Balle à l’ouest, épisode #2
par Ovale Masque

  • 05 July 2011
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Le show d’avant match était en train de démarrer. Soucieux de révolutionner l’image poussiéreuse de notre club, j’ai organisé un spectacle à la Guazzini avec des pom-pom bigoudaines (des pom-pom girls quasi à oilpé, mais avec des coiffes bretonnes) qui font une chorégraphie sur la reprise de « Tri Martolod » de Nolwenn Leroy. Vu les cuisses de certaines d’entre elles, j’ai cru comprendre que le kouign-amman ne tournait pas que chez les premières lignes du club… penser à en parler au préparateur physique.

Après avoir salué quelques pauvres, je me suis installé dans les loges VIP du Stade, c’est à dire sur un banc en bois légèrement surélevé. Goulven m’a rappelé qu’aujourd’hui nous affrontions La Fourastière, un énième trou à rat du sud-ouest, comme on en rencontre 15 par saison. Sur le coup, je me suis dit que ça devrait le faire… en ben en fait, pas vraiment. Bon, pour le match en lui-même, je ne vais pas m’étaler dessus. Il faut que vous sachiez que quand on est un notable comme moi, on n’a pas vraiment le temps de suivre les matchs. Il faut aller serrer la main du maire, lui taper la discute pour continuer à gratter des subventions, aller intimider le président du club adverse, consulter ses messages sur mon Ipad ou au moins faire semblant pour donner l’impression aux autres que t’es quelqu’un d’important, etc.

Puis surtout, j’ai préféré me désintéresser du jeu quand j’ai compris qu’on allait prendre une branlée. C’était vers la 8ème minute, alors qu’on encaissait notre 3ème essai. C’était fest noz dans la défense… Goulven m’a expliqué que c’était normal, que c’était le début de saison, qu’il y avait beaucoup de nouveaux joueurs et que ça allait prendre 2-3 matchs avant de se mettre en place. Je lui ai dit que j’étais quand même un peu déçu de la prestation de notre recrue phare, le fameux Jaco Van der Krüger. 12 fautes en un seul match, sachant qu’il n’a joué que 70 minutes à cause de son expulsion temporaire, ça me paraît quand même un peu beaucoup. Mais Goulven avait lui l’air satisfait « Ce mec, il est là depuis une semaine, mais c’est déjà un vrai breton dans l’âme. C’est simple, sur le terrain, il m’a rappelé Gregory le Corvec ». Et c’est une bonne nouvelle ça ?

Il m’a aussi affirmé que tout irait mieux quand une de nos autres recrues, Vitolio Manu Calin, serait présent pour stabiliser la mêlée. Vitolio, c’est 1m71, 135 kilos. Une bête. Sauf que quand il est descendu – péniblement – de l’avion, il en faisait plutôt 155. Et quand il a découvert la gastronomie locale et la galette saucisse, ça ne s’est pas arrangé… On l’a donc mis au régime sec. Tous les matins, Goulven l’emmenait faire son footing sur la plage de Pen-Ar-Pouillac. Du coup, il s’est fait une entorse de la cheville en glissant sur un galet… il en a encore pour quelques semaines de convalescence.

Un autre qui m’a déçu, mais là c’est déjà une habitude, c’est le p’tit Gareth. Gareth n’est pas un mercenaire gallois acheté au club de Gleweleryynn, non. Gareth c’est mon fils, ma bataille. Oui, mon fiston. Il a débarqué dans ma vie à l’improviste : c’était à l’été 87, quand j’étudiais le commerce international à l’université de Cambridge. Alors que je fumais un joint sur le campus, comme on faisait tous à l’époque avant de devenir des vieux réacs, Abby s’est avancée vers moi avec son gros bide. Abby, c’était une étudiante galloise en sociologie, psychologie ou je sais plus quel truc en ogie qui vous donne des diplômes inutiles. Je l’avais sautée dans les toilettes d’un pub après un match du Tournoi des 5 Nations. C’était le bon temps. J’ai tout de suite compris ce qu’elle me voulait : mon argent pour m’éviter un procès en paternité. Mais déjà à cet âge, j’avais le sens des responsabilités. Je lui ai filé 500 balles à cette pouilleuse, et j’ai pris le gosse.

Je l’ai élevé moi-même. Je l’ai appelé Gareth, en hommage à Gareth Edwards. J’ai toujours pris soin d’élever Gareth pour qu’il devienne un homme, un vrai, un Tortellini. Et j’ai toujours imaginé qu’il deviendrait un grand rugbyman. Mais c’est vrai qu’avec son mètre 72 et ses 68 kilos, il est pas super impressionnant au premier abord. A se demander s’il a vraiment pris mes gènes de winner. Mais bon, s’il a pas (encore) le physique, je suis certain qu’il a un mental de guerrier. C’est juste qu’il le sait pas encore. En attendant qu’il révèle sa vraie nature, Goulven l’avait positionné à un poste pas trop physique, à l’ouverture, et lui avait donné la charge des tirs aux buts, puisque selon lui c’était « une bonne grosse tapette », ce qui dans le jargon rugbystique veut dire qu’il a un bon coup de pied je crois.

Hélas, avec son 0/6 aujourd’hui, il a pas vraiment assuré. Sans doute la pression du public. 13 personnes quand même, on était pas loin du record pour un match de rugby en Bretagne. En plus, son prof de sport de 6ème était venu, « pour rigoler » qu’il disait. Il rigolera moins quand sa femme qui bosse à mon usine recevra une lettre recommandée lundi…