Balle à l’Ouest, épisode 3par Ovale Masque 26 March 2012 8 Ce troisième épisode est la suite de l’épisode 2, lui même la suite de l’épisode 1. En fin de compte, on est très conformiste à la Boucherie. Après le match, je suis allé réconforter Gareth dans les vestiaires. Le pauvre était dépité. Il m’a dit qu’il voulait arrêter le rugby, que de toute façon il n’aura plus le temps de s’entraîner l’année prochaine quand il entrera aux Beaux Arts. Les Beaux Arts… c’est pour les joueurs de tam tam RMIstes, ça. « Tu veux devenir un joueur de rugby, ou tu veux devenir Clément Poitrenaud ? » Je l’ai remis à sa place sévère. L’année prochaine, il ira en école de commerce, comme son père, et il fréquentera les capitaines d’industrie de la France de demain dans les vestiaires. Moi, quand je faisais mes études, j’ai vu Jacky Lorenzetti à poil dans les douches, et ben c’est ça une vraie éducation à la dure, après avoir vu ça, tu peux tout supporter. Le gosse s’est mis à chialer… L’âge ingrat. Je pense que Gareth est clairement victime de ses fréquentations. A force de traîner avec cette petite enflure, Gaëtan le Treoc’h. Un vrai petit branleur. Y’a qu’à voir sa dégaine de hippie : t-shirt du Che, blouson en cuir, cheveux en pétard pour se donner un genre négligé alors qu’il a probablement passé 3 heures dans la salle de bain le matin. Inutile de vous préciser que Gaëtan joue à l’arrière, ce poste qui a été inventé uniquement pour que le minet de l’équipe puisse rester loin de l’action et dragouiller tranquillement en tribunes. A coté de ses études de sociologue, Gaëtan bosse à mi-temps au Beurre Kurr de Pen-Ar-Pouillac. Elu délégué syndical, c’est lui qui avait mené la révolte des employés l’année dernière, avec son superbe slogan « Les salariés ne comptent pas pour du beurre ». C’est spirituel comme un tweet de Pierre Salviac. Si je m’écoutais, je l’aurais viré de l’équipe comme du resto depuis bien longtemps. Mais je dois bien avouer que c’est le meilleur joueur de mon équipe derrière. Contre La Fourastière, c’est lui qui a sauvé l’honneur en marquant un essai tout seul, une superbe relance de 80 mètres. Il semblerait que mon Gareth lui voue une sorte d’admiration. Il me parle souvent de son « coup de rein exceptionnel » et de ses « courses aériennes comme un danseur du Bolchoi ». . C’est vrai qu’il a de bons appuis le salaud, ses cadrages débordements font souvent des miracles. Je sais que si je me fâche avec lui, le risque c’est qu’il rejoigne le club voisin. LE club rival. Plouescat. Un club de bouzeux racheté il y a quelques années par un certain Sir Anthony Simpson-Baraka. Fils d’une comtesse anglaise et d’un ancien rugbyman des Harlequins, né au Zimbabwe. Il a fait fortune dans la communication après ses études, passionné de rugby de longue date, international universitaire en 8. Fortune faite, il a voulu acheter un club en Angleterre mais s’est heurté à un certain mépris de classe malgré ses origines. Il s’est donc rabattu sur la France à Plouescat, mu par un désir de revanche sociale. Il veut faire du club la première équipe pro de Bretagne et il achète plein de joueurs anglais retraités. Bien sûr, son autre hobby favori est de me piquer tous mes meilleurs joueurs…. A propos des meilleurs, vous auriez dû voir notre capitaine, Bichaineté, après le match. Oui, il s’appelle bien Bichaineté. Ses parents voulaient l’appeler Bixente comme le footballeur, mais ils ont pas dû se souvenir de la bonne orthographe à la préfecture, du coup ils l’ont un peu simplifiée. Qu’ils sont cons ces Basques. Bichaineté, talonneur de son état, a été nommé capitaine en début de saison, car c’était le seul mec qui avait l’accent du Sud-Ouest et qu’on s’est dit qu’il devait sûrement mieux s’y connaître que nous en rugby. Après le match, il a réuni tout le monde en cercle et il est parti sur un discours grandiloquent sur la fraternité, la solidarité, le combat, j’en passe. Il était en train de crier des trucs totalement surréalistes « C’est moi ! C’est moi ! Je suis un monsieur ! ». Je me suis dit que j’allais le filmer et mettre la vidéo sur Youtube, comme ça on pourrait se foutre de sa gueule avec les potes au prochain conseil d’administration. Typiquement le mec qui en semaine répare des aspirateurs, et qui s’oublie le week end et se prend pour Russel Crowe dans Gladiator. Le problème c’est qu’avec tous ces recrutements étrangers, la plupart des gars ne comprennent rien à ce qu’il dit. Je crois que dans le genre, le pire c’est Juan-Manuel Angermüller, notre dernière recrue argentine. Je me rappelle, le jour de sa signature, je lui ai donné une grande tape dans le dos en lui disant « Dis donc avec un nom pareil, t’aurais pas un grand-père allemand qui aimait s’habiller en Hugo Boss dans les années 30 ». Il a souri bêtement et il a répondu « Qué ? ». Depuis son arrivée, je pense que c’est le seul mot qu’il a dû prononcer. Par contre avec sa tronche d’Enrique Iglesias discount, il ramenait de la pisseuse au stade, et ça c’est toujours bon pour les affaires. Je notais d’ailleurs que Le Treoc’h commençait à mal supporter sa concurrence à la sortie des vestiaires. Bien fait pour ta gueule, petit con. Bon. La semaine prochaine, deuxième match de la saison, et premier déplacement, à Bournazel, dans le Tarn. Le plus grand défi sera probablement de trouver le stade.