Olivier Pagne analyse France – Canada…par La Boucherie 24 September 2011 % Vous l’ignorez sans doute, mais la Boucherie Ovalie, c’est un bon gros bordel. On est au moins une quinzaine dans l’arrière boutique, tout le monde se marche dessus et les accidents de travail (des démembrements, pour la plupart) sont fréquents. Pourtant, nous continuons tous les joueurs de recevoir de nouvelles candidatures… nous avons donc décidé de les réunir ici, dans la section Apprentis Bouchers. Les meilleurs textes seront postés ici toutes les semaines. A vous de nous dire dans les commentaires, si nos amis ont l’étoffe de vrais bouchers… Le constat est assez net à l’issue de cette partie : les deux équipes ont réussi leurs matchs. D’un côté, un XV de France vilipendé par sa nation entière, une nation qui ressemble à une bande d’ingrats méprisants qui serait trop heureuse de voir son équipe s’effondrer comme celle de foot l’an passé,en se drapant dans sa dignité dédaigneuse, avec envolées lyriques, catastrophisme de coutume et autres « je l’avais bien dit ! Tout fout le camp, vite, mettez untel, untel et untel, bande de cons ». De l’autre, des canadiens modestes et tout contents d’être là, qui n’intéressent et n’emmerdent personne. Aucune équipe ne peut être entièrement satisfaite de sa prestation, mais les deux peuvent avoir le sentiment du devoir accompli, celui qu’on a après une bonne cuite bien gérée sans mal de crâne le lendemain. Examinons les conditions. Pour les français, la météo est atroce, la pression énorme, et Marty sur le terrain alors qu’il pleut. L’ambiance est quand même pas super décontractée : Mas est blessé, Skrela, piteux ouvreur à l’international mais bon camarade à la cantoche, dixit Imanol, est parti les pieds devant, les médias, ces incapables, ne cessent de répéter que les français sont décevants et guettent la crucifixion comme des charognards, ce qui doit être un peu casse couille au bout de la 642ème fois. Bref, l’idée est d’éviter les conneries, de ne pas céder à la tentation du « bô-jeuh », douce illusion pour imbécile qui flatte tellement les mirettes de Christian Jeanpierre, et de faire les choses dans le bon esprit face à des canadiens gonflés à bloc, qui ont pour seul objectif de nous casser un peu les couilles en jouant simple et précis en vue de préparer leur match contre le Japon. Pour eux, c’est tranquille, il suffit de ne pas trop faire les cons contre les français en tirant profit de la météo, d’éviter les blessures et de continuer sur la même dynamique face aux japonais. Après ça, l’esprit sera serein et frais pour une bonne dérouillée face aux Blacks. Et qu’on ne vienne pas nous briser les noix avec l’histoire des quatre jours de récupération. Okay, c’est moche pour le principe, mais les organismes étaient surement beaucoup plus cramés chez les italiens à la fin du match contre la France en avril dernier à Rome, saison marathon, top 14 et coupe d’Europe obligent. Il faut relativiser l’importance de cet élément sur le déroulement du match. Les petites équipes se font avoir, mais dans le cas présent, c’est plutôt lors du match contre les japonais que l’accumulation de fatigue des canadiens se fera sentir. Comme d’hab’, les français sont bien meilleurs quand ils sont contraints de s’appliquer. Pas de round d’observation dans ce match, ça part tout de suite sans faux rythme ni étincelles. Certes ce ne fut pas génial à regarder, mais ça aurait pu être bien plus dégueulasse. Songez un peu à ce qu’aurait donné un Biarritz – Racing dans ces conditions. Alors on arrête de faire la fine bouche. De toute façon, avec ce temps, impossible de faire des miracles d’animation offensive. Les enjeux qui se présentent demandent du sang froid, de la patience et de la combativité. Du sérieux, quoi. On ne peut pas demander mieux pour préparer un match contre la Nouvelle Zélande et un quart contre l’Angleterre. Les canadiens sont excellents, en tout cas ils appliquent leur plan de jeu de manière assez remarquable : jeu au pied à propos, solides à l’impact, bien en place en défense, relativement disciplinés, en tout cas méthodiques et sereins, ils font les parfaits adversaires, ceux dont le XV de France a