Abats d’idées #1 : Non, le rugby c’était pas mieux avant (2/2)
par Ovale Masque

  • 10 October 2013
  • 67

 

Hier, Aguiléra nous expliquait son ras-le-bol et son désinterêt pour ce qu’est devenu le rugby. Un point de vue qui a fait réagir et qui semble partagé par pas mal de monde, à lire les commentaires sous l’article. Néanmoins, nous souhaitions vous proposer un point de vue contraire : celui des sales gosses de la Boucherie, Ovale Masqué, Damien Try et Pilou. Nés dans les années 80, à l’époque où Serge Blanco rentrait encore dans du L, ces vilains garnement sont agacés par ce discours passéiste largement répandu. Avec leur style de punks à chien et une bonne dose de mauvaise foi, ils vous affirment donc en un pavé pourquoi NON, le rugby c’était pas mieux avant.

Et vous, vous êtes dans quel camp ?

 

La réponse d’Ovale Masqué, Damien Try et Pilou

 

Le cinéma, c’était mieux avant. La musique, c’était mieux avant. La météo, c’était mieux avant. C’est vrai que la nostalgie, c’est tentant. Moi aussi parfois je regrette le temps où je découvrais à peine le plaisir coupable de la masturbation, quand je tenais mon pénis entre mes mains tremblotantes, hypnotisé par ce sympathique barbu nommé Corbier qui jouait si bien de la guitare dans le club Dorothée. Ah qu’est-ce que j’aurais aimé m’asseoir sur ses genoux ! A l’époque, tout semblait plus simple, plus vrai, plus authentique. Même le rugby, tiens. Ben oui, tout le monde le sait, tout le monde le dit : le rugby est malade, le rugby prend le chemin du foot, ce voisin qu’on peut pas pifrer, mais à qui on aimerait quand même un peu ressembler. On en a plus pour longtemps.

Ce discours, certains en font même leur fond de commerce, comme notre ami le rédacteur en chef du Midol, Jacques Verdier. Véritable Jean-Pierre Pernaut du ballon ovale, ce brave Jacques a signé au moins 992 ouvrages intitulés « Le bon rugby d’antan », « Les héros mythiques du temps de jadis », « Ah c’était bien» ou encore « Avant, quand c’était pas comme maintenant ». En fait c’est assez facile, tu parles d’un vieux match au hasard, genre le match France – Pays de Galles de 1887 au stade de Colombes, puis tu fais un peu de name-dropping avec des noms qui sentent bon le cliché sépia, comme Philippe Dintrans, Robert Paparemborde ou Didier Codorniou. Même ceux qui étaient pas là seront impressionnés.

Vous remarquerez d’ailleurs qu’il utilise exactement la même méthode pour faire son édito du Midol tous les lundis. En fait, il est très probable que ce mec n’ait plus rien écrit depuis 30 ans. Peut-être même qu’il est mort. Il a sans doute construit un générateur qui pond des éditos automatiquement. Un peu comme ce bon vieux Pierre Villepreux qui recycle depuis 30 ans son seul et unique point de vue sur le jeu : « Faire des pafffes, ffff’est bieng », dans un français suffisamment alambiqué pour réussir à cacher qu’il est approximatif.

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Bô gosse. 

 

Mais revenons à notre sujet. Pour moi qui n’ai que 25 piges, et pour qui le nom Codorniou évoque plus une marque de saucisson qu’un joueur de rugby, je me pose la question : c’est vrai ça, c’était mieux avant ? Difficile de répondre, surtout quand on n’était pas là avant, justement.

A mon âge, je peux quand même dire que je me rappelle avoir toujours entendu des buteurs se faire siffler, dans presque tous les stades de France. Je me rappelle même avoir vu le Stadium de Toulouse huer le haka des Fidjiens lors de la Coupe du Monde 1999, c’est dire. J’ai aussi assisté à l’émergence du Stade Français, avec son président et ses joueurs qui se faisaient traiter de mercenaires et de grosses pédales par tous ces gardiens auto-proclamés des Valeurs ©, qui tentaient de nous expliquer que l’esprit « rugby » c’était un truc qui n’avait rien à faire à Paris.
Tout ça c’était bien avant la Chabalmania et le jambon Madrange, bien avant Mourad le Millionnaire et le Jacky Lorenzetti Show. Avant que les trois quarts de l’équipe de France ne deviennent des bodybuilders plus doués pour vendre des slips et des calendriers que pour jouer des deux contre un.

