France – Tonga : Vern Crotteur fait le bilan …par Vern Crotteur 03 October 2011 3 Fidèle à ses principes sanglants, la Boucherie n’a pas peur de mettre le doigt là où ça fait mal, au cœur d’une équipe de France qui semble au bord de l’implosion. Avec notre Kiwi maison, retour sur le naufrage face au Tonga et présentation du quart de finale contre l’Angleterre. – Alors Vern, sous le choc vous aussi ? – Je préfère garder mon sens de l’humour. A posteriori je me dis que le New Zealand Herald ne se sera trompé que d’une semaine. Ils avaient fait leur une sur « Une farce à la française », à l’annonce du XV de France appelé à affronter les Blacks. Mais la farce, c’est cette semaine qu’on y a assisté ! – Plus sérieusement, qu’est-ce qui s’est passé selon vous ? – Difficile de donner un éclairage de l’extérieur, quand même le sélectionneur de l’équipe de France déclare qu’il ne sait pas… Franchement, mieux vaut ne pas trop gamberger. Il reste une semaine pour préparer le match contre les Anglais, c’est à ça qu’il faut penser maintenant. – Bon… on ne va pas refaire le match, mais peut-être que vous pouvez quand même nous en dire quelques mots. – C’est vraiment remuer le couteau dans la plaie … Sur le plan du jeu, la France a été inexistante, surtout en deuxième mi-temps. Il faut bien se dire que la note aurait dû être bien plus salée, si les Tonguiens avaient mieux exploité leurs chances. Déjà, ils manquent 12 points au pied et ils ratent au moins un essai tout fait. Et les Français marquent littéralement à la dernière seconde. C’est dire si l’écart entre les deux équipes a été énorme sur ce match. C’est surtout la façon dont la rencontre a été abordée sur le plan tactique et stratégique qui donne à réfléchir. Les Français ont eu un jeu d’occupation catastrophique, notamment en deuxième mi-temps. Au lieu de casser le rythme et de repartir par exemple sur des touches, où le maul français aurait éventuellement pu mettre à mal les Tonguiens, eh bien, la France a rendu les ballons à l’adversaire qui n’a pas manqué de les remonter à la main. Vous ajoutez à celà une défense beaucoup trop poreuse et mal organisée et vous avez déjà les ingrédients du fiasco de samedi. – Mentalement non plus, les Français ne semblaient pas y être. – L’équipe n’a pas su se mobiliser autour de cette rencontre, c’est vrai. Les joueurs manquaient d’envie et certains ont peut-être sous-estimé l’adversaire. Pour autant, donner un spectacle aussi désolant, c’est indigne de l’équipe de France, sans vouloir manquer de respect aux Tonguiens. Et c’est ce qui me fait dire qu’il y a un profond malaise au sein du groupe. Tout le monde savait que ce serait un match pénible. Les Tonguiens étaient remontés, alors que les Français n’avaient besoin que d’un point pour se qualifier. C’est difficile de se motiver pour un tel match, même quand tout va bien par ailleurs. – Mais tout ne va pas bien manifestement… – Non, tout ne va pas bien, c’est évident. En général, une équipe qui a confiance en ses moyens va laisser passer l’orage en se retrouvant sur ce qu’elle sait faire. Sur des choses simples, pour inverser la pression petit à petit. La défense d’abord, la conquête, le jeu au près ou les groupés pénétrants. Peu importe. Les Anglais en ont fait la parfaite démonstration contre l’Ecosse. Mais l’équipe de France n’a jamais eu ce sursaut d’orgueil collectif. – Comment expliquer cette faillite collective, alors que le staff annonçait l’équipe en progrès la semaine dernière ? – Je crois d’abord qu’il y a un énorme fossé entre les déclarations que les coachs font à la presse et la réalité interne de cette équipe. Mais les joueurs ne sont pas exempts de critiques, loin de là. Leur comportement sur le terrain a été