Vern Crotteur a décortiqué pour vous le Super 15 … et ses demi-finales
par Vern Crotteur

  • 07 July 2011
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Weekend calme en Auvergne. Températures agréables et soleil un brin estival. Premiers départs en vacances aussi, avec des autoroutes saturées de centaines de caravanes hollandaises, remplies jusqu’à ras bord de boîtes de saucisses aux haricots … Bref, je me suis emmerdé ferme, d’autant que la saison de la chasse n’est toujours pas ouverte et que le stage de reprise de mes Volcans éteints n’est pas pour tout de suite. Heureusement que le Super 15 est passé par là ! Ah le Super 15 … Son rugby spectaculaire, joué à outrance, par des extraterrestres aux qualités athlétiques inaccessibles pour les pauvres mortels de l’hémisphère nord. Initiatives, prises de risque, gestes techniques inouis, vision du jeu extraordinaire … Ah bon, vraiment ? Ou s’agit-il plutôt, comme l’affirment les détracteurs de cette compétition, d’un succédané de rugby joué par 30 danseuses qui oublient l’importance des fondamentaux à force de courir dans tous les sens ? Il est vrai qu’en sombrant dans le cliché (merci à la presse pseudo-sportive, et surtout aux commentaires télévisuels «avisés» de nos journaleux) , on en vient à avoir une conception totalement stéréotypée de ce rugby-là, ou plutôt de ces rugbys-là, car les demi-finales du weekend ont aussi été une opposition de style.

Prenons d’abord l’affrontement entre les Reds et les Blues. Les joueurs du Queensland ont pratiqué cette année le prototype de ce jeu que tous les commentateurs de l’hexagone nous font passer pour le rugby du Sud par excellence. Un jeu rapide joué par des puncheurs aux qualités d’accélération et d’appui exceptionnelles, servi par une charnière de “galactiques”. Au final, le score de 30-13 est quand même un peu flatteur pour les Reds, malgré les nombreux points laissés en route (sur des coups de pied manqués).

En effet, après avoir rapidement été menés au score, les Blues sont revenus dans le match, tant et si bien qu’il n’y avait que 5 points d’écart entre les deux équipes à la 50e minute (15-10). On peut d’ailleurs se demander si les joueurs d’Auckland ne se sont pas tout bonnement trompés de stratégie, à vouloir sans cesse prendre une excellente défense des Reds sur le large, au lieu de la fixer d’abord au près par un jeu beaucoup plus pénétrant, qui a d’ailleurs révélé toute son efficacité sur le seul essai néo-Z de la journée.

En outre, les mauvais choix des Blues leur auront coûté deux essais, le premier encaissé sur une simple interception de passe, et le second sur du jeu au pied médiocre, récupéré en troisième rideau par le phénoménal Cooper, qui n’en demandait sans doute pas tant. Autant tendre des verges pour se faire battre … Pourtant, même à 15-0 en faveur des Reds, les Blues auraient encore pu plier ce match. Malheureusement, leur essai marqué dans les arrêts de jeu de la première mi-temps n’aura fait que brièvement illusion. On aurait pu croire qu’ils continueraient à exploiter la faille enfin trouvée dans la défense australienne, avec du jeu pénétrant dans l’axe, à zéro passe ou à une passe, avant d’attaquer sur les extérieurs … Il n’en a rien été. Peut-être les Blues se sont-ils enfermés eux-mêmes dans une espèce de carcan du jeu total, que leurs adversaires du jour maîtrisaient bien mieux. Les Australiens en revanche ont récité «leur» rugby, emmenés il est vrai par une charnière d’exception.

Dans l’autre demi-finale, les Crusaders n’ont pas fait dans le détail en allant s’imposer 29-10 sur la pelouse des Stormers, pourtant meilleure défense du Super 15. Là aussi un premier essai d’interception, pratiquement la copie conforme de celui des Reds … De quoi donner des idées à Marco et Dave Ellis dans l’optique de la Coupe du Monde (juste un indice en passant).