 

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Après 2h de lecture, faîtes une petite pause. 

 

Alors quand je mets le nez dehors pour faire semblant d’avoir une vie sociale et que je croise le vieux soulard du PMU du coin, je lui pose la question, puisque lui, il était là à l’époque. Souvent il me raconte ses glorieux faits d’armes dans le rugby amateur d’antan… Et ça ressemble plus au discours d’un vétéran du Vietnam qu’à l’éloge d’un sport formidable censé réunir les peuples. Il me parle, certes, de camaraderie, de l’école de la vie, tout ça, mais aussi de rivalités féroces, de coups d’envoi donnant lieu à une bonne générale de 10 minutes, de mêlées relevées à grand coups de manchons dans la poire et de mecs qui venaient tâter du ballon juste parce qu’il n’y avait pas de Fight Club ouvert dans la région et qu’il fallait bien trouver quelque chose pour se défouler.
Finalement, à ce niveau-là, c’est peut-être un peu mieux maintenant, non ? Au moins maintenant quand un mec casse délibérément le bras de son adversaire sur le terrain, il se prend 32 semaines de suspension (même lorsqu’il est anglais) et peut tranquillement réfléchir à sa reconversion dans le combat de rue.

Quand je me regarde un vieux match sur ESPN, je ne suis pas sûr non plus que le jeu se soit tant appauvri comme certains l’affirment. Certes, les essais de légende qu’on se passe en boucle sur Youtube ont VRAIMENT existé, mais avec un montage vidéo habile, même moi je peux faire passer David Marty pour Conrad Smith. En dehors de ces belles actions, on a le droit à 12 minutes de temps de jeu effectif, 80 en-avant par match, des piliers qui avaient peur du ballon et des générales toutes les 15 minutes. J’appelle ça des matchs de Promotion Honneur et je ne vous ai jamais vu baver devant Entente Sportive Baronies – US Saultoise.
Les matchs mythiques sont rarement à la hauteur de leur légende et au final, pour tenir le match en entier, je suis obligé de picoler deux fois plus que devant le dernier Biarritz – Connacht. Je vous invite d’ailleurs à (re-)lire cet épisode du Sociologue du Rugby pour vous en convaincre.

 

Boucherie

 Ah, le charme du #Rugbydavant 

 

Alors effectivement, comme le dit Aguiléra, de nos jours, les supporters sont globalement tous des gros cons et c’est inquiétant. On peut d’ailleurs légitimement se poser la question : apprécient-ils le spectacle ? Regardent-ils vraiment le match – après 4 heures d’apéritif ? J’en viens à penser que pour le supporter moderne, le stade, c’est avant tout l’exutoire de ses tensions, de ses passions non assouvies et de ses frustrations latentes.
Et puis est venu Internet… En vrai, les supporters de rugby sont encore généralement sympas et même après une défaite, y’a moyen de discuter et de partager une ou deux bières. Devant un écran, c’est autre chose. L’anonymat et la protection devant son clavier permettent au plus gros abruti de dire les pires conneries, j’en sais quelque chose. Suffit de parcourir Rugbyrama ou la page Facebook du Rugbynistère pour avoir envie de se crever les yeux avec des clous rouillés trempés dans de la sauce harissa.