déplorable. Quand on a vu le match, on ne peut qu’être frappé par les regards vides, absents. Certains joueurs avaient l’air perdu. – La faute à qui ? – Evidemment, d’abord aux joueurs, qui ne sont manifestement pas entrés sur ce terrain avec le bon état d’esprit. Mais au-delà, le staff ne peut pas se cacher éternellement derrière les mêmes justifications et les mêmes excuses. Il y a des choix de jeu et de stratégie pour lesquels l’encadrement est directement responsable. – Par exemple ? – Forcément, on pense tous à cette politique de rotation des joueurs, que le staff conçoit comme un facteur de motivation et de mise en concurrence. Et qui est en fait une politique de la carotte et du bâton, sans que les joueurs sachent toujours ce qu’on leur reproche, ni où ils se situent dans la hiérarchie interne du groupe. C’est extrêmement déstabilisant et démotivant pour ceux qui en font les frais. – Marc Lièvremont mise sur l’homogénéité du groupe. – Peut-être qu’il est parti du constat que la France n’avait pas les moyens d’aller loin sans ménager certains joueurs. Il a certainement raison. D’autres équipes aussi ménagent leurs cadres. Mais le fait est que sur tous les paramètres de stabilité d’une équipe, l’encadrement a failli. Cette stabilité est pourtant essentielle durant une compétition telle que la coupe du monde. – Pourtant, il a été dit à de nombreuses reprises que l’équipe gagnerait ou perdrait avec 30 joueurs, pas 15 ou 22. – Evidemment que c’est une bonne chose de maintenir la cohésion du groupe. Je note tout de même que certains passent une bonne partie des matches en tribune… Et surtout, les discours semblent changer d’un match à l’autre. C’est une cacophonie incompréhensible, dans la droite lignée de ce qu’on a vu pendant le tournoi. Il n’y a aucune épine dorsale dans cette équipe. L’axe 2-8-9-10-15 doit en être à sa 4e reconfiguration en autant de matches de poule. Et il y a une instabilité chronique dans toutes les lignes arrières, alors même que le groupe est réduit à 30 joueurs et que les choix sont donc plus restreints encore que pendant le tournoi. La charnière est expérimentale, puisqu’on a reconduit Parra à l’ouverture. Il ne démérite pas peut-être, mais il n’est pas un ouvreur. Les centres ne jouaient que leur 2e match de compétition ensemble. Le trio arrière a été remanié une nouvelle fois lui aussi. Alors par la force des choses, il n’y a presque plus rien sur quoi les joueurs peuvent se retrouver collectivement, lorsqu’ils sont sous pression. Et ça, c’est la conséquence logique des errements du staff. – Mais n’est-ce pas plus logique de sélectionner les joueurs en forme ? – Qu’est-ce que ça veut dire les joueurs en forme, quand la compo change d’un match à l’autre ? ça n’a pas de sens. Durant la phase de construction d’une équipe, évidemment, le coach peut faire tourner son effectif et donner aux joueurs “potentiels” l’occasion de s’exprimer. Mais ça fait tout de même 4 ans que ce staff est en place. A un certain moment, le boulot du coach c’est aussi de créer une hiérarchie au sein du groupe et d’assumer les choix ainsi faits. ça ne veut pas dire que la hiérarchie est immuable, mais on ne change pas d’un match à l’autre. Or Lièvremont n’a jamais vraiment fait de choix et ça a manifestement déstabilisé une partie de ses joueurs. Et surtout, il ne leur a jamais vraiment laissé l’occasion de jouer ensemble dans la durée, au niveau des 3/4. C’est extrêmement préjudiciable au rendement de l’équipe. – Il a donc eu tort de baser sa sélection sur le niveau de forme des joueurs ? – L’erreur qui consiste à sélectionner les joueurs prétendument en forme, ou les meilleurs joueurs du moment, c’est que ça ne permet pas de sélectionner le groupe qui aura