besoin. Face à des types comme ça, on ne peut que pratiquer un rugby humble et travailleur. Le score ne décolle pas ? Peu importe, les frenchies font le dos rond, ne s’affolent pas, ont confiance en ce qu’ils construisent. Contrairement à Christian Jeanpierre et à l’Equipe, eux ont bien compris que ça ne sert à rien de courir après le bonus comme des chiens fous pour s’étaler dans la vase de Napier. A la mi-temps, Lièvremont se montre enthousiaste et il a raison : ses mecs sont en train de répondre à ses exigences. Les avants musellent le pack canadien, réputé pas tendre, les arrières ne font pas de conneries, tout vient à point à qui sait attendre et au final, aucune occasion d’essai pour les canadiens si on oublie la « spéciale Poitrenaud » de Rantanplan, et quarante cinq points, quand même. Contrairement à ce que disent les couillons, on ne s’est pas « mis à jouer dans les cinq dernières minutes », on a juste planté les deux derniers clous du cercueil à la fin, ce qui est normal. Ces deux essais sont la conclusion logique d’un travail de longue haleine, pas un retournement de situation. Franchement, les gens qui râlent sur ce sujet seraient capables de cracher sur un essai de cent mètres de dernière minute d’Heymans contre l’Angleterre. Si on dit que c’est du « French Flair », ça fera passer la pilule ou ce n’est toujours pas assez « bô-jeuh » ? Okay, y’a eu du déchet aussi. Des fautes de main, des fautes bêtes signées Papé et Millo, oui, oui, oui… Mais les véritables reproches qu’on peut faire à l’équipe de France sont encore et toujours au niveau de la gestion à l’intérieur de nos 22 mètres. Trinh-Duc ne semble pas en forme (même s’il claque un petit drop bien vu, le coquinou), pourquoi est-ce que Traille ne prend pas la position d’ouvreur sur les ballons délicats pour dégager proprement ? Les canadiens bombardent Jean Dridéal de chandelles dans l’espoir de lui casser sa belle gueule et sa petite taille ? Qu’importe, le capitaine Rougerie en fait son affaire et intervertit avec lui. Le motard de l’ASM impose son physique, montre qu’il a la situation en main et qu’il trouve des solutions dans l’adversité. Ce n’est pas nouveau, il y a un problème de leadership dans les lignes arrières, il faut absolument que des mecs comme Rougerie et Traille montrent la marche à suivre et s’affirment comme des patrons. A partir de là, il vaut mieux leur donner un maximum de temps de jeu, tout comme à Trinh Duc, légitimement stressé : il sait bien qu’on achève les ouvreurs français comme des chevaux de courses qui ont raté une haie en Coupe du Monde, demandez à Michalak. Il n’est pas à son meilleur niveau mais fait de son mieux, et quand on compare sa prestation avec celle de Quade Cooper contre l’Irlande, on se dit même qu’il gère assez bien la situation et que l’adversité va le faire grandir. En tout cas, entre la Coupe du Monde et la Coupe d’Europe avec Montpellier, cette saison 2011 – 2012 va lui apprendre le métier. Evidemment, on ne battra pas les Black avec ça. Mais en réalité, peu importe. Il vaut mieux ne pas trop se préoccuper du résultat contre la Nouvelle Zélande. Evidemment, il faudrait éviter le 75 – 11 et l’humiliation absolue de voir David Marty déposé pour la 5ème fois consécutive par une feinte de passe de Conrad Smith. Mais qu’on laisse passer l’orage de la 100ème de McCaw à l’Eden Park. Les Néo-Z en font une affaire d’état depuis des années et vont insupportables. Pas la peine de laisser des plumes là bas : il faudra faire ce qu’ont fait les canadiens face à nous. Etre concentrés, précis, ne jamais se désunir comme on sait si bien le faire quand il ne faut pas le faire, ne pas se focaliser sur le résultat pour peut être préférer une défaite cohérente. Faire un bon match, c’est tout. On est sur la bonne voie, il suffit de passer le gros grain des Blacks revanchards et surexcités sans trop de trous ni de voies d’eau. On prend ce match de poule pour ce qu’il est, c’est-à-dire une séance de préparation, tout comme les Tonga seront une dernière séance de préparation pour le seul match qui compte vraiment, le quart de finale contre l’Angleterre. Car si on arrive à cogner ces salopards, c’est carrément la voie royale