Abats d’idées #3 : Faut-il siffler dans les stades ? Oui ! (1/2)par Ovale Masque 21 May 2014 37 La chronique “Abats d’idées” revient pour un troisième épisode. Après Le Rugby était-il mieux avant ? et Faut-il détester les footballeurs ?, nous vous proposons d’aborder un nouveau sujet : celui des sifflets dans les stades. Autrefois loisir d’une minorité (ou faisant partie d’un folklore traditionnel local comme au RCT), la pratique se répand et se généralise, au grand dam des protecteurs des Valeurs du Rugby® (et d’autres). Aujourd’hui, Ovale Masqué, ce gros rebelle qui n’a toujours pas terminé sa crise d’adolescence, va tenter de vous expliquer pourquoi les sifflets ne le choquent pas, bien au contraire. Dès demain, nous publierons la réponse du Stagiaire, sensiblement différente, sur le sujet. Pas la peine de vous exciter et d’insulter tout le monde dans les commentaires dès maintenant donc. Par Ovale Masqué, Comme vous le savez, nous sommes entrés dans l’ère du Tout-Puissant Top 14 et de ses sacro-saintes Valeur$ du rugby. Elles sont importantes, ces Valeurs ©, puisqu’elles nous permettent notamment de nous différencier de ces sales bâtards de footballeurs – dont on espère bien qu’ils se ridiculiseront encore au Brésil dans quelques semaines afin de grignoter encore quelques parts de marché. Notre bien aimé leader Kim-Jong Goze l’a annoncé, le rugby sera désormais un spor… pardon un « produit » de masse, destiné au grand public, adapté aux petits et aux grands. Et gare à ceux qui oseront dire du mal du produit. Kim-Jong Goze ne peut cependant pas être partout, et entre deux banquets, il n’est pas toujours en mesure de punir tous les vilains qui osent s’attaquer aux fameux « intérêts supérieurs du rugby » (on attend toujours la définition de ce terme, d’ailleurs). Heureusement KJG n’est pas seul dans son combat, puisque partout sur le net fleurissent des petits Torquemada auto-investis de la mission de protecteurs des Valeurs du rugby-qui-faut-pas-que-ça-devient-comme-le-foot. Vous les avez tous rencontrés, dans les commentaires de Rugbyrama ou sur la page Facebook du Rugbynistère. Ceux qui viennent donner de grandes leçons de morale aux « mauvais supporters », vous savez, ceux qui osent siffler dans le stade. « Honte à toi RCT, tu salis les valeurs avec ton public de footeux! » peut-on lire après chaque match de Toulon. Des Toulonnais qui ne sont d’ailleurs jamais les derniers pour se lancer dans un concours de bite, et qui rétorquent bien souvent par un petit : « Hey ça siffle aussi à Marcel Michelin dès que vous menez pas de 30 points, meilleur public de France mon cul ! ». C’est toujours le même interminable débat, on y a droit chaque semaine. Le fait est que ça siffle dans tous les stades de France. A Castres, à Montpellier, à Bayonne, à Perpignan, à Brive et même à Oyonnax où on entend régulièrement des hurlements d’ours pendant les tentatives de pénalité du buteur adverse. Même les Télétubbies parisiens ont récemment craché leur haine au visage de leurs riches voisins banlieusards, qui ont gâché leur saison – ainsi que les phases finales de tous les amateurs de rugby – en venant arracher à Jean Bouin une place dans les 6 premiers du championnat. Tout le monde siffle, voilà. Et alors ? Au lieu de bêtement dire « bouh, c’est pas bien » parce que Matthieu Lartot l’a dit à la télé ou que c’est écrit sur l’écran géant du stade, vous vous êtes déjà demandé si cette attitude était si scandaleuse que ça ? Parce que pour moi, non. Je trouve même que sans les sifflets, le rugby serait bien plus triste. Cette photo n’a rien à voir avec l’article mais on voulait s’assurer que vous cliquiez bien dessus (j’ai beaucoup appris au Rugbynistère) 1) Siffler, c’est rigolo. Et c’est Français. Chacun sait apprécier les matchs en Irlande, avec les fameux « silences de cathédrale » – on parle bien des édifices religieux, pour les autres cathédrales