Angleterre – France 1987 : Le jour de gloire est arrivé !
par La Boucherie

  • 21 March 2015
  • 5

 

Par Thomakaitaci,

 

Il est temps de clôturer cette rubrique éphémère, spéciale Tournoi. On en a traversé des espaces-temps, on en a eu des émotions, des grandes bagarres aux défaites héroïques, des coups de pute des joueurs aux coups de gueule des entraîneurs. Pendant que l’on rêvassait au volant de notre DeLorean, qu’on bavassait avec notre fidèle compère David Marty McFly, le présent du XV de France se faisait toujours plus tortueux. Comme si PSA et ses joueurs avaient déjà en tête de fournir aux futurs bouchers 3.0 la matière suffisante à leurs articles rétro. Oui, toi, jeune boucher, c’est à toi que je m’adresse, toi qui n’es peut-être pas encore né, mais qui, dans les années 2050, quand le rugby ne sera devenu qu’un combat de golgoths bodybuildés, élevés en batterie, un sport sans plus personne pour le regarder dans les tribunes, où chaque essai marqué sera fêté internationalement tant ils seront devenus rares. Oui toi, jeune boucher, tu te souviendras de notre époque, cette année 2015, tu vanteras la technique chaloupée de Bastareaud ou l’intelligence situationnelle de Papé. Tu te repasseras en boucle l’essai de Maestri contre l’Italie. Tu souriras à l’idée de voir une équipe aux mille nationalités, toi qui vivras depuis 10 ans dans une France gouvernée par le Front National. Et, au moment de finir ton article, tu diras, dans un dernier soupir, le rugby, c’était quand même mieux avant.

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Ca y est, tout le monde pleure. Grosse ambiance ce papier de la Boucherie.

 

Cessons de nous lamenter. Il nous reste quand même un dernier voyage à faire. On règle la voiture sur le 21 février 1987, à Twickenham, le temple © du rugby anglais, à quelques mois de la première Coupe du monde. Le Crunch, le vrai. Le seul match que tout le monde attend. Si celui-ci est gagné, quelle que soit l’année, quel que soit le contexte, on pourra dire ce qu’on voudra, le bilan est positif. Il était tentant de prendre l’article à contrepied et de commenter les Angleterre-France du Tournoi 1415 à Azincourt ou encore celui du Tournoi 1815, délocalisé par Max Guazzini en Belgique à Waterloo à la manière d’un match de rugby. Mais, d’une part la vanne était rebattue et puis, merde, ce sont deux victoires anglaises.

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Flexion, touchez, jeu ! (On remarquera les essais déjà hasardeux de l’équipementier de l’équipe de France de l’époque)

 

Twickenham, Londres – 21 février 1987

Dressons le tableau dès maintenant : nous sommes à quelques mois d’une Coupe du monde. Sur le terrain de Londres, s’apprêtent à s’affronter deux équipes totalement différentes, l’une en pleine accélération et qui impressionne par la vitesse et la précision de ses attaques, l’autre, moribonde, sur courant alternatif en matière de jeu et de résultats et qui mise tout sur le courage © de ses vaillants soldats pour faire bonne figure. Attention, il y a peut-être un piège.

Le XV de France a entamé sa préparation pour la Coupe du monde depuis un an. Après une grande tournée estivale dans l’hémisphère sud (Argentine, Australie et Nouvelle-Zélande) où ils ne sont jamais ridicules, ils ont réussi à battre les All Blacks, en novembre 1986, à Nantes (16-3). On ne reviendra pas sur les circonstances de cette victoire, tout ce qu’on a pu entendre est faux, parole de Denis Charvet ! Il n’empêche que, dopés par cette victoire, les Bleus entament leur tournoi 1987 de la meilleure des façons en disposant des Gallois à Paris (16-9). De l’autre côté de la Manche, c’est pas les mêmes produits, euh… la même musique. Après un tournoi 1986 mitigé, les Anglais ont débuté l’édition 1987 par un fanny, un 17-0 à Dublin. Cela fait depuis 1983 que les joueurs de la Reine n’ont pas battus les Français.