pour la place de perdant magnifique en finale. Si c’est le Pays de Galles en demie, notre banc fera la différence. Si c’est l’Irlande, on se colle la murge de notre vie pour fêter l’occasion et pour célébrer la soixantième victoire d’affilée de la France sur les verts. Bref, ce France – Canada était le match qu’il fallait. Lièvremont est content, il a raison. On se prend un essai à la con, comme contre le Japon, mais on fait les choses proprement et sans douter une seule seconde. Et ça, vu notre légendaire force morale, c’est pas du luxe. Le pack maitrise, les forfaits Papé et Millo coutent six points, mais à force d’abnégation et de travail, ils en rapportent quatorze à la fin. Gros point positif : la France est pour ainsi dire la seule nation qui peut se vanter d’avoir une double troisième ligne de très haut niveau. Lakafia est un peu dessous des autres, normal, mais à côté c’est quand même ce qui se fait mieux avec l’Irlande ou la Nouvelle Zélande. Allez, juste pour le fun, la feuille de match qui semble se dégager en l’absence de Mas : Barcella – Servat – Poux – Nallet – Papé – Dusautoir – Bonnaire – Picamoles – Yachvili – Trinh Duc – Médard – Mermoz – Rougerie – Clerc – Traille. Sur le banc : Ducalcon – Swarzeski – Pierre – Harinordoquy – Parra – Marty – Heymans. L’idée est assez simple : du solide sur la pelouse. On laisse Papé s’amuser un peu, et en fonction du nombre de conneries qu’il fait, on fait rentrer Pierre plus ou moins tôt. Hari et Swar en légion étrangère d’impact players qui tapent dur, des mecs à conserver sur le banc pour les vexer de ne pas être titulaires et qu’ils se vengent en tapant tout ce qui bouge. Parra en Michalak susceptible de changer l’orientation d’un match. Dans la ligne, pas sur que Mermoz soit très efficace en défense, mais l’idée de mettre Marty ET Rougerie ensembles est quand même très hasardeuse. A côté de lui, il y aura quand même des types assez rudes, quand on se souvient la manière dont Médard avait écrasé les attaques de Chris Ashton à Twickenham lors du dernier tournoi, on peut se dire que ça devrait rivaliser contre une équipe de Nouvelle Zélande qui ne prend même pas la peine de mettre des vrais ailiers à leurs postes. Rantanplan en 15 pour tenir la boutique pendant une heure avant de faire entrer Heymans dans les vingt dernières minutes pour un coup de génie que personne ne comprend. Si on continue dans cette voie appliquée et qu’on prend bien soin de dire merde au « bô-jeuh » et aux fantasmes de poésie érotique du supporter moyen qui croit que le rugby, ça se résume aux vidéos des plus beaux essais de Carter sur YouTube, on peut avoir de belles surprises. Ah, c’est sur, ça ne flatte pas le couillon qui se dit qu’oh la la la, ils sont tellement forts les Boks ! Oui, enfin, coller cinquante points aux îles Fidji, qui reste, rappelons le une 658ème fois, une équipe entièrement constituée de gros branleurs sans tactique, ni mental, ni cohésion, incapables de former une ligne pour défendre ou de lever le nez pour regarder à deux mètres devant eux, c’est un peu le minimum syndical quand on prétend au titre. Faisaient moins les fiers devant le Pays de Galles, les sudafs. Face à la facilité et aux favoris à l’orgueil mal placé, il faut opposer un jeu simple, consciencieux et appliqué. Ca fonctionne. Sans mauvaise foi, on peut considérer que les Boks et les Anglais ont honteusement volé la victoire aux Gallois et Argentins, même si ces derniers restent de belles salopes. Et l’Australie s’est faite fist-fuckée en beauté, à sec et sans vaseline, par l’Irlande. Ca apprendra le métier à ces danseuses sans conviction de Cooper et cie, tiens. Un retour à la réalité ne fait jamais de mal. Bref, alors que les irlandais doivent avoir une trouille bleue à l’idée de faire la même que nous face à l’Italie et que les gallois ne sont pas encore sortis d’affaire, le XV de France est dans une position plutôt confortable. Pas de problème de bonus, un quart de finale à préparer sereinement, laissons venir, ça sent plutôt bon. Ca ne flatte pas le romantique, mais exception faite de la première édition, les Coupe du Monde ne se sont jamais gagnées avec des envolées lyriques. Olivier Pagne