Les Seigneurs du Brennus, épisode 2
par Le Stagiaire

  • 06 February 2012
  • 15

Après l’arrivée du chevalier renégat Mourad Boudjellal dans le premier épisode des “Seigneurs du Brennus”, voici sa comparution dans la série de capes et d’épées de la Boucherie Ovalie…
 

L’homme est assis dans sa chambre. Alors que la nuit tombe sur la Fédération, il s’active à son bureau. Apposant son sceau sur des lettres à destination de ceux qu’ils appellent ses « hommes de lois ». Bourreau de travail, le seigneur n’arrête pas une seconde de veiller à « ses affaires ». La Varie lui paraît bien loin à cet instant et il se serait bien épargné ce long voyage. Des paroles malencontreuses, des hauts fonctionnaires réactionnaires et susceptibles, et le voilà sous la menace d’une peine qu’il craint plus qu’il ne veut le faire croire. Ce n’est pas de lui qu’il doute bien sûr, mais il sait qu’il dérange, qu’il bouscule les codes établis et que les dirigeants de la terre d’Ovalie ne peuvent se permettre de laisser s’exprimer trop fort un dissident tel que lui.

Il n’a jamais cru en ce régime et compte bien changer les choses. Mais le chemin vers le pouvoir et la reconnaissance est long et sinueux. Et il a d’autres étapes à franchir avant tout ça, chaque chose en son temps… A cette pensée, il sourit et se saisit de son étrange amulette qui ne quitte pas le tour de son cou. Le haut de cet étrange bouclier miniature brille alors à la lumière de la lune et les yeux du seigneur s’illuminent et pétillent de plus belle. « Mon précieuuux » murmure-t-il. « Nous nous retrouverons bientôt… Dans quelques mois je t’arracherai des griffes des soldats toulousains. De mes propres mains s’il le faut ». Et, tournant la tête dans un mouvement dramatique digne des meilleures pièces de Shakespeare (s’il avait existé dans ce monde) vers l’étroite fenêtre de sa chambre, il sourit d’un de ces sourires qui vous glace de salle de bain (j’ai un peu honte de celui là) et ajoute : « Ô Toulouse, winter is coming. Et avec lui son lot de doublons. Tes internationaux ne seront pas toujours là pour te protéger… »

Tiré de sa rêverie par le bruit fracassant d’un servant maladroit dans le couloir, Mourad Boudjellal décide alors qu’il est temps pour lui de se coucher. Une grosse journée l’attend le lendemain, ce voyage l’a épuisé et son jeu de manche devra être précis et dynamique lors de sa confrontation avec le conseil des sages.

Le lendemain il se réveille aux aurores et tire la chevillette à côté de son lit. A défaut de voir la bobinette cherrer, un jeune homme accourt à son lit et demande timidement en quoi il peut être utile. Le seigneur commande de quoi manger et un bouquet de muguet, qu’il se plaît à sentir chaque matin pour lui rappeler sa terre natale. A peine le temps de voir ses désirs exaucés et de se préparer que l’heure de l’audience arrive. D’une démarche sûre, il se rend à la salle où le conseil des sages est réuni pour l’entendre.

Celui qui semble à leur tête annonce alors les charges retenues :

« Trouble de l’ordre public, viol sur mineur, cannibalisme aggravé, délit de fuite, atteinte à la pudeur et pratiques sexuelles non consenties ayant entrainé la mort. La préméditation reste à déterminer. »

Devant le silence pesant et le regard interloqué de l’ensemble de l’auditoire, le vieil homme réalise alors qu’il s’est tout bonnement trompé de dossier.

« Au temps pour moi, s’empresse-t-il de s’excuser. Celui là est le cas suivant. Un certain Damien Try, du royaume des Bouchers. »

Son voisin de gauche se penche à son oreille pour lui demander : « C’est ce fameux royaume semi-anarchique dirigé par un soi-disant héros masqué qui a davantage fait ses preuves dans l’alcoolisme que dans l’exercice de son autorité ? ». Le vieil homme acquiesce alors d’un mouvement de tête grave. « Je ne comprends d’ailleurs toujours pas pourquoi ce cas relève de notre juridiction… Enfin ».

Il se saisit alors d’un nouveau dossier et énonce d’une voix forte et claire :

« Monseigneur Mourad Boudjellal, Prince de Mayol, Duc de la Varie, et Père de l’édition du Soleil, vous comparaissez aujourd’hui devant cette cour pour avoir manqué à deux lignes fortes de notre code de conduite. Les faits qui vous sont reprochés sont donc : Outrage à un agent et atteinte à l’intérêt supérieur de la Fédération. Qu’avez-vous à dire pour votre défense et améliorer la bien piètre situation dans laquelle vous vous êtes encore fourrée. »

L’accusé se lève alors de son banc, inspire profondément, puis, toisant du regard les jurés les uns après les autres, se lance dans ce qu’il sait être son ultime plaidoyer dans cette affaire…

« Tout d’abord, sachez que je ne pense pas qu’il y ait de bonnes ou de mauvaises situations. La vie, c’est avant tout des rencontres. Des rencontres comme celle qui a eu lieu entre le peuple de Clermont et le mien et qui est à l’origine de ma présence ici… Une rencontre qui, comme celles qui l’ont précédée et qui rythment la vie de nos royaumes semaines après semaines, aurait dû se dérouler selon des règles, des règles que vous avez vous-même fixées et qu’un de vos « Chevaliers de l’ordre » était censé faire respecter. Ce qu’il n’a pas fait. »

