Objectif coupe du monde : Vern Crotteur fait (déjà) le bilan de l’ère Marco …
par Vern Crotteur

  • 17 June 2011
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Salut les Frenchies !

Certains d’entre vous seront sans doute étonnés. Quoi ? Le bilan du sélectionneur national avant même le premier match de la compétition ? C’est vrai, la tradition voudrait qu’on attende l’élimination de l’équipe, quelque part entre la fin des matches de poule et la finale… Ne dit-on pas, dans la vallée des gaves, que c’est au retour du bétail qu’on compte les bouses ?

Pas faux. Mais moi, tel un Alain Delon du rugby, je passe outre les conventions et la bienséance, j’attends pas … Tant que ça peut faire parler de moi, je me fiche des critiques, des jaloux et des ingrats. Et puis, comme disait l’ami Fritz dans les Tontons flingueurs, « la bafe du krapeau n’embêche pas la karafane de basser ».

Ou, pour paraphraser le style inimitable de papy Villegueux, intermittent du Merdol et permanent des explications incompréhensibles: « en rugby, la performance s’inscrit dans un rapport de force continu, à la fois individuel et collectif. L’analyse de cette performance ne saurait reposer uniquement sur des observations empiriques conjoncturelles, c’est-à-dire liées à la phénoménologie particulière des aptitudes physiques, techniques ou tactiques déployées à l’occasion d’une compétition quadriennale».

Pour ceux qui n’auraient rien compris aux élucubrations de ce grand Gana du rugby français, il veut dire tout simplement que ça sèche peut-être une larme d’être bon une fois tous les quatre ans, mais c’est pas une excuse pour jouer comme des grosses merdes le reste du temps.  Un peu dur peut-être comme constat, mais au moins c’est franc et honnête.

Parce qu’il faut bien avouer qu’il y a une belle dose d’hypocrisie à dire qu’on va attendre la fin de la coupe du monde pour faire le bilan du travail accompli depuis quatre ans. Soyons clair, ça fait des semaines, sinon des mois que les faux-culs fourbissent leurs armes dans leurs salles de rédaction, ou leurs salles de conférence climatisées, en attendant de crucifier Marco, au cas où il se planterait en octobre. Ou alors, si d’aventure le Quinze de France faisait une belle perf, ils vont le couvrir d’éloges, en louant ses talents de visionnaire et de meneur d’hommes… Mais moi, je mange pas de ce pain-là. Je sais que j’avance en terrain miné, mais c’est aussi ça l’esprit rugby, faut oser, merde…

Alors, si on fait abstraction de la grand messe à venir, que retenir dès à présent des quatre années de l’ère Marco ? Assurément déjà, que la période 2007-2011 entrera dans les annales du rugby français comme une période de rupture… Rupture de style d’abord.

Difficile en effet d’imaginer un contraste plus saisissant qu’entre le Kaiser, alias Bernie le dingue, et Marco, gentil animateur du centre aéré de Marcoussis. Cette différence de style s’est répercutée sur la stratégie de communication. Bernie était peut-être détesté de (certains de) ses joueurs, mais il était adulé des médias, et pas seulement pour son parler aux accents rocailleux, fleurant bon le cassoulet et le confit d’oie… A côté de cette bête médiatique, il était clair d’emblée que le petit Marco ferait pâle figure. Et sa communication chaotique, incohérente et inaudible ne l’a certainement pas aidé dans sa tache. Il faut dire que la méthode consistant à encenser les joueurs un jour et à le traiter de lâches le dimanche suivant ne passe pas forcément, surtout pas auprès des principaux intéressés.

Mais cette cacophonie médiatique, l’une des constantes de l’ère Marco, n’est sans doute que le reflet des errements sportifs du staff. Bien sûr, certains éléments de l’équation étaient déjà en place lors de la prise de fonction du sélectionneur. Les problèmes ­–­ et les excuses – ne manquent pas. Entre les insuffisances du plan de formation des joueurs, la trop grande place qu’occuperaient les joueurs étrangers, le calendrier trop chargé du TOP 14, Marco n’y est pour rien. Et puis, rappelez-vous surtout du contexte de sa prise de fonction… Coupe du monde 2007, le match pour la 3e place. Les joueurs s’étaient soi-disant libérés du carcan imposés par Bernie. Fini le jeu par blocs, modulé à la sauce française, façon essuie-glace « large-large ». On allait voir ce qu’on allait voir ! Contre les Argentins, sortes de tracteurs diesel habitués à jouer à 2 à l’heure, on allait leur montrer, avec Freddy à la manœuvre. Les petits gars, emmenés par un capitaine semi-retraité, allaient mettre le feu aux poudres et renvoyer les danseurs de Tango à leurs chères études ! Effectivement, on a vu… un beau match, ponctué d’un festival d’essais argentins. Le French Flair était taillé en pièces, la fierté rugbystique nationale aussi.

