[Portrait] La légende de Yoann Huget
par Ovale Masque

  • 19 September 2015
  • 13

 

Par Ovale Masqué,

 

Le stade est entièrement vide. Pas une âme qui vive dans les gradins. Pourtant, ce soir, c’est le grand match. Les acteurs présents sur la pelouse en sont tous conscients, la tension est palpable dans l’air. Aujourd’hui, ils n’auront même pas à s’embarrasser d’un ballon – en soit, le rêve de tous les joueurs du XV de France actuel. Pour remporter la victoire, ils devront juste parvenir jusqu’à l’en-but. Et là-bas, il ne pourra en rester qu’un.

 

L’arbitre donne le coup d’envoi et les nombreux concurrents s’élancent pour le sprint d’une vie. Un peloton se forme rapidement entre les favoris. N°22 prend la tête de la course. La foulée souple et élégante, le port de tête bien droit, il se dirige vers la terre promise, sûr de lui. À la dernière place de ce petit groupe, N°14 s’accroche. Il sait qu’il n’est pas le plus rapide, pas le plus fort, mais il a au moins une qualité : il ne lâche jamais rien.

 

Devant, le combat fait rage. N°8 tente le tout pour le tout et essaye de déborder N°22 sur sa droite. Ce dernier réagit instantanément en l’écartant d’un raffut puissant… tellement puissant qu’il perd l’équilibre et trébuche. Derrière, c’est le carambolage, la chute collective. Un peu à la traîne, essoufflé, N°14 ne voit pas le carnage qui vient de se dérouler devant lui et bute sur ses concurrents avant d’entamer majestueux un vol plané. Un vol qui termine sa course pile dans l’en-but.

D’un superbe plongeon, N°14 célèbre sa victoire et féconde l’ovule. Une légende est née. La légende de Yoann Huget.

 
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Bravo N°14 !

 

Né d’une mère brésilienne et d’un père qu’il n’a jamais connu, le petit Yoann Huget grandit dans les favelas et les quartiers mal-famés de l’Ariège, région bien connue pour son insécurité et son taux d’alphabétisation extrêmement bas. Comme Ronaldo, le plus célèbre des footballeurs brésiliens, Yoann aurait pu suivre la voie du ballon rond. Mais il préfère marcher dans les pas de celui qui est devenu le sosie du buteur de la Seleçao, Serge Blanco, et opte pour le rugby, sous l’influence de son beau-père, éducateur à Pamiers.

 

Un sport pour lequel il montre tout de suite des aptitudes remarquables. Grand, athlétique, véloce, Yoann se dirige tout naturellement vers le poste d’ailier. Le poste des beaux gosses par excellence. Car Yoyo n’est pas qu’un bel athlète en devenir, il est également un ravissant jeune garçon : son teint mat de latin lover, ses boucles brunes, ses épais sourcils et sa barbe de jais (oui, déjà à 7 ans) font tourner toutes les têtes. Et cela ne manque pas d’attiser les jalousies, surtout en Ariège, un coin où le mâle moyen ressemble plus souvent à Leo Cullen qu’à Alain Delon. Très vite, Huget devient donc la cible de la perfidie de certains de ses camarades de classe, notamment les petits Riwan, Vincent et Bastien, tous membres du club d’échecs, qui médisent sur lui pendant la récréation, bien cachés derrière les écrans de leur Tamagochi.

 
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« Oui les haters ? Je ne vous entends pas ! »

 

Gâté par la nature, Yoann l’est également par le destin. Car ce qui énerve aussi chez lui, c’est cette formidable chance qui semble l’accompagner partout, en permanence. Interro surprise ce matin en cours de maths ? Yoann est malade. Il ne reste plus qu’une seule part de gâteau à la cantine ? Elle est pour Yoann. Pour qui la fève dans la galette des rois à la kermesse ? Yoann. C’est comme ça, le garçon semble avoir été béni des Dieux. Les mauvaises langues disent tout de même de lui qu’il y a une peut-être une seule chose qui lui manque : un peu plus de jugeotte. De nature distraite, Yoann s’oublie un peu parfois, c’est vrai. Sur le terrain, notamment en défense, mais aussi en dehors, comme lorsqu’il oublie de faire signer son carnet de correspondance par ses parents à trois reprises. Une étourderie qui lui vaudra une exclusion temporaire du collège.

 

Devenu adolescent, Yoann intègre la section sport-études du lycée Jolimont à Toulouse. Et ne tarde pas à faire son entrée au centre de formation du prestigieux Stade Toulousain. Si les premières sélections en équipe de France de jeunes tombent vite, les apparitions en équipe première se font attendre. Yoann n’a pas la confiance de Guy Novès, qui de toute façon se méfie de tout ce qui a moins de 27 ans, y compris son propre petit-fils. Et lorsque Vincent Clerc et Clément Poitrenaud se blessent gravement en 2008, c’est son grand ami Maxime Médard qui saute sur l’occasion pour se révéler au plus haut niveau. Pour la première fois de sa vie, la chance semble lui avoir tourné le dos.