« Monseigneur ! Les chevaliers de l’ordre ont toujours raison. Cette valeur est la base même de notre culture commune, celle qui nous permet de cohabiter depuis tant d’années. Ne la bafouez pas parce qu’elle vous est étrangère ! »

« Etranger ? Nous y revoilà… Je ne comprends décidément pas ce racisme latent envers les personnes qui sont là depuis moins longtemps que vos propres meubles… »

« Comment osez-vous ? Encore une fois, vous prononcez des paroles indignes de votre rang ! »

« La seule personne qui a été indigne de son rang est l’imposteur qui s’est fait passer pour un chevalier de l’ordre neutre et objectif lors de cet affrontement contre le peuple des montagnes qui crachent du feu ! »

« Les chevaliers de l’ordre représentent la justice de notre royaume et disposent d’un grand pouvoir ! Vous ne pouvez parler d’eux ainsi ! »

« Oui, et un grand pouvoir implique de grandes responsabilités ! »

« Oh pitié Monseigneur, épargnez nous les citations douteuses d’un vieil homme qui s’est fait tuer en essayant de raisonner un bandit voulant juste lui subtiliser sa bourse… De plus, tout le monde sait ici que les Comics n’ont jamais été votre genre… Vous êtes bien plus efficace lorsqu’il s’agit de troller, votre présence ici en est la preuve… »

Visiblement touché par cette attaque, Mourad Le Fier ne réplique pas immédiatement. Et son adversaire du moment, un homme brun d’une cinquantaine d’années en profite pour accentuer sa position dominante.

« Vos propos étaient déplacés et font honte à notre royaume. Et ne venez pas mettre en avant votre goût pour la métaphore. En faisant prendre de telles proportions à des décisions censées représenter la justice, ce sont toutes les provinces constituant ce royaume que vous insultez. Et que dire de l’exemple déplorable que vous donnez aux plus jeunes… »

« Voyez-vous Messieurs, à vous écouter je ne sais plus vraiment pourquoi je suis ici. Pour avoir relevé un problème profond ? Pour la manière dont je l’ai fait ? Je crois que dans tous les cas, vous auriez été prêts à prendre n’importe lequel. C’est plus la cible que le prétexte qui vous intéresse. Mais je crois que trop de salive a été gaspillée par cette histoire. Je suis de toute évidence en face d’une justice qui a déjà choisi quel mode opératoire elle allait utiliser pour m’exécuter… »

Le vieil homme soupire alors profondément :

« Monsieur Boudjellal, j’ai du mal à comprendre comment vous espérez vous attirer notre clémence en nous considérant ainsi. Mais puisque de toute manière vous avez déjà beaucoup parlé, je pense qu’il est temps pour nous de nous retirer pour trancher… »

« Trancher, s’amuse alors le Duc de la Varie. Comme le mot est bien choisi… »

Sans sourciller, les différents membres du conseil se lèvent et se retirent dans une pièce située à l’arrière. Mourad Boudjellal se retrouve alors seul puisqu’il a choisi de ne pas prendre d’avocat. Le temps de la délibération lui parait une éternité et il ne peut s’empêcher de trépigner et faire les cents pas en attendant leur retour. Et lorsqu’ils arrivent, il sent en lui monter cette étrange sensation de doute qui lui est si peu familière. Le temps semble se suspendre et seuls les mots « Suspension de 130 jours » lui parviennent aux oreilles. Il lui faut d’ailleurs quelques instants pour réaliser et se reprendre. Il se contente de serrer les poings et sans attendre que le responsable ait fini ses explications, se retourne et quitte la salle. Il ordonne que l’on rassemble ses affaires, parcourt les quelques couloirs qui le séparent de la sortie principale et sur le parvis, attend que les curieux s’amassent devant lui. Ils ne tardent pas à être très nombreux et d’une voix calme qui ne reflète pas son état intérieur entame un petit discours improvisé :

« Les membres du conseil et plus officieusement les dirigeants du royaume, ont tranché. Aujourd’hui je vous l’assure, les personnes qui me feront taire ne sont pas nées. Et quelles que soient les sanctions que je dois subir, je n’aurai de cesse de me battre pour défendre ma vision des choses. S’ils pensent vraiment que m’éloigner des champs de bataille pour 130 jours aura réellement un impact sur ma philosophie, ils sont plus que jamais dans l’erreur. Et s’il y a d’autres combats à mener, je les mènerai toujours avec cette franchise et cette motivation qui dérangent. Pourquoi ? Parce qu’on peut convaincre tout le monde qu’on a changé mais jamais soi-même. Alors si je suis leur suspect idéal, l’homme qui peut nuire à leurs « valeurs », soit. Maintenant, d’autres affaires requièrent mon attention. J’ai une province à gérer, des hommes à former et surtout un Brennus à récupérer. PILOU PILOU ! »

Certains membres de l’assistance conquis grognent pour lui répondre avant de comprendre qu’il ne faisait en fait qu’appeler son cheval qui arrive aussitôt. Il le monte et sans jeter le moindre dernier regard derrière lui, repart vers le sud, ne laissant qu’un nuage de poussière dans lequel il disparait petit à petit.

A suivre… (peut-être…)