France – Pays de Galles 1930 : La défaite héroïque
par Thomakaitaci

  • 27 February 2015
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Par Thomakaitaci

 

Ce petit détour par les années 2000 et l’inauguration de la FrenchPute © était réjouissant, il faut maintenant retourner dans le cambouis, dans ce rugby en noir et blanc, si précurseur. Cette semaine, on règle la DeLorean DMC-12 de David Marty McFly sur le 21 avril 1930. Ce dimanche-là se forge une des caractéristiques principales de l’identité du XV de France, l’art de la défaite, la défaite héroïque, la défaite encourageante. Alors, avant d’assister à une nouvelle démonstration de défaite héroïque, samedi 18h, au Stade de France (vous l’aurez lu ici en premier), replongeons-nous dans le France-Pays de Galles du Tournoi 1930. Et pour ceux qui sont moins fleur bleue, rassurez-vous, il y a encore une bonne dose de bagarres violentes et de valeurs !

 

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Le Tournoi 1930 a failli être historique. Pour la première fois depuis qu’elle y participe, la France peut remporter le Tournoi. On ne vous décrit pas la gueule des Britanniques et Irlandais. Lors leur premier match, les Bleus battent les Écossais (7-3), puis réalisent l’exploit, à Belfast, de battre les Irlandais (5-0). Sûrs de leur fait, ils se rendent à Twickenham pour gagner. Ils mènent même 5-0, mais craquent dans les 10 dernières minutes de jeu et encaissent 3 essais, pour s’incliner 11-5. Déjà, la défaite encourageante pointait son nez. Mais tout est relancé par le match nul (0-0, ça c’est rougby !) entre les Anglais et les Écossais. Si la France remporte son dernier match, contre le Pays de Galles, à Colombes, elle sera assurée de finir en tête avec 6 points. Hauts les cœurs ! Formez vos bataillons ! L’heure de gloire est arrivée. 

 

Les bataillons se forment en masse, effectivement. Près de 45 000 spectateurs se regroupent dans les travées du Stade Yves-du-Manoir de Colombes… Je le réécris, pour ceux qui ne sont pas bien réveillés : près de 45 000 spectateurs se regroupent dans les travées du Stade Yves-du-Manoir de Colombes. Oui, oui, dans le stade du Racing. Quand on vous dit que c’était un jour historique ! Pour ceux qui veulent briller en société, sachez que la composition du XV de France de ce match qui s’annonçait inoubliable était : 15. Piquemal (Tarbes) – 14. Samantan (Agen), 13. Graciet (Bourse), 12. Gérald (Racing), 11. Taillantou (Pau) – 10. Magnanou (Bayonne), 9. Serin (Béziers) – 7. Bioussa (Toulouse), 8. Galia (Quillan), 6. Ribère (Quillan, cap) – 5. Camel (Toulouse OEC), 4. Majérus (Stade Français) – 3. Choy (Narbonne), 2. Ambert (Toulouse), 1. Bousquet (Albi).

 

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Il ne nous reste qu’une seule phrase de l’après match. Elle est signée du dénommé Peacock, troisième ligne centre du Pays de Galles, titulaire ce jour-là : « Quand je suis sorti du tunnel et que je les ai vus, j’ai regardé les yeux des joueurs et leurs yeux ne disaient pas qu’ils allaient disputer un match contre les Gallois. Leurs yeux disaient qu’ils avaient pris quelque chose et je ne pouvais pas le prouver. » On nous bassine avec le France-Nouvelle-Zélande de Nantes en 1986. Mais le rugby français du tournant des années 1920-1930, c’était autre chose : en deux ans, se multiplient les jets de pierre entre joueurs, les bagarres sanglantes, les pugilats, des yeux arrachés et même des morts. En 1927, c’est le talonneur de Quillan qui décède sur le terrain et quelques jours après ce France-Pays de Galles, en demi-finale du championnat, le plaquage « à la limite » de Taillantou (titulaire à Colombes) tue sur place le jeune ailier d’Agen, Michel Pradié. Et alors, on entend plus les footeux ? Qui c’est qui est le sport le plus débile, et cela, depuis le début ? Non mais !

 

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ICI, ICI, C’ÉTAIT COLOMBES !

 

Mais cette tactique n’a pas fonctionné. Les Gallois marquent un essai en contre qui force les Français à durcir encore plus le jeu. Galia, le troisième ligne, ouvre à vif le visage du talonneur gallois, Day. Neuf points de suture. Pourtant, les Français sont combatifs et ne lâchent pas le morceau. Gérald, le centre du Racing, aplatit derrière la ligne et égalise. Il recevra, pour cette action, de la part des auditeurs de Radio-Paris Tour Eiffel, le talent d’or. Mais, sans même utiliser la vidéo, l’arbitre – je vous le donne en mille, un anglais, Mr. Bevan… euh Mr. Helliwell – refuse l’essai pour un en-avant de passe. Le secrétaire national de la FFR, Cyril Rutherford, tel un cheikh koweïtien déguisé en Serge Blanco, intervient directement sur le terrain, pour signifier à l’arbitre qu’il s’était trompé. Que nenni, l’homme en noir est intransigeant, l’essai est refusé. Les Gallois passent deux drops en fin de match et s’imposent 11-0. Le retour aux vestiaires se déroule sous la bronca LA CATALANE. C’est la perfide Albion qui remporte finalement le Tournoi 1930. Les Français, salués par toute la presse pour leur courage, leur persévérance dans l’effort, sont acclamés par la foule. Fêter des vice-champions, grande tradition française. La FFR se sent si forte qu’elle demande d’intégrer l’International Board. Effrayés par la violence des valeurs © et par ces pratiques barbares, les Britanniques – tous issus de la noblesse oxfordienne ou cambridgienne – vont au contraire exclure la France du tournoi après le Tournoi 1931. Il a donc fallu attendre 1954 pour qu’elle termine première du Tournoi et même 1959, pour qu’elle le remporte seule.