Le Rugby pour les très très nuls qui n’y connaissent rien #5
par Jonny WillKillSoon

  • 16 July 2011
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Bon maintenant qu’on est presque intime, je vais vous faire une confidence : quand j’étais petit je rêvais de devenir pilier droit. C’est simple, je voulais absolument connaître les sensations éprouvées par les piliers lors d’une entrée en mêlée. La pression qui monte peu à peu, les commandements sourds de l’arbitre, le regard oppressant de la foule, la main du deuxième ligne délicatement posée sur son postérieur, le regard de fou à lier de son vis-à-vis et le rictus du talonneur bavant à l’idée de rentrer en travers pour vous briser la nuque. Bref toutes ces petites choses que nous, simples mortels, ne connaîtrons jamais. C’est quand même fou de se dire qu’il y a tout un aspect de ce sport qui restera un vrai mystère pour nous. Au final, seuls certains privilégiés, suite à un sacrifice diététique important, eurent, ont et auront la chance et le droit de découvrir les joies d’une mêlée. J’en suis réellement bouleversé. Parfois en substitut de ce manque, je fourre ma tête dans mon micro-onde pour mieux ressentir l’émotion de l’impact. Pas vous ? Ah oui c’est vrai que vous n’y connaissez rien au Rugby.

Chapitre 4 : Mêlée : un secret bien gardé.

Définition Wikipédia : « Au rugby à XV, la mêlée est une phase de jeu qui sanctionne une faute mineure ou un arrêt de jeu. Les avants de chaque équipe s’arc-boutent et se regroupent en bloc ou pack ». Pas la peine de poursuivre, ça vous revient ? On est d’accord, c’est bien à cause de la mêlée que vous avez arrêté de suivre le Rugby.

D’ailleurs vous vous en rappelez comme si c’était hier. C’était un dimanche, chez un ancien ami qui vous avait invité chez lui pour un après-midi « Tournoi des 6 Nations » supra-fun. Vous n’aviez pas réussi à décliner pour la 4ème fois de suite cette invitation et vous vous étiez donc retrouvé dans une cave glauque, assis sur un rocking-chair en bois aux grincements insupportables, avec une bande de bouseux alcooliques à boire de la bière brassée maison. Tout penaud, vous regardiez l’air absent le match entre les « Roses » et les « Poireaux », et entre deux chopes, une action attira votre attention. Suite à un plaquage du 12 rouge, le 15 blanc relâche le ballon qui s’échappe et sort en touche. L’arbitre du match convoque alors les huit plus balèzes de chaque équipe pour un rassemblement général. Là déjà il y a un problème, seize mecs sont appelés au hasard et parmi eux aucun n’était concerné par l’action. Pourtant tout le monde a bien vu que c’était le 15 et le 12 les responsables de ce fait de jeu. Vous scrutez autour de vous les réactions de votre improbable assemblée et aucun d’eux ne semble s’émouvoir de ce camouflet. Circonspect, vous restez attentif à la suite des événements. Et là l’inimaginable va alors se produire. Ce qui n’était au départ qu’une simple maladresse va se terminer en reproduction à échelle réelle d’une secousse sismique. Une phase de jeu appelée « mêlée » par le gros Thierry, et qui restera pour vous, le seul et unique OVNI télévisuel depuis la fin de l’ORTF et les émissions de Maritie et Gilbert Carpentier.

Les joueurs punis se regroupent uniformément, les rouges avec les rouges et les blancs avec les blancs. S’emboîtent puis s’arc-boutent face à face en trois lignes bien distinctes. Le silence accompagne cet insoutenable suspense. Le grincement de votre rocking-chair est à son paroxysme. « Crouch…Touch…Hold…Engage ». 4,2 sur l’échelle de Ritchie McCaw. Pas mal, mais le château de cartes s’effondre. A refaire. Une fois puis deux, au troisième broutage de gazon des deux premières lignes, l’arbitre intervient. « Le 1 rouge et le 3 blanc, venez me voir ». Pas satisfait de leur prestation, celui-ci vire un joueur de chaque pack, et refait faire une énième fois la mêlée. Votre corps ne l’a pas supporté et a cédé. A la fin du match le gros Thierry vous a délicatement réveillé en vous arrachant le bras droit incrusté dans le bois de la bascule et vous étiez rentré chez vous avec une formidable histoire à raconter à votre femme et vos enfants. Depuis ce jour vous avez définitivement dit stop à la drogue, au rugby et aux rocking-chair.

Finalement vous avez décidé de revenir sur votre décision et de faire une dernière tentative pour comprendre tout ça. C’est très sport de votre part. Cependant une question vous turlupine depuis ce dimanche après-midi de printemps : Comment et dans quel but a-t-on bien pu créer la mêlée ?