le meilleur rendement collectivement. Une équipe ce n’est pas une somme d’individualités, ça se construit. Et ça ne peut se construire qu’à travers l’entrainement et le jeu. – Est-ce que vous n’etes pas un peu dur avec le sélectionneur? – C’est peut-être dur, mais c’est la réalité des choses. Et ça n’est rien en comparaison des insanités qui seront déversées sur Marc Lièvremont dans la presse s’il se plante en quart de finale. Ça fait des semaines que certains fourbissent leurs armes dans les salles de presse. C’est dommage pour Marc, car c’est un homme entier et honnête. Mais face aux critiques pas toujours fondées des journalistes et du milieu du rugby aussi, je crois qu’il a fini par se couper de l’extérieur et s’enfermer dans ses certitudes, sans se rendre compte qu’il se trompait parfois. Maintenant, il est trop tard pour changer la donne. Il va falloir faire avec. – Le staff aurait encouragé les joueurs à se prendre en main pour cette semaine de préparation avant les quarts de finale. – C’est peut-être ce qu’il y avait de mieux à faire. Quand le discours ne passe plus, quand le coach n’a plus l’adhésion des joueurs, mieux vaut prendre du recul et mettre les joueurs devant leurs responsabilités. Au moins, personne ne pourra plus se cacher. Il faut alors que les joueurs les plus expérimentés et le capitaine définissent la stratégie à adopter et battent ensuite le rappel des troupes. – Vous y croyez ? – Mentalement, les Français seront prêts pour le combat, je n’ai aucun doute là-dessus. Mais je ne sais pas s’ils auront la confiance nécessaire pour tenir la route. Dans ce genre de confrontation, une équipe qui doute part avec un sérieux handicap. Et puis, il y a aussi la question de la composition de l’équipe. Qui va en décider ? Est-ce que le coach persistera dans certains choix, lui qui avait annoncé qu’il irait jusqu’au bout de ses convictions ? – Vous pensez à quels postes ? – Evidemment, je pense d’abord au poste d’ouvreur. Lièvremont semble considérer Parra comme une alternative viable, ce qui n’est pas le cas. Il faut titulariser Trinh-Duc, sans quoi, le match est perdu. Maintenant, est-ce que Trinh-Duc est en mesure de se remettre psychologiquement d’applomb, je n’en sais rien. L’autre gros point d’interrogation concerne les centres. Rougerie est out et Estebanez exclu. On va donc devoir changer, encore une fois. – Mermoz-Marty ? – Il n’y a pas vraiment le choix. A moins que Lièvremont tente un nouveau coup de poker, titularise Parra en 10 et fasse jouer Trinh-Duc en 12. Mermoz glisserait alors en deuxième centre. Qui sait … – Le centre du terrain devrait être un enjeu déterminant de cette rencontre. – Assurément. Les Anglais ont besoin de dominer dans ce secteur pour remporter le match. Ils ont des centres qui manoeuvrent très peu, font très peu de passes, mais s’ils rentrent dans la défense française et parviennent à assurer la continuité du jeu ou à mettre les Français à la faute, ce serait très très difficile de résister. Cette équipe d’Angleterre est un rouleau compresseur, il faut absolument l’empêcher d’avancer et surtout rivaliser dans les rucks. Défensivement, ce sera un tout autre match que contre les Blacks, où les Français avaient décidé de ne pas contester les ballons. Contre l’Angleterre, il faudra aller au charbon, sinon ils enchaineront au près, puis et écarteront les ballons d’une ou deux passes, lorsque le rideau défensif français sera plus clairsemé. C’est dans ces circonstances-là que leur trio arrière est le plus dangereux. – Pourtant les Anglais n’ont pas vraiment convaincu jusqu’à présent eux non plus. – C’est vrai, mais ils ont gagné tous leurs matches et surtout, lorsqu’ils ont été mis en difficulté, par les Argentins et