Le sociologue du rugby #3par La Boucherie 25 November 2011 15 Par Brieg Ker’Driscoll Rappel Episode 1 Episode 2 La coupe du monde s’est terminée il y a maintenant un mois, et nous revoilà revenus à la dure réalité du top14. Les français sont rentrés au pays les mains dans les poches, fatigués, et sur les rotules. (Pour Morgan Parra, c’était plutôt: les poches sous les yeux, irrité, et sous les rotules (de Mac-Caw)). Après une coupe du monde comme celle-ci, parsemée d’exploits et d’échecs, où la honte et la fierté se sont côtoyées comme jamais, j’en suis ressorti aphone et mal à l’aise. Aphone, après cette action qui vit Dusautoir aplatir au paradis, et pour lequel j’ai dépassé en décibels le bruit du démarrage d’un avion à réaction. Et mal à l’aise, car cette équipe que j’ai décrié m’a fait vibré comme jamais, et que j’ai dû reconnaître, au moins une fois, que Rougerie avait bien joué en deuxième centre. Etais-je donc un bon supporter, moi qui ne croyais pas à la victoire finale ? Et par cet exemple de l’épopée française, doit-on se demander si le rugbyman est vraiment un patriote ? En tant que sociologue-ethnologue-franchouillard-porteur d’eau, je me suis mis au défi de répondre à cette interrogation, exposant mon laïus en un schéma clair et novateur : oui, non, peut-être. Il est évidemment beaucoup plus facile de faire foi de patriotisme au lendemain de cette belle finale. Les résistants, les “je-vous-l ’avais-bien-dit” pullulent d’un coup d’un seul. Comme dans les rues de Paris le 20 aout 1944, chacun a juste le temps de tondre une collabo et de tirer un coup de fusil en voyant arriver les chars français. L’occasion fait le larron . On ose même prétendre s’être fait voler la victoire contre les Alls blacks ! Quel magie ! Mais être patriote n’est pas toujours aussi aisé. Quand la France s’est faite balayée par les iles Tonga, il était difficile de se la ramener. Qui osait encore parler fort et montrer le bout de son nez ? La population tongienne n’étant pas très représentative en France, à part au SUA et chez les videurs de boite de nuit, les klaxons n’étaient pas très nombreux à résonner en France. Et j’ose espérer qu’il y a une moins une voiture et une route au Tonga pour pouvoir faire un peu le mariole. Et que dire de ce sentiment de honte après le France-Italie du dernier tournoi? “Non, je vois vraiment pas de quoi tu parles.. France-Italie ? Aucuns souvenirs.” Quelle honte ! J’en aurais presque arrêté les pâtes et les pizzas.(si j’avais autre chose dans mon frigo). Le patriotisme rugbystique est décidément un sentiment très particulier, que j’ai essayé d’analyser. L’évidence, c’est que le rugbyman est réellement patriote que lorsque son équipe est forte. Et quand la France perd, au lieu de céder à la pleurnicherie, on préfère adopter un discours clairvoyant et philosophe, du genre : « De toutes façons c’est tous des merdes ». Et, par amour propre, le français tentera de prendre de la distance avec l’événement. Les bretons diront : « M’en fous d’abord je suis pas français je suis breton » Le basque prétendra : « C’est qu’il y a trop de Toulousains. Ils ont aucun mental ceux-là, et en plus ils ont le plus gros budget, et ils sont pas beaux. » Les Toulousains « C’est parce qu’il n’y a pas assez de Toulousains dans l’équipe. Toulouse est meilleur que l’équipe de France, et nous on est 17 fois champions de Franc. Et Clerc il est trop beau ! » Les Lillois diront : « Ch’t équipe de Franche, elle est pourri, hein, biloute, elle arrive pô à marquer de but ». Et les Clermontois, Toulousains et Parisiens et Columérins se renverront la balle à qui aura David Skrela. Le patriotisme s’enterrera si profondément que l’on flagellera les idoles adulées. Même les catalans abandonneront la défense de David Marty, qui sera alors seul au monde. Le patriotisme est manichéen : tout est blanc ou tout est noir. On aime ou on déteste. Papé est un Dieu ou un imbécile. Mais je parle d’ailleurs là de patriotisme, alors qu’ il conviendrait mieux de parler de franchouillardise ! Tous les pays ne sont en effet pas logés à la même enseigne ! Voyez ces Argentins qui pleurent à chaque hymne national ! Quel amour du pays ! Bon, certes, j’ai découvert dans mes recherches que cela n’était dû qu’au fait qu’ils pleurent à chaque fois en pensant à la tristesse du match qu’ils vont proposer. Les irlandais et leur fighting spirit sont très aussi patriotes ! 