C’est le concours de bite permanent : mon club joue mieux, mon club a le meilleur public, mon club a formé plus de joueurs français, toi tu recrutes que des mercenaires, ton club est protégé par les arbitres, la mafia Serge Blanco, les Francs-Maçons et les animaux préhistoriques partouzeurs de droite, blablabla. Et ce généralement dans un français digne d’un tweet de Frédéric Michalak (du temps où c’était encore lui qui tenait son compte). Forcément, plus un sport est populaire et médiatisé, plus ça fait d’abrutis potentiels dans les tribunes, mais j’ai quand même l’impression qu’on n’a pas eu besoin d’attendre la professionnalisation du rugby pour trouver des connards incapables de se rappeler deux minutes que le rugby n’est qu’un jeu. L’arbitre ne dira pas le contraire. Difficile, en effet, d’ignorer une tradition centenaire au cours de laquelle un pauvre type, facteur ou employé de banque la semaine, se fait conspuer à la chaîne par une bande d’ivrognes, toujours mieux informés (c’est bien connu, tous les supporters connaissent parfaitement les règles) et toujours mieux placés (c’est vrai qu’on voit mieux du haut des gradins qu’à côté des joueurs, sur le pré).

Grâce ou à cause d’internet, ils ont juste une tribune en plus pour se lâcher et dans celle là, la bière n’est pas à 6 € le gobelet, ils en profitent allègrement. Faut-il vraiment y prêter attention ? Jusque-là, je n’ai vu personne se ramener avec une barre de fer dans un stade. Le seul délinquant à avoir causé des troubles lors d’un match de rugby récemment, il s’appelle Lucien Harinordoquy.

On parle aussi de sport qui devient aseptisé. Mouais. En même temps, on remarquera que ce sont encore et toujours ces fameux gardiens des Valeurs © et du rugby à l’ancienne qui viennent nous casser la couille parce que Delon Armitage a fait « coucou » à Brock James en finale de H-Cup. Il a fait coucou, quoi ! Moi quand je jouais au rugby, j’entendais les piliers inviter leurs mères respectives à venir participer à des soirées bukkake dans une cave. En comparaison « coucou » je trouve ça quand même relativement gentillet comme chambrage. Et puis quand on y regarde de plus près, on trouve encore de sacrés belles anomalies dans le rugby.

Pascal Papé, par exemple. Suffit de voir une de ses interviews dans le Midol : le mec parle sans aucun filtre, il dit ce qu’il pense, balance sur tout le monde, parfois avec un bon sens assez surprenant. Quand on voit ce grand rouquin à l’air ahuri, qui ressemble un peu au grand frère attardé qu’aurait pu avoir le serial killer Dexter, on se demande  s’il est complètement con ou si c’est un pur génie. Probablement un peu des deux. Et ce mec-là, c’est le capitaine du XV de France ! Et je suppose que s’il croise un conseiller en comm’ un jour, tout ce qu’il aura envie de faire, c’est de lui envoyer un bourre-pif.

Rien que le fait qu’un mec comme Julien Caminati puisse encore exister de nos jours me fait dire que le rugby n’a pas tant perdu que ça son côté amateur et foutraque. Papounet Harinordoquy, déjà cité, est un autre exemple : dans quel autre sport aurions-nous pu voir ça ?

 

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Lulu, rugbystar. 

 

D’ailleurs les gros clubs ne sont pas en reste : on fait souvent des Toulonnais les grands méchants de l’Ovalie, mais il suffit de les suivre un peu sur Twitter, de les voir se déguiser en travelo, se tirer dessus avec des pistolets à billes et poster leurs photos de cuite pour constater qu’ils ont presque tous 14 ans d’âge mental et qu’ils sont parfois loin d’avoir l’air de vrais professionnels. Vous imaginez le scandale que ça ferait, des footballeurs se permettant ça ? Chez les Pousses-Citrouilles, si t’as le malheur de te faire prendre en photo en boîte à 5h du mat’ avec une cagole, t’es un branleur et une racaille de banlieue. Pour un rugbyman par contre, c’est normal, tu peux même poster les photos et t’en vanter. Parce que c’est l’esprit 3ème mi-temps, c’est les Valeurs ©, c’est la base. Donc non : le rugby est encore un sport à part.

Puis tous ces Toulonnais dégénérés, pour des soi-disant mercenaires, je les trouve encore 100 fois plus humains et marrants que certains robots programmés pour répéter en boucle le discours de leur coach, comme on en voit dans certains clubs. Boudjellal est peut-être un provocateur parfois pas très fin et une grosse enflure de capitaliste à la con qui prend la vie pour un album Panini géant, mais le fait est que le mec est passionné, il aime le rugby, il aime sa ville, il a envie de faire plaisir aux gens. S’il voulait juste se faire de la tune, je suppose qu’il aurait continué à éditer des ouvrages philosophiques visant à éduquer les masses comme la série « Les Blondes ».