les Ecossais, ils n’ont jamais paniqué. Ils ont continué à faire leur jeu, en respectant leur « game plan » et ils ont fini par l’emporter en fin de match. C’est une équipe qui a confiance en ses moyens et, dans un match serré, il est peu probable qu’elle craque sous la pression. – Mais il y a bien des points faibles dans cette équipe, non ? – Comme je le disais, leur jeu repose énormément sur l’ascendant qu’ils cherchent à prendre au centre. Si l’équipe de France parvient à les neutraliser dans cette zone, pendant 80 minutes, elle augmentera déjà nettement ses chances de succès. Ensuite, dans leur organisation défensive, les Anglais semblent plus fragiles en bout de ligne, il y aura surement des coups à jouer pour le trio arrière bleu. – Il y a aussi la blessure de Wilkinson. – Pour l’instant, on ne sait pas exactement ce qu’il en est. Martin Johnson a défini une stratégie de jeu et Wilkinson y occupe une place prépondérante, notamment par sa capacité à déplacer le jeu au pied. Donc, s’il ne peut pas jouer, ce sera embêtant pour les Anglais. Mais ils feront alors rentrer Toby Flood, qui est plus dangereux ballon en main. Cela dit, peut-être que Martin Johnson va nous surprendre aussi … Car Tindall n’est pas tout à fait sûr d’être opérationnel contre la France. – Quelle surprise peut-il y avoir ? – Les Anglais pourraient être tentés de refaire le coup de la demi-finale de 2003, où ils avaient sélectionnés Mike Catt en 12, alors qu’il avait été sur le banc depuis le début de la compétition. Il faut savoir que durant le tournoi 2002, la France et Serge Betsen en particulier avaient fait exploser les Anglais, en ciblant Wilkinson. Lors de la Coupe du monde 2003, les Anglais avaient retenu la leçon en titularisant un 12 capable de suppléer Wilkinson dans le jeu au pied. Et ça leur avait plutot bien réussi. – Et en 2011, ils pourraient s’y prendre comment dans ce cas ? – En mettant Wilkinson à l’ouverture et Flood en 12. Tuilagi passerait second centre et Tindall serait sur le banc. Ce n’est pas impossible, car les Anglais sont conscients du danger que la troisième ligne française fait peser sur Wilkinson. Avec Bonnaire, Dusautoir et éventuellement Harinordoquy, les Bleus disposent d’une troisième ligne très mobile. Si elle parvient de neutraliser Wilkinson, la machine anglaise risque de se gripper. Donc l’hypothèse Wilkinson–Flood en 10-12 n’est pas à écarter, même si elle dépend aussi des blessures des joueurs. – On n’a pas encore parlé du pack anglais. – Devant, les Anglais ont un problème en mêlée. En raison du forfait de Sheridan, c’est Stevens qui a été repositionné à gauche, mais c’est un droitier de formation et il a encore du mal à son nouveau poste. La troisième ligne aussi manque de mobilité et concède beaucoup de fautes au sol. La France devra essayer d’exploiter ces points faibles. – La touche anglaise a souffert aussi contre les Ecossais… – C’est vrai qu’ils ont eu du mal, surtout en 1e mi-temps, mais le contre écossais est l’un des plus performants en Europe, sinon dans le monde. Il faut donc relativiser. Les Anglais auront d’ailleurs un avantage de taille non négligeable au niveau des sauteurs. Personnellement, je crois même que leur supériorité dans ce domaine impose pratiquement la titularisation d’Imanol en 8, car les Français auront besoin de deux, sinon trois spécialistes du saut (ndlr : Bonnaire, Harinordoquy et Pierre). Sans compter qu’Imanol se transcende toujours lors des matches contre les Anglais. Et son expérience peut être précieuse aussi. – Un pronostic peut-être pour finir ? – Je soutiendrai évidemment la France, mais sur ce qu’on a vu jusqu’à présent, c’est difficile de les voir gagnants. Mais avec la France, tout est possible… Vern