Dès lors, l’arrivée de Marco s’inscrivait dans une double équation : non seulement monter une nouvelle équipe, avec ses convictions à lui, mais aussi et surtout redorer à tout prix le blason écorné du rugby français. Retour à l’intelligence situationnelle, à une certaine liberté d’action et d’initiative. Flanqué des frères siamois Mimile et Dédé, le jeune entraîneur a été présenté comme le sauveur. Il allait redonner au Quinze de France une part de cette insouciance de jeu, de cette légèreté apparente à laquelle pense Daniel Herrero quand il parle de la France comme de cette «éternelle adolescente du rugby mondial». Mais le jeune entraîneur était aussi attendu… au tournant. Et rarement un changement à la tête de la sélection n’aura été plus visible sur le terrain, dès la première année, avec des résultats aussi mitigés, dès le premier Tournoi.

Dans la pratique, on a assisté à un jeu un peu foufou, avec des joueurs qui relançaient de partout, même à un contre quatre. Un peu à la manière de mon 3/4 handisport Murimurivalu … Des belles intentions somme toute, pas toujours bien récompensées, mais un jeu enthousiasmant et prometteur par certains aspects, malgré quelques sérieux couacs, comme cette mêlée tordue dans tous les sens par de modestes Écossais.

Et ce sont justement les critiques parfois outrancières, celles de la presse ou d’entraîneurs pas toujours bien intentionnés, qui auront raison des convictions de Marco. Ceux qui s’attendaient à ce que le sélectionneur campe sur ses positions, qu’il travaille dans la continuité, en auront été pour leur frais. Dès 2008 s’amorce le retour progressif à un jeu plus frileux, un rugby austère et stérile, celui que l’on maîtrise dans les joutes sans pitié du championnat de France. C’est avec ce rugby-là que Marco remportera son seul grand chelem, en 2010, en jouant l’Irlande et l’Angleterre à domicile, et en battant cette dernière sur la seule puissance du pack et la fiabilité de son botteur … Là où Néo-Zélandais, Australiens et même Anglais persistent et signent, le soufflé français s’aplatit comme une crêpe.

De ses intentions du début, Marco n’en a gardé qu’une, celle de faire valser les joueurs. D’abord présenté comme une large revue d’effectif, la méthode est peu à peu devenue la marque de fabrique du sélectionneur, une politique qu’il a maintenu, envers et contre tout, jusqu’au 5 mai 2011. Au total plus de 80 joueurs testés, 12 charnières, 26 combinaisons au centre, 17 trios arrière … Même des joueurs de PRO D2 s’étaient mis à espérer !

Au final, cette instabilité chronique de l’effectif et du jeu aura été partiellement responsable du naufrage de Flaminio, et de toutes les autres défaites records qui l’ont précédé… inutile de remuer le couteau dans la plaie. Les rares succès d’envergure, comme cette tournée remportée en 2009 en Nouvelle-Zélande, face à des Blacks en reconstruction, ou cette victoire contre des Boks au creux de la vague, à l’automne de la même année, ne doivent pas faire illusion. Quatre ans après sa prise de fonction, Marco est le premier à le reconnaître : « on repart de zéro », autant au niveau du jeu que des joueurs. À l’heure où les grosses cylindrées resserrent leur effectif, travaillent leurs automatismes et peaufinent les réglages, l’équipe de France elle est un immense chantier.

Alors quoi ? Quel jeu ? Pour quels joueurs ? Entre un rugby pragmatique, basé sur le sacro-saint tryptique du TOP 14 « pression – jeu au pied – récupération », et un jeu plus ambitieux, fait de mouvement et de prise de risque, qui peut dire aujourd’hui quelle sera la voie choisie ? Difficile de se prononcer. D’autant que les joueurs eux-mêmes sont sans doute un peu perdus. Le fameux cahier de jeu n’y aura rien changé. Lorsque le nom des deux centres change à chaque match, que le trio arrière est en reconstruction permanente, qu’il n’y a jamais de numéro 8 indiscutable et que la charnière joue de plus en plus souvent sur le reculoir, à mesure que le pack se grille à force d’avancer à grand coup d’épaule, il n’y a pas vraiment à s’étonner de l’indigence offensive de l’équipe.

Seule constante dans cette politique de sélection, les fortes têtes, les caractériels et les teigneux ont été poussés vers la porte de sortie. Exit les Fritz, Dupuy, Bastareaud et Cie. Merci et bon vent ! Chabal, qui a eu pendant longtemps «toute la confiance» du sélectionneur est éliminé sur la dernière ligne droite. Traitement similaire pour Jauzion et Poitrenaud, souvent vantés comme des pièces maîtresses du Quinze tricolore. Leur club ne s’en plaindra pas, vu la performance éblouissante des deux joueurs lors de la finale 2011 du championnat.

Une atmosphère de fin de règne s’est désormais emparée du domaine de Ballejame. Marco et ses deux accolytes ont abandonné depuis longtemps toute prétention de logique et de cohérence dans leurs choix.

Les lueurs d’espoir sont rares. Le retour en grâce d’un Picamoles et l’arrivée du jeune Lakafia sont à saluer, mais arrivent un peu tard. Trop tard ? Pour toute autre équipe que la France, on aurait sans doute répondu par l’affirmative. Mais s’il est une nation de l’Ovale qui est capable de passer de l’ombre à la lumière en quelques semaines, ou quelques mois, c’est bien la France… Et si on peut espérer une chose, c’est bien celle-là, un match, un seul, un quart de finale flamboyant pour faire de nouveau rêver tous les amoureux du rugby français. Au-delà, tous les rêves seront permis.

Vern