas plus tard que la semaine dernière, il a encore fait la démonstration de son talent. Il a pris un demi de mêlée et hop, il l’a fait disparaître dans son chapeau et en a sorti un demi d’ouverture tout beau, tout neuf. Pareil quand on l’interroge sur le jeu de l’équipe. Là où d’autres coaches essaient d’embrouiller l’assistance avec des explications techniques obscures, qui feraient pâlir d’envie Villepreux, pourtant maître incontesté en élucubrations rugbystiques absconses, Marco, lui, se gratte le menton et se fend d’un simple « je ne sais pas ». De quoi clouer le bec aux plus velléitaires des journaleux présents.

Alors quand même le sélectionneur de l’équipe nationale ne sait plus où il en est, quoi de plus normal pour les supporters que de se tourner vers l’arme secrète, la botte imparable, la potion magique du rugby français en coupe du monde… j’ai nommé, l’exploit ! Car l’exploit est au rugby français ce que les apparitions de la Vierge sont à l’église catholique. Souvent conjuré, rarement vu, il n’en est que plus beau lorsqu’il se réalise enfin, c’est-à-dire en moyenne une fois tous les 8 à 12 douze ans. Contre l’Australie en 1987, puis contre les Blacks en 1999, et de nouveau contre ces mêmes Blacks en 2007. La logique métaphysique de cette croyance voudrait donc que 2011 soit une année de vaches maigres pour les Bleus. Merde, me direz-vous… et je serais plutôt d’accord.

Mais l’exploit étant par essence imprévisible, il serait vain de se baser sur sa fréquence passée pour calculer sa probabilité future. Donc, pourquoi ne pas y croire ? D’autant que les Anglais, soyons francs, c’est pas la Nouvelle-Zélande ou l’Australie non plus. Vrai. Il serait sûrement plus facile de les battre eux, plutôt que les deux géants du Pacifique. Faux. Parce que l’exploit dont la France est coutumière en Coupe du monde ne se réalise que quand on a vraiment affaire à des clients hors normes, des Jonah Lomu par exemple, ou un Daniel Carter.

Les Anglais, à part deux centres aux mensurations de frigo américain, qu’ont–ils d’hors normes ? Même Wilkinson est repassé du statut d’immortel, acquis lors de la coupe du monde 2003, à celui de simple surhomme, décerné par les timbrés de la rade de Toulon. En revanche, les Anglais ont une stratégie de jeu sophistiquée et bien huilée, dite du rouleau compresseur. Le terme n’est pas très élégant, c’est vrai, mais les résultats sont plutôt probants. Prenons d’abord le contre-exemple français, à titre comparatif. Les Bleus ont joué comme des merdes pendant 50 % à 100 % des matches de poule … et ils ont soit perdu, soit pris une flopée de points. Les Anglais aussi ont joué comme des bouses, mais ils ont toujours su résister à la pression adverse, sans se démonter, et ont persisté dans leur jeu unidimensionnel de prise du centre du terrain et de piétinement de l’adversaire lorsqu’il a un genou au sol. Résultat: quatre victoires en quatre matches et une confiance gonflée à bloc.

Difficile donc d’être optimiste pour la France. Mais comme chacun sait, impossible n’est pas français ! Face à ce XV de la Rose, il faudra toutefois mettre les mains dans le camboui, se la jouer pénible et ne pas hésiter à faire dans le brutal, bref, «les travailler en férocité», comme dirait  Raoul Volfoni. Et ce qui est certain aussi, c’est que les Bleus devront miser sur leur célèbre intelligence situationnelle, qu’ils considèrent sans doute comme l’arme du dernier recours, puisqu’ils ne l’ont pratiquement pas utilisée jusqu’à présent. Inutile d’aller taper sans arrêt dans le mur … Le rideau défensif anglais paraît solide. Du coup, au lieu de leur lire une lettre de Guy Moquet, Marco ferait bien de leur citer une autre réplique de film célèbre en guise de motivation : «Écoutez les gars, je crois qu’on a toujours le même problème, c’est-à-dire qu’on peut pas vraiment tout miser sur notre physique. Alors si je peux me permettre un conseil : oubliez que vous n’avez aucune chance, allez-y foncez, on sait jamais, sur un malentendu ça peut marcher».

Bonne chance pour samedi. Je vous soutiendrai à 200 %.

 Vern