généralement on peut entendre le « crac » de la nuque qui se brise en deux contre la pelouse – qui accompagnent les buteurs pendant les tentatives de tirs au but. C’est vrai, ça a de la gueule, c’est impressionnant et en plus ça a un effet inespéré : les commentateurs aussi ferment leurs gueules pendant une petite minute. Mais si un tel comportement devenait la norme, si tout le monde se la fermait dans tous les stades du monde pendant.. et bien ces ambiances n’auraient tout simplement plus rien d’exceptionnel. Et ce serait dommage. Les Britanniques et les Irlandais sont flegmatiques. Ils ont la classe, ils sont cool, tout ça. Ils ont les Monty Pythons et Ricky Gervais, on a les Chevaliers du Fiel et Jean-Marie Bigard : c’est comme ça, on n’y peut rien, on avait qu’à mieux naître. Nous, nous sommes des latins. Nous sommes des gros cons ! Malpolis, râleurs, de mauvaise foi, tout ce que vous voulez. Assumons donc le fait d’être une sale race et soyons fiers de nos particularités. L’ambiance du stade Mayol, vantée par tous les joueurs étrangers qui y ont posé leurs crampons, serait-elle aussi oppressante pour l’équipe adverse si les spectateurs dans les tribunes ne donnaient pas l’impression qu’ils pouvaient vous égorger avec des Midol froissés à la sortie du stade ? Probablement pas. Malgré un président psychotique et des intrigues de coulisses à la Plus belle la vie, l’Aviron Bayonnais garde son capital sympathie auprès de tous les amoureux de rugby grâce à une seule chose : son public. Celui qui chante la Peña Baïona, certes, mais aussi celui qui chambre allègrement les joueurs adverses, qui siffle et tout le bordel. Les Toulousains, eux, conservent cette particularité qui les voit régulièrement conspuer leurs propres joueurs quand ils n’ont pas eu la décence de gagner par 50 points d’écart à Ernest-Wallon. Mais après tout c’est comme ça qu’on les aime nos Toulousains : supérieurs, arrogants, pourris gâtés et jamais contents, du genre à être capables de faire la gueule un soir de Brennus parce que Poitrenaud a fait un en-avant à la 32ème minute. Personnellement, je n’échangerais pas tous ces publics de têtes de lards contre des Anglais qui auraient tout aussi bien pu aller à la Messe. 2) Le rugby, un sport d’élite ? Mais ta gueule ! On y revient encore et toujours : l’éternel complexe de supériorité de l’amateur du rugby. L’amateur de rugby a l’impression d’être un aristocrate anglais du XVIème siècle, et il se délecte d’apprécier un sport auquel la majorité de la population ne comprend quasiment rien. On ne va même pas revenir sur l’antagonisme avec le football, évoqué en début d’article et traité en longueur ici ans un autre article. L’amateur de rugby rêve apparemment de stades de rugby débarrassés de tous ces sauvages, de tous ces gens qui font du bruit, de tous ces gens qui ont le malheur de vivre leur passion avec tout ce que ça implique de connerie. Ben oui, on est tous très con quand on aime : la preuve, il y a encore des supporters à Clermont. Le célèbre point GodWilkinson® de la comparaison avec le foot. Les sifflets, ça reste aussi et surtout du folklore : rappelons que le rugby est un jeu. S’il y a un endroit on peut être très con et déposer son cerveau, c’est bien sur un terrain de rugby. Et en tribunes aussi : quelle meilleure occasion de se transformer en gros connard chauvin et de mauvaise foi pendant 80 minutes ? Puis c’est pas parce qu’on beugle sur le buteur adverse qu’il va subitement nous venir l’idée de fracasser le crâne de notre voisin avec une barre de fer. Sur le terrain, pendant 80 minutes, c’est la guerre. Mais une fois le match terminé, les joueurs rangent les armes et se serrent la main : c’est généralement pareil pour les supporters. Récemment, j’ai même vu un Toulonnais payer un verre à un Grenoblois dans un pub à Toulouse, c’est dire. 3) Les sifflets, c’est un phénomène nouveau Quand ce n’est pas