[Portrait] Florian Fritz
par Le Stagiaire

  • 27 August 2015
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Par Le Stagiaire

 

On ne sait pas grand chose de l’enfance de Florian Fritz. À l’image de ses prises de paroles publiques, les informations se font rares à son sujet. Sa page Wikipédia n’indique pas grand chose de plus que sa date de naissance (1984) et  ‒ à part compiler l’ensemble des informations de Rugbyrama pour en déduire l’inverse ‒ il est difficile de reconstituer le chemin du trois-quarts centre du Stade Toulousain. Mais, en nous basant sur des faits plus ou moins avérés, des rumeurs, des légendes et des suppositions douteuses, voici ce qui pourrait être une reconstitution crédible de sa trentaine de premiers printemps.

Son histoire débute dans l’Yonne, à Sens (parce qu’il fallait bien en donner à son histoire), un jour de janvier où le froid glacial ne laisse s’évader dans la nuit que les plus téméraires. Et les habitants d’Oyonnax qui, pour leur part, trouvent « que ça tape un peu aujourd’hui » et hésitent à remettre une couche de crème solaire. 

Madame Fritz, dans un ultime effort et sous les encouragements de l’infirmière de garde, met au monde un beau bébé d’environ 4 kilos. Alors que les derniers râles d’une jeune mère exténuée sont souvent couverts par les premiers cris du nourrisson, Madame Fritz doit se contenter d’un silence pesant. Un silence comme seul un supporter du Racing Métro saurait l’apprécier. Un peu surprise, l’infirmière constate avec soulagement que malgré son mutisme, le nouveau-né est en parfaite santé. Un peu mal à l’aise devant le regard noir de l’enfant qui la dévisage, elle le confie aux bras aimants de sa mère dans lesquels il finit par se décontracter. Pour les années à venir, le jeune Florian sera à l’image de cette nuit : froid, courageux, peu bavard mais fidèle à ceux qu’il aime. 

 
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Florian Fritz, à 12 ans et avant d’avoir commencé la MUSCUUU (à peu près)

 

Son caractère difficile ne facilite hélas pas toujours son intégration. Il est tout d’abord renvoyé de sa crèche pour avoir ouvert l’arcade d’un autre enfant avec son hochet. Son père plaide l’accident mais les trois autres traces d’impacts repérées dans la même zone laissent peu de place aux doutes. Ce sont ensuite deux écoles primaires qui demandent successivement son transfert. La première fois après qu’il a lâché ‒ un poil trop fort ‒  un « Mais qu’est ce qu’il siffle cet enculé ? » au surveillant chargé de signaler la fin de la récréation. 

La seconde fois, on lui reproche d’avoir enterré vivant dans le bac à sable un de ses petits camarades qui lui demandait de l’aide pour gagner sa partie de cache-cache. Ce qui n’était aux yeux de Florian qu’un geste d’entraide (qui permit d’ailleurs à son nouvel ami de remporter sa partie) se retourne finalement contre lui. Conséquences habituelles : punition, réprimande et sentiment d’injustice pour le jeune Florian qui s’enferme encore un peu plus dans sa solitude.

 

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LA BAGARRE

 

L’été avant son passage en sixième, c’est avec ses parents qu’une fracture se crée, alors qu’il oublie une nouvelle fois son Passeport, le cahier de vacances censé l’accompagner pour les deux prochains mois. Ces derniers, désabusés, ne trouvent rien de mieux à faire que de solliciter le célèbre psychologue Marcel Rafu. Le début d’un long calvaire qui va les éloigner petit à petit de leur fils bien aimé. 

C’est après un nouvel incident en sport au collège (où il passe sous le filet de volley pour mettre une gifle à un adversaire qui l’avait contré) que Florian décide de fuguer pour aller vivre en autonomie, loin de la civilisation qui refuse de l’accepter. Pendant plusieurs années, il vit reclus dans la forêt, à l’abri des regards, du jugement des autres et de leurs conversations ennuyeuses. En chassant les lapins, il travaille son agilité. En abattant des arbres, il gagne de la force. En bravant ses peurs, il devient plus courageux encore. Et en étant seul pendant de longs mois, il finit évidemment par se faire chier.

C’est au détour d’un bout de terrain dans l’Isère qu’il va observer, tapis dans l’ombre d’un buisson, son premier entraînement de rugby. Au loin : Laurent Leflamand, Olivier Milloud, Stéphane Glas, Pierre Raschi, ou encore Marc Cécillon foulent la pelouse et s’appliquent à répéter leurs gammes. Durant de longues semaines, Florian les observe, bien caché à proximité du terrain. Après avoir réussi à voler un ballon, il se met même à jouer tout seul sur le pré, une fois le soleil couché et les joueurs rentrés chez eux.. Selon la légende, c’est durant ces longues nuits qu’il va prendre la mauvaise habitude de ne pas faire de passe (en même temps quand tu joues tout seul faut être très habile ou très con). C’est d’ailleurs aussi pendant cette période qu’il s’entraîne à taper des drops, persuadé de les mettre avec une aisance déconcertante mais sans pouvoir le confirmer puisqu’il fait nuit noire. Il en résultera quelques années plus tard son goût inaltérable pour ce type de jeu au pied et sa précision douteuse dans l’exercice.  