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Celle-ci d’image Panini, tu l’auras pas Mourad !

 

Quant à savoir si lui et ses potes les présidents nouveaux riches sont en train de tuer le rugby… Si je ne me trompe pas, ils font ce que les règles leur permettent, non ? Des règles instaurées justement par les fameux gardiens des Valeurs ©, non ? Ils veulent gagner, c’est bien normal, ils ont pas investi des fonds pour jouer contre La Villa en Gregory Lemarchal Challenge Cup. Si la FFR veut protéger l’Equipe de France, qu’elle ponde un vrai salary cap comme on en voit dans les sports américains ou dans le championnat anglais, pas une mesurette obscure qui est juste là pour se donner bonne conscience. Ou bien qu’elle s’inspire du système des internationaux sous contrat fédéral – mais bon ça va coûter cher, apparemment la fédé préfère garder ses ronds pour organiser des banquets et bâtir des grands stades à 50km de Melun, chacun ses priorités hein.

Sans parler de la Ligue qui va gueuler parce que son championnat sera peut-être moins spectaculaire et fera moins de profit (moins spectaculaire qu’un match du vendredi soir, tu peux t’accrocher quand même). Ca serait trop bête de rater cette période-clé où le foot-roi vacille et dont on irait bien gruger des parts de marché.

 

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Le nerfs de la guerre.

 

Puis au passage, ces mécènes qui débarquent avec le chéquier pour s’acheter un Bouclier de Brennus en 5 ans, ça existait déjà avant. En 1989, Pierre Fabre débarque à Castres. Quatre ans plus tard le club est passé de ProD2 à champion de France. Le même club qu’on essaye de nous faire passer pour l’équivalent du Stade Montois aujourd’hui. Bon on ne dit pas que l’argent c’est sale et que les Castrais sont des gros méchants, mais faudrait juste traiter tout le monde à la même enseigne.

C’était donc peut-être mieux avant, quand il n’y avait pas une thune dans ce sport car il était plus facile de masquer l’incapacité de certains clubs à gérer leur argent, ces mêmes clubs qui aujourd’hui, font le bonheur des championnats de Fédérale et qui, s’ils en avaient les moyens, se paieraient des étrangers de première bourre au lieu d’acheter les rognons laissés par les gros clubs.
D’ailleurs, ce même sale pognon qui inonde le rugby moderne, c’est pas le truc qui permet aux joueurs de s’entraîner à plein temps ? Je ne serais pas contre le fait qu’ils passent un peu moins de temps dans les salles de muscu, mais ça leur permet aussi de travailler ensemble et donc a priori d’être un peu meilleurs et agréables à regarder. C’est aussi cette putain de saloperie de flouze qui donne l’occasion à la cohorte d’encadrants (préparateurs physiques, analystes vidéo ou « anal-ystes » vidéo, …) de vivre de leur passion. Beurk.

 

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Oui, la professionnalisation, c’est aussi des fanboys qui peuvent cotoyer leurs idoles.

 

Alors la question qu’on peut aussi se poser : certains n’auraient pas une vision idyllique et un brin erronée du rugby d’avant ? Je veux bien admettre que le charme désuet d’un Pacman vous séduise plus que le dernier épisode de GTA, mais bon…

Maintenant bande d’abrutis, on vous laisse débattre et vous entre-déchirer dans les commentaires. Car il fut un temps où la Boucherie était lue par environ 42 personnes, un temps on l’on pouvait encore assister à des débats de qualité à l’intérieur de ces pages. Mais bon tout ça c’est fini. La Boucherie c’était mieux avant, quand ils avaient pas la grosse tête, quand Ovale Masqué vendait pas son cul au Rugbynistère, quand des articles étaient postés régulièrement, quand le site était tellement moche que l’on pouvait réellement croire que c’était le Stagiaire qui l’avait désigné sous Paint 98.
Tout fout le camp.

Si vous avez la flemme de lire, voici un résumé vidéo.