Mais Yoyo ne lâche rien, jamais. Joueur de caractère, souvent provocateur sur le terrain, souvent le premier à chercher la bagarre (souvent le dernier à y participer également), il possède une âme de compétiteur et décide de le prouver en signant au SU Agen, en Pro D2. Cette fois, il est bien décidé à marcher sur la gueule de ses adversaires pour atteindre les sommets – attention, on parle bien au figuré, n’en déplaise à Juandre Marais.

 

Et c’est un succès : pour sa première saison, Yoann Huget inscrit 14 essais et dévoile tous ses talents de finisseur. Si la deuxième sera moins convaincante en termes statistiques (seulement 2 essais en 20 matchs), « la Huge » retrouve vite le Top 14 et signe à Bayonne. Un choix réfléchi, pas fait sur un coup de tête. Et là encore, la fortune est de retour à ses côtés : initialement relégué, l’Aviron sauve sa place dans l’élite grâce à la relégation administrative de l’US Montauban, ruiné par la refonte d’un stade qui n’en avait pourtant pas vraiment besoin, puisqu’on sait tous qu’on y trouve seulement 5 supporters et un chien.

 

Sur la côté basque, là où les étoiles de l’hémisphère sud viennent s’échouer, notre JIFF-errant retrouve la grinta et le chemin de l’en-but. À tel point qu’il tape dans l’œil de Marc Lièvremont, qui lui offre ses premières sélections en équipe de France, et compte bien l’emmener avec lui à la Coupe du monde en Nouvelle-Zélande. Et ce malgré les gros doutes des observateurs, pas convaincus par ses prestations hésitantes en bleu. Hélas, une nouvelle étourderie viendra plomber l’ascension de notre héros barbu, qui écopera de 6 mois de suspension pour 3 « no-shows ». Un comble pour celui qu’on décrit parfois comme un « show off ».

 
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Et non Yoann, c’est bien 3 no-shows. 

 

Mais comme le ballon qui semble étrangement aimanté par ses mains, Yoann rebondit, encore. En 2012, il reçoit un coup de fil de son ex, le Stade Toulousain. Elle regrette de l’avoir quitté 4 ans plus tôt et lui propose de revenir à la maison (en lui promettant une nette augmentation en matière de faveurs sexuelles). Huget accepte et fait son retour dans la Ville Rose sur la pointe des pieds. Encore moqué pour l’épisode malheureux qui lui a fait rater le Mondial 2011, il est toujours pour beaucoup un joueur moyen dont Marc Lièvremont s’est entiché pour d’obscures raisons, à l’instar de Raphaël Lakafia (qui connaîtra lui aussi une renaissance un peu plus tard) ou de Jean-Marc Doussain (oui, bon, tout le monde peut se tromper).

 

Yoann sait qu’il a tout à prouver, et malgré les critiques et les quolibets, il relève le défi et parvient enfin s’imposer sous le maillot Rouge et Noir, avant de rapidement retrouver celui des Bleus. Dans un pays où même Félix Le Bourhis pouvait prétendre à être international à l’aile, il s’impose aisément comme un incontournable à son poste, et pige même à l’arrière avec succès. Huget n’a pas perdu sa principale qualité : celle d’être toujours là au bon endroit, au bon moment. Comme sous les ballons hauts, où il excelle, et à la réception des passes au pied plus ou moins précises de ses partenaires, comme en ce jour de février 2014 où il devient le héros de tout un peuple en signant un doublé inespéré contre l’Angleterre.

 

Et si son inconstance défensive fait toujours gausser les sceptiques, il faut reconnaître que là aussi, il sait briller quand il le faut, et qu’il a souvent le chic pour coller des cartouches spectaculaires qui nous font pardonner ses errances. Ainsi, en cette année 2015, celui qui porte un tatouage « Only god can judge me » (seul Daniel Herrero peut me juger, en français) a définitivement fait taire les persifleurs. Il n’y a bien que les Anglais pour continuer à résister à son charme ravageur. Ils ont semble t-il encore à travers de la gorge ses simulations ou ses prétendus mauvais gestes. Mais nous, on préfère surtout penser qu’ils ont peur de lui et de ce qu’il pourrait leur faire pendant la Coupe du monde….

 

Grâce à ses essais précieux (bien qu’ils soient encore un peu trop rares en Bleu : 7 en 39 sélections) à son look reconnaissable entre tous et à sa belle gueule, Yoann Huget est donc devenu l’un des visages du XV de France, lui qui en compte si peu depuis la fin de carrière d’un autre poilu, dont il n’a pas encore la renommée. Et il incarne finalement assez bien l’équipe qui va nous représenter en Angleterre à partir de ce soir : il n’est certes pas le plus talentueux, mais sûrement pas le moins volontaire, ni le moins sympathique. Malgré tous ses gros défauts. Et qui sait, sur un gros coup de French Chatte, peut-être même qu’il nous ramènera la Coupe du monde. Après tout si dans Kaamelott, c’est Perceval qui finit par trouver le Graal, « Bubulle » serait bien capable d’aller décrocher le trophée William Webb-Ellis…

 
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Enfin devenu une star mondiale, Yoann Huget reçoit le même honneur que Jonah Lomu et possède désormais un jeu vidéo à son nom. 

 

Merci à Peir Lavit pour le montage. Et merci à Yoann Huget d’exister, sinon on rigolerait beaucoup moins.