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“I want my three points back !” Margaret Guy Novès Thatcher

 

Il ne devrait donc pas y avoir de souci pour les Bleus de Jacques Fourroux qui aligne sa meilleure équipe : 15. Blanco (Biarritz) – 14. Bérot (Agen), 13. Sella (Agen), 12. Charvet (Toulouse), 11. Bonneval (Toulouse) – 10. Mesnel (Racing), 9. Berbizier (Agen) – 8. Erbani (Agen), 7. Rodriguez (Montferrand), 6. Champ (Toulon) – 5. Condom (Biarritz), 4. Lorieux (Aix-les-Bains) – 3. Garuet (Lourdes), 2. Dubroca (Agen), 1. Ondarts (Biarritz). Chargés à bloc… euh, gonflés à bloc, les Bleus rentrent sur la pelouse londonienne avec une assurance méprisante qui énerve tant nos ennemis bouffeurs de fish and chips. Ces derniers viennent de prendre, durant toute la semaine qui a précédé le match, les critiques des supporters, de la presse, du Prince Charles dans la gueule. Avec un drop de l’ouvreur des Wasps, Rob Andrew et trois pénalités de l’arrière des Harlequins, Marcus Rose, contre un drop de Mesnel, les Anglais passent devant à la pause (12-3), dans un stade bondé et déchaîné.

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Sella, membre du lobby agenais, majoritaire dans le XV de France de l’époque

 

On ne sait pas ce qu’ont pris… euh, ce que se sont dit, les Français dans les vestiaires, mais ce ne sont plus les mêmes en seconde période. La mêlée française reprend le dessus sur celle de son adversaire. Bientôt, les Français commencent à se faire des passes dans la défense anglaise, qui ne peuvent opposer que leur courage (et leur amour pour la provocation). A ce titre, le deuxième ligne Wade Dooley, et deux joueurs de Bath, le talonneur Graham Dawe et le pilier Gary Chilcott, se sont parfaitement distingués dans le domaine. Cela n’a pas empêché Blanco de réduire la marque par un drop rasant, puis Bonneval d’égaliser en inscrivant un essai à la suite d’une double croisée, 12-12. Il reste un quart d’heure quand Philippe Sella, dans une sorte de synthèse entre Huget et Fofana, intercepte le ballon, élimine deux défenseur anglais et vient planter un essai après une course de plus de 60 mètres. Haut les cœurs ! Formez vos bataillons ! Le French Flair a encore frappé ! (12-16, non transformé – on rappelle, pour ceux qui ont lu jusqu’ici, qu’à l’époque, un essai vaut 4 points, bande de Contepomi !) Bérot parachève la victoire en inscrivant une dernière pénalité. Et même si Rose répond quatre minutes plus tard par un autre coup de pied entre les perches, la France, – oui, messieurs-dames, la France – s’impose à Twickenham sur le score de 19 à 15.

 

Alors voilà, cette victoire en a appelé d’autres. La France de Jacques Fourroux remporte le Grand Chelem cette année-là. Elle se positionne pour la future Coupe du monde en Nouvelle-Zélande, compétition pour laquelle elle pourra dérouler son savoir-faire en matière de premier match laborieux contre l’Écosse, de victoire héroïque en demi-finale contre l’Australie et de défaite sans combattre en finale contre la Nouvelle-Zélande. Vingt-huit ans plus tard, on donnerait tout pour que les Bleus d’aujourd’hui battent les Anglais samedi et commencent à Twickenham, une belle aventure (c’est-à-dire, passer le premier tour, ce serait déjà pas mal, faire des passes, jouer au rugby). Pour que, dans quelques années, quand on repensera à Rory, à Wesley, à Matthieu, à Camille, à Pascal, aux Yoann, à Sofiane, à Uini et les autres mais aussi à Philippe, Yannick et Patrice voire Serge, on n’ait pas que des regrets… Putain, merde Scott… Scott arrête de pleurer, c’est fini !