la faute aux footeux, c’est celle des « rugbix », ces nouveaux supporters qui ont eu le malheur de découvrir le rugby pendant la Coupe du monde 2007, et dont on dit qu’ils pensent toujours que Sébastien Chabal est le plus grand joueur français de tous les temps devant Frédéric Michalak. Ces nouveaux venus, qui n’ont pas le jeu de rrrruby dans le sang et qui n’ont pas éduqués aux Valeurs ©, seraient donc responsables des sifflets qu’on entend dans toutes les enceintes de France. Bien évidemment tout ceci est faux et c’est pas parce que les micros d’ambiance étaient pourris dans les années 60 que les sifflets n’existaient pas déjà. Ceux qui pensent que Guazzini, Chabal, Boudjellal et autres têtes de gondole du rugby-business sont responsables de l’apparition de ces sauvageons devraient également aller faire un tour du côté des amateurs, pour voir si on ne siffle pas sur les terrains de Fédérale et de Série. Pourtant, là, on parle bien de vrais connaisseurs : si on apprécie ces matchs encore plus chiants qu’une demie de Top 14, c’est qu’on est vraiment passionnés. 4) Les joueurs sont des grands garçons : ils s’en foutent. Certains pourront arguer que « siffler c’est pas respectueux pour les joueurs ». On parle quand même de mecs qui ont marché sur la gueule de tous leurs camarades pour se faire une place au soleil dans l’impitoyable monde du rugby professionnel. Mentalement, ce sont des tueurs à gages du KGB. Même David Skrela. Certains talonneurs de ProD2 ont déjà tué des chiens avec leurs dents, je le sais de source sûre. Leur orgueil et leur ego sont souvent démesurés, et les plus grands joueurs ont d’ailleurs souvent un score supérieur à 8/10 sur l’échelle du melon d’Imanol. Rassurez-vous, ce ne sont pas quelques sifflets qui vont les sortir de leur match. Ces derniers contribuent même sûrement à les motiver. Car comme chacun le sait, rien n’est plus jouissif que de faire taire tout un stade en marquant un essai de merde sur interception, ou un drop d’escroc à la dernière seconde. Regardez Delon Armitage : il n’a jamais été aussi bon que depuis qu’il se fait insulter sur tous les terrains de France. Comme Vigo la Tristesse de Moldavie dans Ghostbusters II, ce mec se nourrit de toute l’énergie négative de la ville dans laquelle il vient jouer et devient encore plus puissant. “J’entends rien, nanananère !” De plus, ces joueurs savent très bien qu’une fois le match terminé, les mecs qui sifflaient dans les tribunes retireront leurs peaux de bêtes sauvages et viendront gentiment leur demander des autographes à la buvette du stade. Parce que tout le monde le sait, c’est plus facile derrière sa tribune ©. Alors s’il vous plait, évitons d’être trop coincés du cul et d’hurler à la mort des valeurs du rugby © à la moindre occasion. C’est quoi votre fantasme ? Un sport aseptisé, avec des supporters gentils qui chantent du Gérard Lenorman dans les tribunes ? Des joueurs tout propres sur eux qui ne font jamais de mauvais gestes, qui ne chambrent jamais les adversaires ? Mais s’ils étaient tous comme ça, on pourrait même plus se branler devant Jonny Wilkinson, qui deviendrait instantanément un type lambda ! Il faut de tout dans le rugby : des grands, des forts, des petits, des nuls, des idiots, des malins, des polis, des gros cons. Et c’est pareil en tribunes, puisque jusqu’à preuve du contraire, elles sont ouvertes à tout le monde, et l’achat d’une place ne nécessite pas l’obtention du diplôme du parfait supporter. Beaucoup d’entre vous fantasment un rugby qui n’existe pas et qui n’a jamais existé – n’en déplaise aux adeptes du #Ctmieuxavant. En fait, vous fantasmez l’épisode de Joséphine Ange-Gardien avec Fabien Galthié. En bref, vous avez vraiment des goûts de chiotte et je vous plains. Je vous emmerde, parce que comme en tribunes, je considère que j’ai parfaitement le droit d’être un gros con sur internet. Amitiés sportives, Ovale Masqué.