100 ans qu’ils ne gagnent rien et ils en sont toujours aussi fiers ! Et les anglais ? De grands patriotes ? Encore une fois, la défaite rend les choses plus compliquées. Pendant cette coupe du monde, il était difficile pour eux d’être patriote. On ne parlait d’eux que pour les frasques retentissantes de leurs joueurs (qui se révélèrent mine de rien assez sympathiques finalement). Et le meilleur joueur anglais de la coupe du monde était… samoan… (Toutes les équipes ont d’ailleurs leur samoan : l’Angleterre avec Tuilagi, le Pays de galles avec Falatau, la France avec Lakafia… Mais ceux qui en ont quand même le plus, j’ai remarqué, ce sont les samoa. ) De manière générale, si être supporter et patriote consiste à nourrir une admiration sans faille à son équipe, aussi nulle soit-elle, alors, oui, le rugbyman n’est peut-être pas toujours le plus fervent supporter. Peut-être parce qu’il se sent bête parfois comme ce fameux lundi matin après avoir dit : « Les Tonga ? Pfff… Même ma grand-mère en slip elle leur marque un essai ! Tu verras ce que les francais vont leur mettre. Ils vont se faire dessus. Et d’ailleurs, je sais même pas ou c’est la tongie !». Ou alors peut-être parce qu’il aime prévoir les défaites, et dire après : « Je vous l’avait bien dit ! Quand vous connaitrez le rugby, vous reparlerez ! » Quoi qu’il arrive, durant ce mondial, je pense que nos actes de patriotes matinaux se résumaient à cela : – Gueuler la Marseillaise en portant le maillot déchiré de France 1999. – Justifier le carton rouge de Warburton. – Contester le carton jaune d’Estebañez – Assurer que les français ont marqué le plus belle essai de la coupe du monde (reste à choisir lequel) – Feindre de ne pas avoir remarqué que les gallois ont joué à 14. (tiens donc) – Dire que les Alls Blacks étaient dopés – Dire que les Tonguiens sont des tricheurs puisqu’ils font déjà 32 kg à la naissance – Dire que de toutes façons, les japonais sont pas tous Japonais dans l’équipe, et c’est tricher. – Dire que Médard est bien coiffé – Porter la moustache, même avec trois poils Oui, je pense effectivement qu’un vrai patriotisme se traduit avant tout par une mauvaise foi incroyable. Une mauvaise foi, qui pourra nous faire dire aussi que de toutes façons, nous, les français, on ne cherche pas les victoires, mais l’honneur et la gloire, qu’il vaut mieux être un vice-champion valeureux qu’un champion miteux. (ce que personne d’ailleurs ne peut contester). Mais ce dont je me souviendrai toujours, c’est ce V de la victoire avant la finale. Certains trouvent ça ridicule, voir ces colosses musculeux figés, main dans la main comme des écoliers. Mais quelle preuve de patriotisme ! Quel instant d’histoire ! Alors qu’une fois encore, nous nous apprêtions à regarder ce haka vu et revu, pendant lequel Ali Williams allait comme d’habitude se placer devant la caméra, où comme d’habitude il tirerait la langue jusqu’au menton, voilà que les français commencent un placement étonnant. (Mermoz étant le seul à ne pas savoir se placer, comme dans la ligne de trois-quarts). « Mais que font-ils ? » se dit-on. « Je sais pas mais passe-moi vite une bière » me répond-on. Et que voit-on alors ? Ces hommes fiers qui se tiennent la main dans une solidarité primitive ! Ce combat des yeux, ce regard de Dusautoir qui fait frissonner, cette ligne de front française qui s’avance pas à pas, la baïonnette au canon, cette arrogance toute française, bravant l’interdit et l’adversité ! Mais vive la France, messieurs dames, Vive la France ! Nous revoilà reparti comme en 14 ! (Pas le TOP14, la guerre. Non, pas la guerre Narbonne-Perpignan, la vraie guerre. Avec des morts et tout, des trompettes, des casques à pointe et des saucisses de francfort). On ne passera pas ! Verdun ! C’était Verdun ! Ah si j’avais été un poilu (muni d’une dérogation pour glabre), nul doute que j’eus suivi Thierry Dusautoir jusqu’en Enfer ! (enfin, jusqu’à ce que je croise Ma’a Nonu). Ah que ce fut magnifique ! Ces francais étaient beaux. Dommage que je sois breton…