Abats d’idées #1 : Le rugby, c’était mieux avant ? (1/2)
par Aguilera

  • 09 October 2013
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Il y a de cela quelques semaines, une de nos plus anciennes membres, Aguiléra, a posté un message sur notre forum, pour nous faire savoir qu’elle n’écrirait plus pour la Boucherie.

Cette nouvelle a été un véritable déchirement pour nous : à la fois femme et supportrice du Biarritz Olympique, elle incarnait deux minorités sur lesquelles nous ne nous lassons jamais de taper. Elle allait certainement nous manquer. Mais surtout, nous perdions une rédactrice de qualité (vous pouvez consulter ses articles ici).

La raison de son départ ? Le harcèlement sexuel quotidien de Pilou ? Les fautes d’orthographes du Stagiaire ? Les tweets de la honte de ce gros con d’Ovale Masqué ? Rien de tout ça. En fait, Aguiléra n’aime plus le rugby. Et ouais, carrément. Elle trouve que « c’était mieux avant ». Le refrain est connu et à la Boucherie, nous ne sommes pas tous forcément d’accord avec ça -on y reviendra dans une deuxième partie – mais nous trouvions quand même intéressant de vous faire partager ce texte, et de vous demander votre avis sur la question.

Voici donc le premier numéro des « Abats d’idées », où l’on vous invitera de temps à autre à disserter sur les grands problèmes qui agitent la planète de l’Ovalie comme « Faut-il tuer tous les étrangers ? », « Le XV de France va t-il mourir ? », « Y’a t-il un complot contre Serge Blanco ? », « Pourquoi Gonzalo Quesada et pas moi ? » ou encore « James Hook, faut-il le garder ? ».
Bien sûr tout cela ne sera qu’un prétexte pour faire de l’anti-toulonnisme primaire et pour vous permettre de vous insulter dans les commentaires, ce qui fera grimper les statistiques de visite de notre site et nous permettra d’empocher toujours plus d’argent grâce aux publicités omniprésentes sur notre site.

 

La missive d’Aguiléra :

Je vous annonce que je n’aime pas ce qu’est devenu le rugby.

Je ne me reconnais plus dans ce qu’est devenu le rugby.

Moi ma came, c’est le temps délicieux du rugby faussement amateur et légèrement ringard sur les bords. Un rugby provincial tendance rad-soc.

Un rugby identitaire, au noble sens du terme : nous savourions le beau jeu des Toulousains, l’extrême courtoisie des Dacquois, la bonhomie moqueuse des Montois et leurs trois quarts de rêve, la classe des Bayonnais, la basquitude et la rugosité des Biarrots et des  Luziens. Ces équipes avaient leur histoire, leur culture, et des supporters qui connaissaient les héros et les légendes de ce jeu, largement alimentées par des écrivains, des vrais, des Lalanne, Blondin,  Lacouture. 

Le rugby était une passion pour nous, mais aussi, et surtout, la fête, l’amitié, le chambrage et l’humour. Et le respect des équipes, de toutes les équipes, même de divisions inférieures. 

Les défaites n’étaient jamais dramatiques, ce n’est qu’un jeu, mais que les victoires étaient belles. Les déplacements ne se faisaient pas en car, mais en voitures, ornées de rubans aux couleurs de son club, en famille, avec des amis. C’était une occasion d’aller au restaurant à La Teste, à Agen, à Garazi ou à Soustons, le plus beau stade du monde. Le Président était toujours invité avec sa famille par le club qui recevait et les arbitres de la rencontre participaient au repas. 

Les joueurs étaient des personnages : grandes gueules charismatiques, parfois complètement perchés, parfois très cons, souvent attachants. Parfois aussi très intelligents. Ils en faisaient des conneries, les soirs de match, mais leur patron passait l’éponge quand ils ne reprenaient pas le travail le lundi matin. Parce que le patron, c’était souvent le président du club et qu’il avait fait la bringue avec eux la veille. 

Nous pensions sans le dire que nous étions profondément civilisés et que la violence sur les terrains était un bon moyen pour de jeunes garçons d’extérioriser un trop-plein d’agressivité que seul le rugby pouvait canaliser.  Nous pensions que le rugby éduquait  les hommes, parce que de grands joueurs nous l’avaient dit. 
Nous connaissions tous des joueurs qui étaient mal partis dans leur vie et que le rugby avait rendus meilleurs. Nous avions foi dans les vertus d’apprentissage de la vie en collectivité que des éducateurs bénévoles et passionnés transmettaient dans toutes les écoles de rugby.

La convivialité devait passer avant tout. C’était une époque où jamais un joueur n’aurait traîné un adversaire en justice : les incidents se réglaient entre clubs, à l’amiable, ou au match retour, sur un mode moins amiable. Mais ça restait dans la famille.

On lisait alors dans l’Equipe que le rugby était un sport régional (on l’a bien écrit de l’écrivain Mauriac) mais ça nous faisait rire d’être pris pour des ploucs, parce nous savions que nous appartenions au contraire à un cercle de privilégiés, presque d’initiés.

