La marinière FFR a tendance à rétrécir dans l'eau de mer

Bon Vent Pierrot !
par Marcel Caumixe

  • 10 May 2012
  • 13

Par Marcel Caumixe,

(texte initialement publié en décembre 2011 après l’annonce de la “retraite journaliste” de Pierrot)

Le monde médiatico-sportif vient de trembler sur ses bases et la violence de la secousse laisse présager des conséquences sans précédent sur les décennies à venir. Pierre Salviac se retire de la vie journalistique. Si vous ne venez pas d’en tomber de votre chaise de stupeur et d’effroi, c’est sans doute parce que, comme moi, vous vous êtes dit, mi-incrédules, mi-badins “il était encore journaliste, Pierre Salviac?”.

Ici à la boucherie, nous avons cependant un peu la larme à l’oeil de voir partir un tel monument de notre imaginaire collectif. Aussi, nous organisons ce pot de départ virtuel avec discours et e-cacahuetes pour rendre hommage à celui qui, dans un dernier mouvement de bravade, vient de mettre un gros fuck à la face du monde, qui en reste tout éberlué.

 

Cher Pierre Salviac, Pierrot, ou, comme on t’appelait affectueusement dans notre enfance, “l’autre andouille de la télé”, tu es né un 28 juin 1946 à Rochefort. L’étouffante quiétude charentaise a été déterminante dans la construction de ta personnalité engagée et de ton obsessive quête de la vérité. C’est donc très tôt que s’est manifestée la vocation du journalisme, à l’instar d’un Albert Londres ou d’un Léon Zitrone. Cette vocation ne tarde pas à s’exprimer dans des journaux régionaux, puis dans une antenne locale de l’ORTF.

Gravissant les échelons, tu deviens grand reporter et couvres des événements majeurs tels que Apollo 13, les incidents du Bloody Sunday en Irlande du nord, Les émeutes de Soweto, ou la guerre du Viet-Nam. Suite logique à cette incroyable ascension, tu atteins le Graal du journalisme en 1976 en devenant adjoint de Robert Chapatte, au service des sports d’Antenne 2.

 

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A cette époque, Roger Couderc est maître des retransmissions rugbistiques, inondant les ondes de sa faconde excessive, son accent pittoresque, son chauvinisme éhonté, et son incompétence légendaire. Pierre, tu reprends alors dignement le flambeau, faisant tiennes les caractéristiques susnommées. La faconde, l’accent et le chauvinisme en moins. Tu y ajoutes ton délicieux sens de la formule et de l’anecdote malvenue, et commentes le rugby pendant 10 années durant au grand dam de téléspectateurs qui se seraient déjà crevés les tympans s’ils n’avaient pu couper le son et écouter un autre chevelu, Daniel Herrero sur Sud Radio.

Puis vient 1995, tu frises la cinquantaine et tu es au faîte de ta gloire. Mais ô malheur, le rugby à XV se professionnalise. L’époque change pour le plus grand mal de la tradition du panache à la Française, et ça commence à sentir le sapin pour le rugby de Codorniou, des Boniface et des Spanghero. Pourtant tu tiens le cap. Chaque hiver, la cabane tombe immanquablement sur le chien et le cochon est inexorablement dans le maïs. Dans un monde qui réclame toujours plus de pertinence technique, ton compère Albaladejo semble de plus en plus mis sur orbite par un rugby professionnel qu’il comprend de moins en moins. Derrière nos écrans, on pensait “Alzheimer” tout bas quand il comptait les essais à 4 points. En 99 Bala raccroche, remplacé par Thierry Lacroix.

La même tête depuis 30 ans : Pierre est-il un vampire?

Lacroix reprend à son compte la bruyante faconde sudiste tout en étant relativement plus pertinent techniquement que son prédécesseur. Il donne un second souffle à nos rendez-vous. Toi Pierrot, tu retrouves une énergie nouvelle aux côtés de la fougue juvénile de l’ancien dacquois, et ta verve s’en ressent. Tu enchaînes à un rythme échevelé des blagues toutes plus savoureuses les unes que les autres, atteignant des sommets dans une apothéose mémorable lors du match Ecosse Japon de la coupe du monde 2003. Ah ah ah ! qu’est-ce que tu leur à mis aux bridés! Ah qu’on a rigolé! Côté télespectateurs, par contre, c’est la consternation. Qu’est-ce qu’elle y connait cette masse inculte à l’humour à la Française, hein? Peu de temps après, le service des sports échoit à Daniel Bilalian, à qui ton génie a toujours fait de l’ombre, et qui, de mèche avec la FFR, commence à noyauter ton domaine réservé avec des journalistes plus jeunes, plus sexy, et parfois même, comble du sacrilège, compétents !

Ces jeunes arrivistes finiront par te coiffer au poteau, et en 2005 tu te fais dégager comme un pouilleux.

C’est après cette petite mort médiatique que tu vas rebondir de manière fulgurante. A toi les territoires vierges du cyberespace ! Tel un Steve Jobs Français et revanchard à la conquête d’internet, tu es enfin libéré du poids de la complaisance, la consensualité et la flagornerie qui étaient l’apanage de tes débuts. Tu vas enfin pouvoir dénoncer sévère, tacler du puissant, te rebeller contre le système, toi qui a toujours rêvé d’être un punk à crète mais manquais de matière première. Ton style crâne va briller.

Tu prends tout le monde à rebrousse-poil : prends ça Chabal, tête de gondole! Dans ta gueule, Blin le nain ! Lartot sale usurpateur ! Ramassez vos dents, la FFR, l’IRB et le président Lepasset (astuce savoureuse entre Lapasset, le président de la FFR puis de l’IRB, et “Le Passé”. J’en ris encore.) Galthié arriviste ! Ca vanne à tour de bras sur ton blog à la syntaxe toujours parfaite, ta page Yahoo où sévissait une armée de haters, et ton Twitter où multiplies les #salviaqueries tirées par les cheveux. Mais tu nous fais aussi réfléchir sur l’Equipe TV, et tu secoues l’auditoire grabataire de RTL tous les matins pendant 24,5 secondes.

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Mais Pierre, tu n’es qu’humain. Tu es de ton propre aveu, surbooké, très sollicité, et tu n’as de cesse de refuser pléthore d’offres. Dès que tu veux sortir du monde du rugby à qui tu as tant donné pour ne récolter que de l’ingratitude, il revient gratter à ta porte, sanglotant, la morve au nez, tel la femme du boulanger infidèle et honteuse. Tu as aussi le droit au repos du guerrier, à l’anonymat, à l’invisibilité. Tu as donc décidé, à l’instar de J.D. Salinger, de prendre un recul salutaire pour tous, et de revenir dans tes Charentes natales, contempler l’océan et Ré au milieu. Nous sommes à vrai dire un peu soulagés pour toi, et énormément pour nous mêmes. Un malheur n’arrivant jamais seul, la Toile bruisse désormais d’un buzz ébouriffant sur ta probable candidature au siège de député à la Rochelle. #Salviac2012 : reconversion ou ultime facétie ? L’avenir nous le dira, mais ayons avant tout une pensée compatissante pour des rochelais qui se relèvent à peine de la tempête Xynthia.

Et c’est donc avec sincérité que l’ensemble des bouchers, nous qui t’avons subi suivi pendant 20 ans ou plus, te tirons notre calot, un peu nostalgiques de ce que tu as pu faire pour populariser et vulgariser le rugby, imaginant avec un brin d’effroi ce à quoi nous échappons, tout en gardant en tête qu’on n’est pas à l’abri d’un come-back fracassant sur Radio Bleue Charentes Maritimes.


Bonus :