 

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“Je vais bien ! C’est pas mon sang.”

 

Pour Florian, tout va basculer un matin, alors que le groupe du CSBJ entame un footing dans le bois dans lequel il a trouvé refuge. Il est débusqué par deux joueurs qui s’étaient discrètement éclipsés dans un coin tranquille (pour des raisons que nous ignorons évidemment). Main dans la main, Sébastien Chabal et Lionel Nallet sont on ne peut plus étonnés de trouver face à eux ce jeune sauvage, à demi nu et lui-même effrayé d’avoir été démasqué. Après un moment de flottement, les deux joueurs tentent de le rassurer et essayent d’en savoir plus. Ils n’obtiendront pas grand chose, le jeune garçon préférant leur foncer dedans avant de s’enfuir. Têtus, c’est le moins qu’on puisse dire, les deux gaillards décident de revenir les jours suivants pour tenter leur chance à nouveau.  

Le temps aidant, une relation de confiance se crée finalement entre les trois hommes et les deux joueurs, d’un commun accord et dans la discrétion la plus totale, décident de l’accueillir au sein de leur famille. Enfin… au sein de leur collocation. Ce sont eux qui le poussent à se mettre au rugby et à signer au CS Bourgoin Jallieu quelques années plus tard. Il passe très rapidement professionnel, et après deux années réussies, signe à Toulouse, qui compte sur lui pour faire oublier le départ de celui qui n’était rien de moins que son idole : Cédric Debrosse (bon sur ce point on est vraiment pas sûr).  

 

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Sébastien Chabal et Lionel Nallet avec leur deuxième enfant

 

Malgré la surexposition médiatique du club, Florian continue à évoluer dans une discrétion maximale. Marqué par des années de solitude, son rapport aux autres est toujours aussi compliqué. Il n’ose pas faire de passes à ses coéquipiers de peur de se faire renvoyer et résiste difficilement à l’envie de frapper ses adversaires. Malgré tout, à force de patience et de pédagogie, son grand père spirituel Guy Novès le fait progresser dans tous les domaines. Il signe des performances remarquables qui lui ouvrent ainsi les portes de l’équipe de France.  

Mais blessures et problèmes de comportement récurrents l’en éloignent aussitôt (à l’époque du « PAS DE FAUTES » de Bernard Laporte, ses sautes d’humeur sur le terrain agacent un peu le sélectionneur). Avec l’arrivée de Marc Lièvremont, c’est son attitude extra-sportive qui est pointée du doigt. Toujours dans le but de se sociabiliser, le centre toulousain a en effet pour habitude d’utiliser les effets secondaires de l’alcool, qui le rendent beaucoup plus ouvert et plus bavard. Mais aussi beaucoup plus imprévisible. Et l’imprévu tourne rarement en sa faveur. On lui reproche ainsi rapidement de nombreuses bagarres avec des coéquipiers, des inimitiés problématiques avec certains personnages haut-placés mais aussi toujours des satanés problèmes d’oublis de passeport. Bref, Florian n’est pas assez professionnel, Florian n’est pas assez fiable, Florian n’est pas assez discipliné. Et même si Florian enchaîne les bonnes performances avec son club, David Marty lui est préféré chez les Bleus. Et ça ne contribue évidemment pas à le calmer (en même temps ça doit être énervant on peut le comprendre).  

Florian Fritz réalise une de ses meilleures saisons (d’un point de vue statistique) en 2011-2012, prouvant qu’il est (comme tous les médias nous l’annonçaient) enfin arrivé « à maturité ». Il accumule 5 cartons jaunes en championnat et se distingue lors d’un match de H-Cup chez les London Wasps où il récolte un carton rouge pour un plaquage cathédrale. Et puisqu’il n’est pas du genre à faire les choses à moitié, il signe une superbe sortie théâtrale parachevée par un doigt d’honneur adressé au public anglais en train de le huer (ce qui n’est pas très «  rougby  », reconnaissons-le). L’ERC le sanctionne de 3 semaines de suspension et d’une amende de 15 000 euros. Juste pour un doigt ! Autant vous dire que si Byron Kelleher avait été sanctionné au même tarif pour les doigts qu’il a pu laisser traîner, il serait actuellement plus endetté que la Grèce et l’Espagne réunies.  

 

 

Toutes ces mésaventures font donc de Florian Fritz un garçon à la fois craint et respecté, mystérieux et attachant. Imprévisible, impétueux, il est parfaitement complémentaire avec les autres trois-quarts beaucoup plus lisses (comme leur peau) du Stade Toulousain. Et alors qu’il ne lui reste probablement que quelques saisons avant la quille, tâchons de profiter des derniers coups (d’éclat) du soldat Fritz. La retraite arrive toujours vite pour ces derniers. Mais s’il y en a un qui aura bien mérité la sienne, c’est sans aucun doute lui.

 

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