[Bouquin 2] Matchs de légende – Tyrosse-Béziers, 1963
par Marcel Caumixe

  • 07 December 2019
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Voici la version longue du texte publié dans le second livre de la Boucherie Ovalie. Si c’est trop long achetez le livre, y a la version courte dedans.
 
Par Marcel Caumixe

 
 
Plus encore que le Franzac-La Voulte de 59 ou que le fameux Saint-Plévrin-du-Palais contre Carmaux en 61, le Tyrosse-Béziers de l’année 63 est encore qualifié par les esthètes du sport de plus grand match de tous les temps. Peu de ceux qui l’ont vécu vivent encore et j’eus l’honneur d’en être le témoin. Tout a déjà été dit de cette merveille rugbystique, narrée, louée et disséquée maintes fois sous la plume des immenses Denis Lalanne, Henri Garcia ou Jean-Michel Fouriège, mais il ne peut être de redite sur pareil chef d’œuvre.
 

Il faut se rendre à l’évidence, les joutes de cet âge d’or du rugby avaient une toute autre saveur que les rendez-vous industrialisés et sans âme du top14, piètre erzatzs de ce que nous connûmes en notre temps, en d’autres temps, dans ce passé bien plus beau et bien plus simple. Nous ne nous embarrassions pas de ces ambages hypocrites, de cette correctitude politique et nos relations étaient marquées au coin de la franchise et du respect. Le poitrail débraillé, nous discutions passionnément jusqu’aux heures les plus indues et finissions la nuit dans des éclats de rire saillants comme dans de formidables bagarres. Nous buvions, nous mangions, rotions et trompions nos femmes emportés par la fougue virile d’une jeunesse que l’on ne bridait alors pas dans les convenances.
 

C’est donc à la fin d’un mois d’octobre d’une froideur telle que l’on n’en aura plus guère, l’année même qui verrait le club de Vidargues, le Grand Vidarques renaître de ses cendres. De Tyrosse émergeait une génération de celles que l’on ne voit qu’une fois par siècle. Walter Spanghéro ne dira-t-il pas quelques années plus tard et non sans malice “sans Maurice Favière, pas de Serge Souleyre” ? En tout cas, ce n’est pas Henri Fabrègue qui aurait dit le contraire. Celui qui devint le vice-trésorier du comité des Landes avait pourtant connu l’éclosion de ces talents que l’on appellera plus tard “les Cinq formidables”, parmi lesquels Jean-Paul Jaspage, le père de Francis et de Guy, qui disparut trop tôt dans les circonstances tragiques que l’on sait. Henri Fabrègues et moi-même fîmes donc le déplacement du village voisin de Saubrigues.

 
A peine arrivé que Henri, mon grand ami Henri, auréolé de sa légende, attirait à lui la foule des aficionados locaux. Les voilà quémandant à qui mieux-mieux éclaircissements tactiques, confidences d’initié, ou autres fulgurances de sa sagesse proverbiale et de son sens du bon mot. Quel honneur il me faisait alors, à moi le jeune plumitif, de me prendre sous son aile! Que n’ai-je appris à ses côtés! Nous étions tant le centre de ce petit monde que nous en ratiâmes le coup d’envoi. Une fois assis en tribune il restait en tout et pour tout 5 minutes à jouer en seconde mi-temps. Et quelles minutes ce furent. Tout n’était qu’action de classe, maestria technique, et âpre combat. Lors des 4 mêlées qu’il nous fut donné de voir avant la fin de l’affrontement, Tyrosse ne céda pas un pouce aux terribles avants bittérois. On voyait leurs dos fumants s’arc-bouter dans le bruit des craquements de vertèbres. Mêlées maintes fois rejouées, piliers hagards et ensanglantés, les 5 plus belles minutes de ma vie je les dois autant à ce Tyrosse Béziers qu’à cette demoiselle toulonnaise qui fit de moi un homme.
 

Alors que l’arbitre renvoyait les guerriers au vestiaire sur un 0 à 0 fusèrent invectives, noms d’oiseaux et menaces de mort à son intention. “L’arbitre est un homme parmi les hommes” me confia Henri. Il avait à nouveau tellement raison. C’était décidément une autre époque, loin de la nôtre où l’arbitre est cette petite chose fragile qu’il faut protéger. Nous nous lançâmes alors dans un de ces fantastiques débats, excités que nous étions par le foisonnement de nos esprits stimulés du bonheur simple de la beauté du sport. Nous refisâmes le match et le monde, nous entrevîmes les sombres heures du “rugby du commerce” (c’est Henri qui inventa ce soir là cette formule si bien sentie), et au son de nos voix déroulant cette pensée claire sous les fraîches étoiles, nous bandîmes. Oui, nous bandîmes.
 

La carrière de Maurice Favière que l’on vit si formidable en ce jour béni s’acheva de la manière la plus cruelle qui soit 10 jours après. Rentrant de l’entraînement sur son Solex il tomba du pont de Murviel, se noya dans l’Orb, et disparurent avec lui les promesses de gloire qu’il avait fait miroiter aux yeux du rugby de France. Il n’avait que 22 ans.