Mais voilà, c’est fini depuis que le rugby est devenu un sport professionnel rencontrant un beau succès public 

D’abord, le Tournoi est devenu une véritable institution alors même que le championnat n’intéressait pas vraiment. Puis, la demie-finale de la Coupe du Monde de 1999 a été un coup de focus énorme. Certains ont découvert un jeu enthousiasmant et romantique, se sont extasiés sur la bravoure incroyable des avants, la beauté du jeu des lignes arrières et la hargne des joueurs. 

Puis Canal + est arrivé, et le rugby est devenu branché.

Puis l’argent est arrivé et les joueurs salariés se sont vu intimer l’ordre de cesser de se comporter comme les charmants branleurs qu’ils sont souvent. Ils devaient désormais agir en professionnels de la profession : moins de frasques, mais davantage de travail physique et d’hygiène de vie, plus de déclarations à l’emporte-pièce, mais des éléments de langage appris dans le vestiaire; bref, le petit doigt sur la couture du flottant. 

Puis les caméras de Canal + ont révélé avec leurs superbes ralentis les petites saloperies ordinaires d’un match.

Finis les baffes, les coups tordus qui faisaient pourtant partie intégrante du charme de ce jeu. Tout est devenu aseptisé.

Enfin, les nouveaux présidents sont arrivés.

La plupart du temps complètement étrangers au milieu, richissimes et faisant couler l’argent à flots avec tous pour objectif de devenir champion d’Europe ou  de France dans les trois ans à venir, le tout avec plus ou moins de succès.

Ce qui devait arriver arriva : recrutements massifs de joueurs étrangers, raréfaction du réservoir de l’Equipe de France, course à l’armement effrénée avec pour corollaire la disparition plus ou moins programmée des clubs de sous-préfecture.

Nos clubs de sous-préfecture. Notre patrimoine.

Mais ce n’est  pas le plus grave.

Le plus grave est que ce beau jeu, dur sur le terrain mais débonnaire dans les tribunes, festif par nature, s’est brutalement hystérisé. 

A la place du chambrage traditionnel entre supporters de clubs concurrents, sont venus les insultes, le mépris, la haine parfois. Le public du rugby s’est certes enrichi, mais surtout de gros connards sans éducation. 

Au lieu de calmer le jeu, certains présidents et entraîneurs ont multiplié les déclarations tapageuses, remettant constamment en cause les institutions ou l’arbitrage.

Comme s’ils ne savaient pas (en fait, ils le savent pertinemment, mais c’est tellement plus simple de contenter les foules en jouant les victimes) que l’arbitre est un paramètre du jeu, que rien n’est plus difficile à arbitrer qu’un match de rugby et que c’est facile de crier à l’erreur d’arbitrage après avoir visionné cinq fois une séquence sur le  ralenti de Canal. Les Anglais disent que l’arbitre est un gentleman qui prend sur son temps libre pour venir rendre service à trente autres gentlemen. Nos hyper-présidents et super-entraîneurs ne doivent pas comprendre l’Anglais.  

Je me souviens d’un temps où les joueurs de notre équipe nationale (à part un) avaient accepté de perdre un match sur un arbitrage malhonnête au nom du bien commun.

Maintenant, perdre un match est un drame quasi-shakespearien.

Cela contrarie le retour sur investissement des hyper-présidents et c’est insupportable à leurs yeux d’hommes d’affaires. Avant, le rugby, c’était la Caisse d’Epargne de Saint-Sever, maintenant c’est la Goldman Sachs.

Alors, le rugby est devenu grossier, paranoïaque, mal élevé, égoïste et terriblement  anxiogène pour de pauvres esprits faibles. Le plaisir a disparu chez les supporters, remplacé par un sentiment d’humiliation personnelle et de colère disproportionnée en cas de défaite ou de toute-puissance en cas de victoire. 

Pourtant, le rugby, de par sa singularité, était un espace que l’on aurait pu préserver de cette affolante course au profit et au pouvoir qui caractérise notre riante société. On aurait dû faire du rugby une réserve protégée, un écosystème inviolable. C’est rare, un truc pareil. 

Et qu’on ne me  réponde pas que le rugby actuel est cent fois plus beau et plus technique que du temps des frères Boniface. Non. Il est plus physique, plus athlétique, les mecs courent plus vite. Mais le cadrage débordement, ce n’est pas Fofana qui  l’a inventé. Et puis à la limite, peu importe, ce qui comptait pour moi dans ce jeu, c’était l’investissement des joueurs sur le terrain, leur panache, leur roublardise et leur camaraderie tellement masculine, dont je me sentais exclue sans en prendre ombrage. Tout cela était finalement si enfantin, frais, aussi léger et charmant qu’une nouvelle de Sagan. Et là, je ne m’y retrouve plus. 

Vous allez me traiter de vieille réac. Mais justement, je ne le suis pas. En revanche, je suis nostalgique d’un temps qui est peut-être celui de ma jeunesse perdue.

Pour en finir, je crois que je vais faire une pause et me remettre à lire de vrais romans. De Mauriac ou de Blondin.