Rugby & Strategy : Part Onepar La Boucherie 19 December 2011 9 Aujourd’hui, c’est Vern “du blog” Cotter, qui nous explique pourquoi le rugby, c’est la guerre. Il a malheureusement oublié de mentionner les “belles ogives” dont parle tout le temps T. Lacroix. C’est un article un peu sérieux et assez long, et comme on sait bien que vous pouvez pas vous concentrer plus longtemps que la durée d’une pub pour un déodorant, on vous le découpe en plein de parties. Rugby et stratégie (1) Essai d’élucidation du rugby par la stratégie ou les penseurs de la guerre au service du noble jeu Le rugby, c’est une guerre sans la haine, une bataille sans cadavre. Peter Fitzsimons (Australie – Deuxième Ligne) Le rugby est la plus belle des guerres en temps de paix. Jean Giraudoux Où l’on est bien obligé de constater que le rugby, c’est la guerre ! Le rugby est couramment appelé « sport de combat collectif ». Les joueurs y sont appelés à lutter les uns contre les autres dans des points de rencontre qui mobilisent leurs qualités physiques et techniques. La violence existe bien sûr dans les autres sports collectifs, notamment ceux où les équipes peuvent être mêlées sur le terrain. Au football ou au hockey sur glace par exemple, les duels sont omniprésents, mais la violence qu’ils induisent est plus limitée, pas forcément dans son intensité (cas du hockey), mais dans les moyens qui sont autorisés pour la déployer. De plus, là où les sports de combat ne forment que des guerriers, c’est à dire des combattants qui luttent pour une victoire individuelle, la spécificité (et peut être la supériorité) du rugby est que chaque joueur doit s’inscrire dans une organisation collective, parfois complexe, dont le but est la victoire de l’équipe1. Le « combattant – rugbyman » est donc au cœur de l’affrontement de deux volontés qui s’opposent à deux volontés équivalentes chez l’adversaire : l’une collective, celle de l’équipe, l’autre individuelle, celle du joueur. Cette dialectique est comparable, toute proportion gardée, à celle qui met en conflit deux armées et leurs soldats sur le champ de bataille. Car le rugby est un sport de franchissement, de percée, de contact, d’occupation du terrain, de mêlée, et, nous l’avons dit, de combat. Dans ce jeu, la tactique et la stratégie prennent une dimension particulière : à ce titre, et toutes choses égales par ailleurs, il est peut être celui qui se rapproche le plus de la guerre. Naturellement, les correspondances entre le sport et le monde militaire sont nombreuses. On relève ainsi diverses analogies sémantiques, qui vont, en vrac, du « capitaine d’équipe » aux métaphores martiales, filées sur le thème des « campagnes », voire des « opérations commando », ou qui passent, tout simplement, par l’utilisation d’expressions communes (stratégie, tactique, attaque, défense…). Dans le même ordre d’idée, la « discipline » est un mot qui fait sens dans le sport, comme dans les armées. Étymologiquement, la discipline est un « domaine d’apprentissage »2. A ce titre, cette notion illustre parfaitement la dualité implicite aux sports collectifs et aux armées, qui fait cohabiter aspirations personnelles et besoins du groupe : la discipline peut en effet être envisagée comme une pratique individuelle (« je m’efforce de développer un talent, une compétence ») et/ou collective (« je me contrains pour exercer ce talent, cette compétence, au profit d’un collectif »). La discipline, au rugby, est également un état d’esprit qui vise à limiter le nombre de fautes commises de manière à ne pas permettre à l’adversaire de récupérer la possession du ballon ou de marquer des points sur une pénalité. Plus fondamentalement, le rugbyman, comme le militaire, se préparent à un affrontement physique et psychologique, où il s’agit d’imposer sa force et sa volonté à un adversaire. Inutile de rappeler que l’entraînement du militaire est lui-même fondé sur la pratique régulière du sport, afin de développer l’endurance physique et morale, la puissance mais aussi l’agilité. Militaires et sportifs partagent des méthodes de préparation finalement assez proches, qui font une part grande à la mécanisation et la répétition d’actes réflexes ou basiques, ce qu’un rugbyman pourrait appeler des « skills »… Enfin, il n’est pas rare de voir les militaires et les sportifs exalter et invoquer des valeurs similaires : à l’amour du maillot ou du club, on rapproche celui du drapeau ou de la patrie, et on parle indifféremment, selon que l’on porte un képi ou un jersey, « d’esprit d’équipe », « d’abnégation », de « sacrifice », de « goût de l’effort », de « pugnacité », « d’honneur » ou de « haine de la défaite ». Il n’est pas question ici de prétendre que tout rugbyman est un militaire qui s’ignore (ou inversement), ni de faire l’apologie de la guerre. Cette longue introduction a pour objectif de démontrer que l’on peut mieux comprendre le rugby en lui appliquant une grille de lecture qui fait appel à la stratégie militaire et aux nombreux penseurs, civils et militaires, qui ont étudié cette discipline aux développements infinis qu’est l’art de la guerre. Nous allons donc voir dans une série d’articles quels parallèles édifiants et instructifs nous pouvons tirer entre les deux domaines. To be continué 1. On pourrait aussi évoquer le cas du football américain, mais, sans sous-estimer la richesse tactique de ce sport, l’étude du rugby nous semble plus féconde. Le football américain pourrait être comparé à une succession de batailles rangées. Cependant, les situations initiales y étant, sur le principe, toujours identiques, la variété des actions, lancements de jeu et combinaisons permises par le rugby nous paraissent plus nombreuses et donc plus intéressantes à étudier. 2. On remarque d’ailleurs que certaines disciplines sportives telles que les sports de jet, de tir, l’escrime, certains sports de combat… sont, par essence, militaires.