L’histoire du jour de Pierre Albala-Dijo
par La Boucherie

  • 14 May 2011
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Je dois avouer qu’en me réveillant ce matin, j’avais une petite boule au ventre. Comme avant chaque match, à l’époque. D’ailleurs je viens de penser que j’avais quelque chose à vous raconter. L’histoire du jour donc.

Alors, on est en 1973 je crois. Temps maussade, un gris bien automnal, une fine bruine qui nous érafle les pommettes. Surtout qu’avec la crème chauffante sur les cuisses et les bras, on n’est pas loin de l’hydrocution. Bref, on joue Grenoble. Le monstre de la poule dans cette catégorie Reichels. Premier du championnat, déjà qualifié pour le championnat de France. Et puis un pack du tonnerre.

Les piliers sont des viandars, dont un mec qui semble avoir été élevé dans une ferme, en portant des bottes de foin de 50 kilos, cinq fois par jour, un dans chaque vérin. On a peur. Surtout qu’avec les gars on a tourné la veille, la tourné des Grands Ducs, comme à la parade. Rentrés 5h, noirs complets. Bref, le coach nous prend aux tripes. « On est pas venu là pour être ici », « On va pas parler technico-tactique pendant deux heures, on va y aller avec une grosse paire et on va les destroncher, ok ? ». Oui chef. Y en pas un qui bronche dans le vestiaire, incrusté dans un pré-fa qui sent le synthol. C’est là que le médecin arrive…

Il nous explique qu’aux grands maux, les grands remèdes. Que son père avait perdu un œil ici, il y a 20 ans. Pour se venger, il veut nous refiler des cachets miracles. Histoire d’être chauds comme des baraques à frites sur le terrain. Prêts à tout casser. Ni une, ni deux, on avale ces petites pilules. On se sent de plus en plus forts. Les coups de têtes dans les douches résonnent dans tout le vestiaire. Et même dehors il parait.

Grenoble, c’est dans cinq minutes. On se serre, on se frotte le crane. Les liens se font, encore une fois. On se dit des choses qu’on ne s’est jamais dites. Ce match là, on n’a pas le droit de passer pour des peintres. Y a nos familles, nos copines dans les tribunes. Pas envie de passer pour des gigolpinces. On est au sommet de notre art. Notre 10 tape le coup d’envoi. Ca monte comme des morts de faims sous le ballon. Le deuxième ligne qui reçoit le ballon a du voir les étoiles au moment où Lulu lui mettait l’épaule dans le buffet. Bim. En-avant. Première mêlée du match. Pendant la semaine, on s’est dit qu’on allait charger. Bizarrement, ça sent l’entourloupe.

Flexion – Stop – Entrez. 50 centimètres d’écart entre les piliers adverses qui prennent un tête contre tête magistral. On pousse fort. Les Grenoblois prennent l’eau et reculent de 10 mètres. Un grand moment de jouissance. L’un des plus beaux souvenirs de ma carrière, les enfants. Ce produit dopant est tentac’. A la mi temps, on en redemande aux soigneurs. Le médecin s’infiltre encore et nous sourit. « Les gars, vous êtes vraiment des truffes. C’était de la vitamine A. C’est dans la tête, c’est dans la tête… C’était la plus belle mêlée que j’ai vu » qu’il nous a dit. Putain d’effet placebo.