A la découverte de Vern Crotter (1/2)par Vern Crotteur 19 April 2011 % C’est dans sa vieille ferme des Monts d’Auvergne que Vern Crotteur a accepté de nous recevoir. Une vaste demeure, «achetée pour une bouchée de pain» à un vieux couple nécessiteux, comme il nous l’avouera plus tard … L’homme est réservé, presque timide au premier abord, et nous reconnaissons bien là la marque de fabrique de ces joueurs venus de l’autre bout du monde. Fils et petit-fils de paysan, «de bouseux» si l’on s’en tient à sa propre expression, Vern est avant tout un homme de la terre. Et comme tout paysan marqué par des décennies d’isolement et de consanguinité, il a le verbe rare. Il nous faudra donc déboucher plusieurs bouteilles avant d’en tirer quelques chose. Entre deux verres d’alcool à 90°, Vern nous confiera d’ailleurs qu’il était même surnommé «Rain Man» par certains de ses coéquipiers. Et d’ajouter qu’après deux thérapies comportementales infructueuses, il a fini par régler le problème à s’adonnant à la boisson. Nous ne demandons évidemment qu’à le croire et nous lui remplissons illico son godet d’un triple fond de notre gnôle infâme. La méthode semble probante, car la langue de Vern se délie. Affalé sur son canapé clic-clac Ikéa, son godet désormais posé sur la tête, l’homme va lentement se livrer. Le tout dans un français bien particulier, où les sonorités rugueuses de sa patrie se mêlent aux crachats bien baveux dont il gratifie nos bottes. Un autre Vern s’offre alors à notre regard, un homme sensible et ouvert, à l’opposé de l’image fruste que les médias traditionnels ont bien voulu en donner … Comme son illustre modèle, Vern Crotteur est né au milieu des vertes collines d’Aotearoa, non loin des plages de Mount Manganui. Un monde préservé, en phase avec la nature. Sur le visage de Vern, l’émotion est visible quand il nous parle de son pays: «D’un côté des pâturages à perte de vue, de l’autre l’immensité du Pacifique … Le trou du cul du monde quoi». Né avec un ballon de rugby (mal gonflé) dans son berceau, Vern ne rêve que d’une chose. Devenir un All Black. Il grandit sur la ferme familiale, où il s’essaye déjà très jeune à ses activités favorites, «le rugby, un peu, mais surtout égorger des chèvres sauvages». C’est d’ailleurs au cours d’une partie de chasse qui tourne mal, que le rêve du jeune Vern s’effondre. En effet, d’un coup de machette malencontreux, il se tranche le tendon d’un doigt … Premier coup du sort. Victime du syndrome du «finger of honor», une affection dégénérative incapacitante, Vern sait que la porte des Blacks vient de se refermer pour lui. Mais c’est un teigneux, qui ne rechigne pas à travailler dur pour arriver à ses fins. Après plusieurs années d’entrainement, il est finalement sélectionné en équipe 3 de sa grammar school, où il a l’occasion de se frotter au gratin du rugby handisport néo-Z, dont les célèbres frères Tapluidanlné qui, bien que manchots dans la vie, n’étaient pas si manchots quand il s’agissait de distribuer des marrons, ou encore le grand ailier unijambiste d’origine fidjienne Sérien Kinbobo. Les prédispositions naturelles de Vern pour la manchette moldave vont d’ailleurs attirer l’attention d’un futur entraîneur des Blacks, Graham Honni, à l’époque maître d’école à l’internat de la maison de correction d’Auckland. Mais entre les deux hommes, le courant ne passe pas. Avec le recul, Vern fait aujourd’hui un constat lucide sur son premier mentor: «Graham était un enculé de première, c’est aussi simple que ça». Après une explication franche et virile, les choses finissent cependant par rentrer dans l’ordre. Frappé (au sens premier du terme) par Vern, Honni va intégrer le jeune homme à l’équipe première de son XV carcéral. C’est là que Vern fait ses armes, en affrontant les autres provinces du pays. Tout le monde a encore en mémoire les duels livrés à mort (non, vraiment, à mort) contre les sélections maoris des Counties Manukau, plus connus sous le nom des «égorgeurs de Manukau», mais aussi ce quart de finale de légende contre l’équipe à abattre de l’époque, les Canterbury Criminals. Un match phare qui marquera les corps, à défaut des esprits, puisque faute de vainqueur après prolongations, la rencontre se terminera par une séance de tirs aux riots guns, remportée trois morts à un par les gros bras de l’île du Sud [note de la rédaction: pour d’obscures raisons de marketing, la province de Canterbury a depuis changé son nom en Canterbury Crusaders, un terme qui en dit nettement moins sur le rugby total pratiqué par cette franchise]. Las, le rugby n’est pas encore professionnel et Vern est obligé de travailler pour pouvoir se consacrer à sa passion. Il s’occupe comme il peut sur la ferme familiale, dont il gère le local de dépeçage et d’équarrissage. D’ailleurs, il aura toujours à cœur de reproduire sur le terrain ce que son métier lui aura enseigné au quotidien. À tel point qu’il est même pressenti un moment dans le squad rajeuni des Blacks, malgré sa main mutilée, avant d’être coiffé sur le fil par un autre handicapé célèbre, Wayne alias «Bring Back Buck» Shelford, amputé du scrotum lors de la célèbre bataille de Nantes, dont de nombreux amateurs de rugby et cocaïnomanes français se souviennent encore avec délectation. Aigri par ce revers, son rendement sur le terrain s’en ressent et Vern ne se cantonne plus qu’aux taches obscures. Mais après une ultime sanction disciplinaire pour tentative de meurtre, Vern n’en peut plus, « ils m’ont suspendu trois mois pour un placage tout bête, avec enfoncement de la tête dans le gazon et vrillage de la colonne en double hélice». A bout de nerfs, il décide de quitter Auckland et son pays natal pour la France, un pays dont la «culture rugby» lui est plus proche…