Pour le reste, ce match s’est révélé bien moins débridé dans sa conduite que l’autre demi-finale. Broyés en mêlés, hachés menus dans les rucks, les Stormers n’ont pas été capables d’arrêter le rouleau compresseur venu de Canterbury … Avec un Carter solide à la baguette, jamais étincelant mais toujours juste dans ses choix, distribuant à la main et enquillant les points au pied, les Crusaders n’ont été menacés à aucun moment. A la mi-temps, l’issue du match était entendue. Côté néo-Z, cette seconde demi-finale a d’ailleurs de quoi rassurer ceux qui craignaient un prochain réveil des Springboks en Tri-nations (et à la Coupe du Monde). Face à des Suds-Afs pratiquant un rugby qui paraît désormais dépassé, les joueurs des Crusaders ne sont pas tombés dans les travers d’un jeu débridé inefficace. Ils ont assuré les fondamentaux avec une conquête magistrale en touche et encore plus en mêlée, même si les Stormers affichaient un paquet d’avants à 922 kilos, et ils ont régné en maître sur les zones de rucks. Les coachs du champion du monde en titre en revanche ont sans doute quelques soucis à se faire. Leur seule satisfaction vient sans doute du fait que SBW n’a pas eu les mains aussi libres qu’il ne l’espérait, au propre comme au figuré. Le jeune prodige n’a franchi et fait jouer qu’une seule fois ses partenaires, sur le second essai des Crusaders.

Ce qu’a notamment révélé cette seconde demi-finale, et l’édition 2011 du Super Rugby en général, c’est que la domination des zones de rucks sera sans doute l’élément le plus déterminant dans la course à la Coupe du Monde. D’une part, parce que la capacité à accélérer ses sorties de balles (ou au contraire à ralentir celles de l’adversaire) conditionnera le type de jeu qui finira par s’imposer dans la compétition. D’autre part, parce que la façon d’arbitrer cette phase aura évidemment des répercussions sur le jeu lui-même. Autant la coupe du monde 1999 avait été celle de l’organisation défensive (en l’occurrence celle de l’Australie) et 2003 celle du pack de fer (anglais), autant 2011 pourrait être celle du ruck et du contre-rucking … Reste à savoir quelle sera l’équipe qui affichera le plus grand talent en la matière, et comment les aptitudes des uns et des autres seront arbitrées. Difficile de se prononcer sur cette question en se basant sur le Super 15. L’année dernière, il était manifeste que les arbitres donnaient systématiquement l’avantage à l’équipe en possession du ballon. Cette année, les défenses se sont peut-être mieux adaptées et ont développé des parades à la trop grande continuité offensive. Ou les arbitres seront revenus à un peu plus d’équilibre. Toujours est-il que ça bataille souvent ferme dans les rucks, et certaines nations plus que d’autres (suivez mon regard) paraissent mieux armées pour s’imposer, quel que soit l’arbitre.

Mais l’arbitrage du ruck n’est pas la seule interrogation que ce Super 15 a soulevé. Tout n’est pas or qui brille dans l’hémisphère Sud. Tout d’abord, peu d’observateurs européens et en particulier français le savent, la formule 2011 du Super rugby manque franchement de cohérence. Un système de qualification compliqué et injuste, dicté simplement par des impératifs d’audience et de finances … Selon toute vraisemblance, le règlement du Super 15 doit être aussi épais que le bottin de Paris ! Trois poules nationales, avec matches en aller-retour, puis des matches «sec» contre quatre des cinq provinces des deux autres nations participantes. Difficile à comprendre, encore plus compliqué à suivre, mais tout ce qu’il y a à savoir, c’est que les organisateurs pensent que plus d’équipes et plus de matches, ça fait forcément plus d’argent dans les caisses … mais pas forcément plus de spectateurs dans les stades ou devant leurs écrans. D’ailleurs, nombre de rencontres se jouent dans des stades à moitié vide et même en Nouvelle-Zélande, les matches entre provinces du pays n’ont pas vraiment attiré les foules. La palme revient à la ville d’Auckland, qui a tout juste réussi a mobiliser 16 000 personnes pour le barrage qualificatif pour les demi-finales du Super 15. De ce côté-là, le TOP 14 et la H Cup n’ont aucun souci à se faire !

Côté joueurs, en revanche, ce n’est peut-être pas tout à fait pareil, même si 2011 n’a pas été une année de découvertes ou de surprises … Les valeurs sûres ont généralement confirmé, les étoiles montantes ont encore davantage illuminé le ciel, mais les stars annoncées de la Coupe du Monde, ou plutôt la star annoncée, SBW, devra encore prouver en match international qu’il est réellement le “game breaker” ou “match winner” qu’on présente. Peut-être nous livrera-t-il déjà quelques éléments de réponse lors de la finale, qui s’annonce assez disputée et devrait tourner une nouvelle fois à l’opposition de style et de numéros 10. Il est vrai qu’une finale c’est toujours du 50/50, mais forcément, par patriotisme rugbystique autant que par flair, je dirais avantage Crusaders. Affaire à suivre !

Vern