Je vais vous livrer certaines informations mais à mettre toutefois au conditionnel. Je pense que cette remise en jeu a été inventée pour occuper les piliers pendant les entraînements et leur donner un peu d’importance durant les matchs. C’est vrai, qui se soucierait de la première ligne sinon ? Peut-être le chef cuisinier de l’équipe et encore. Mais alors l’idée même de faire une « mêlée » m’échappe complètement. Ça devait sûrement être pendant une de ces réunions foireuses de l’IRB. Entre une suspension à vie pour tentative de « fourchette » et le tea-time à base de coke pure, le doyen de l’instance international de Rugby s’était adressé à ses sbires et leur annonça : « My friends, une nouvelle règle à vous soumettre j’ai. Don’t worry, équitable et compréhensible elle est. Quand les arrières seront maladroits, les avants souffriront. Quand les ballons seront glissants, les avants souffriront. Quand les rucks seront acharnés, les avants souffriront. Et pour diverses autres raisons, souffrir souvent les avants vont. Et pour souffrir, que la force soit avec eux, Dieu m’est apparu et il m’a donné la solution. Huit contre huit ils seront. Huit contre huit ils s’affaisseront. Et huit contre huit ils s’emboîteront dans un équilibre instable, afin de créer une emmêlée générale. Ce monstre à 32 jambes, visible de l’espace, aura pour but, de jauger la force et la puissance de chaque équipe. Alea jacta est. »
– Euh…quelqu’un veut du café ?

Cette déclaration aurait du resté sans suite, un peu comme un cri de désespoir d’Alain Penaud nu dans la cambrousse à jouer du ukulele mexicain. Seulement « aurait du » car se fût les dernières paroles du vieillard. Arrêt cardiaque post-overdose, imparable. Pour lui rendre hommage, tout le conseil international a décidé d’inscrire sa dernière volonté (ou folie) dans les règles officielles de l’IRB. Dans un problème de retranscription ils ont confondu « emmêlée » par « mêlée », mais en revanche, ils n’ont pas oublié de nous la mettre à toutes les sauces : après un en-avant, après un renvoi manqué, après une touche pas droite, après avoir enterré le ballon dans un ruck, après une mêlée effondrée, chahutée, tournée à 180°, etc. Le Père Fouras n’aimait pas beaucoup les Avants apparemment.

Alors que devez-vous absolument savoir sur cette phase de jeu avant le début de la compétition ? Commençons d’abord par le décryptage des commandements de l’arbitre avant chaque mêlée.

Crouch : To crouch = s’accroupir. Avec ce mot magique, l’arbitre ordonne aux deux packs de s’affaisser (flexion) et ainsi d’être en position idéale pour disputer la mêlée.

Touch : les 4 piliers se mettent une bonne gifle dans le bras, histoire de bien apprécier la distance qui les sépare et aussi pour intimider psychologiquement l’adversaire (l’expérience est très importante lors de cette étape).

Hold : ZzzzzZZzzzZZZzzz

Engage : Choc frontal. Collision. Bref si la mêlée tient, le « 9 » introduit, le talonneur talonne le ballon derrière lui, dans le but de faire ressortir le ballon vers son 3ème ligne centre afin qu’il puisse donner l’assaut.

Une mêlée solide et stable permet d’avoir un lancement de jeu serein et bien léché sur ses introductions. En cas de forte domination, elle peut même récupérer des ballons sur introduction adverse voire des pénalités. D’ailleurs ne dit-on pas « No Scrum No Win » (Pas de mêlée, pas de victoire). C’est vrai en Top 14 mais ça ne sera peut-être pas le cas à la Coupe du Monde. Explication.

Les piliers sont truqueurs, orgueilleux, malhonnêtes, fourbes et ils mangent le goûter de leur demi d’ouverture. Tout ceci fait d’eux des personnages attachants (surtout ici à la Boucherie). Mais en revanche pour les arbitrer ce n’est pas vraiment la même chose. Donc pour ne pas qu’il y ait de problème pendant la Coupe du Monde, entre les différentes cultures et les différentes tricheries, les mêlées risquent d’être sous-arbitrées afin qu’elles n’influencent pas (trop) la physionomie du match. Et puis si ce n’est pas le cas, il vous restera les commentaires perspicaces de Grégory Coupet qui vous expliquera avec panache les 99 bonnes raisons de siffler faute lors de cette phase de jeu.

« Mais alors si ce n’est pas avec les touches et les mêlées, grâce à quoi sera-t-il possible de gagner à la Coupe du Monde ? ». Attention ces deux phases de jeu seront primordiales pour lancer efficacement ses attaques et récupérer des ballons importants. Elles ne sont vraiment pas à dédaigner. Mais, dixit Vern, les rucks pourraient bien être la clé de la réussite cette année. Ça tombe bien, c’est le sujet du prochain chapitre…

Johnny WillKillSoon