Biographie (fictive) de William Servat
par La Boucherie

  • 19 November 2011
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William Servat signant des autographes à la sortie d’Ernest Wallon

Par S.K du recommandé blog Keposport,

Le 9 Février 1978, un jeudi comme les autres se dit-on à l’époque dans la bourgade de Saint-Gaudens, emprisonnée dans cet hiver rugueux qui s’abat sur le pays gascon depuis quelques semaines. Les Saint-Gaudinois sont bien loin de s’émouvoir lorsqu’ils apprennent la construction quelques jours plus tôt de la toute dernière Coccinelle dans les usines allemandes, bien loin de leurs considérations principales à ce moment-là. Pourtant, la maternité de la sous-préfecture de Haute-Garonne va connaitre un évènement dont elle pourra se targuer dans les décennies à venir. Non pas la sortie d’une petite citadine mais plutôt d’un char d’assaut. Dans ce froid meurtrier, le petit William voit le jour et doit déjà lutter pour s’en sortir au sein de la clinique à peine chauffée, emplissant de joie ses parents. Pourtant, il faut rapidement écourter les réjouissances pour retourner au dur labeur des champs, triste quotidien de la famille.

Dans ce cadre, le dernier né du clan Servat va grandir, développant déjà des aptitudes physiques impressionnantes pour son jeune âge, pour le plus grand plaisir de son paternel, aimant mais dur parfois, ravi de trouver en son jeune fils de 4 ans un fidèle manœuvre pour l’épauler dans les tâches quotidiennes qu’impose le travail agricole. William creuse la terre en l’assénant de coups de poing, la laboure en parcourant le pré à toute vitesse et s’excuse même lorsque emporté par son élan, il ne peut stopper sa course et percute un chêne de vingt mètres, l’abattant au passage. Les prémices de la bûche diront certains. Mais c’est en tout cas un des premiers signes d’une des caractéristiques qui le définiront plus tard. William est gentil, timide et réservé. Trop parfois. Comme le jour de ses 5 ans, où malgré l’anniversaire, il faut aller travailler comme d’habitude. Il accompagne donc son père partout, et notamment à l’étable pour rajouter du fourrage. Mais le taureau de la famille n’apprécie pas d’être dérangé en plein repos et profite d’une barrière mal fermée pour se précipiter sur le pauvre William, heureusement sans dégât. Terrorisé, il passera la journée à sécher ses larmes jusqu’à ce que le paternel le prenne entre quatre yeux dans la cuisine, près de la table en formica et lui annonce cette phrase qui le marquera à tout jamais :

« Lorsque ta plus grande peur fond sur toi mon garçon, ne recule pas. Prends une grande inspiration, et rue-toi sur elle, encore plus vite qu’elle, le regard décidé. »

Ainsi va continuer la jeunesse de William Servat, compliquée et épuisante, durant laquelle les moments de détente se font rares et où le rugby n’a pas encore pris sa place. Pourtant, le désormais jeune adolescent s’accorde quelques instants de plaisir, comme celui qui l’amènera sur un terrain de XV. La journée est ensoleillée et la récolte de l’année est abondante. Autant dire du boulot en perspective pour la famille tout entière. Mais William est introuvable depuis le début de l’après-midi. Après avoir parcouru le domaine, le père Servat entre dans la grange et là, stupeur. Son fils se trouve bien ici, son walkman sur les oreilles, chantant à tue-tête le dernier tube de Genesis, I can’t dance, enregistré un peu plus tôt à la radio. Il remue les épaules, monte dans les aigus, et virevolte, tout heureux de se laisser aller à ce plaisir musical. Mais lorsque le morceau se termine, William exécute sa dernière toupie et se retrouve nez à nez avec son géniteur. Mauvais quart d’heure en perspective et le garçon préfère cette fois prendre la fuite sur son solex.

Bonne idée, sauf lorsque l’on a oublié de faire le plein et que l’on se retrouve à sec au beau milieu du village de Mazères sur Salat. C’est l’heure de la sieste ici, et après un quart d’heure de marche, William ne trouve pas âme qui vive jusqu’à ce qu’il arrive finalement sur le terrain de rugby du club local. Une partie se dispute au moment-même, et celui qui semble être l’entraineur bondit, furieux sur le bord de la touche. Trois de ses joueurs lui ont encore posé un lapin et l’équipe risque d’être contrainte de déclarer forfait. Mais au loin, il repère la silhouette déjà imposante du jeune homme et l’interpelle.

« Dis tu fais quelque chose en ce moment ? Non ? Alors enfile ce short et rentre sur le terrain. »

Encore trop poli et timide pour refuser, William se saisit du vêtement tendu par son entraineur et s’exécute. Mais il ne comprend pas vraiment ce que font ces trente bonhommes à courir derrière une balle même pas ronde. Puis arrive l’instant redouté, ce fameux ballon lui est transmis. Si lui ne sait pas bien ce qu’il fout ici, le deuxième-ligne adverse ne se pose pas de question et entame sa course pour trancher de la barbaque comme l’on dit là-bas. Lancé à pleine vitesse, l’écume aux lèvres, tout le monde y compris William, s’attend à une véritable boucherie, un massacre. Puis résume dans sa tête la phrase gravée dix ans plus tôt au plus profond de sa mémoire. Ne recule pas… Rue-toi sur elle… S’il s’attend à recevoir une belle trempe en rentrant à la maison, notre jeune Servat se dit qu’ici il ne pourra rien lui arriver de pire et qu’il peut au moins tenter de mettre en pratique ce précepte que son père soit au moins fier de lui. Il serre alors de toutes ses forces la gonfle et démarre lui aussi sa chevauchée, le regard noir, plus vite, plus fort que son opposant. Le choc est terrible et le pauvre seconde latte terminera sa carrière sur cette action. Pour William au contraire, ce n’est que le début.

Epoustouflé, ravi, et éloquent, le coach ne tarit pas d’éloges lorsque le soir il raccompagne le gamin chez lui pour lui éviter de prendre un soufflon.

« Il a des mains comme des battoirs, la force d’un Massey Ferguson en plein moissonnage, un front à péter des murs en briques à coups de carafon, et le menton comme un pare-choc de Land Rover. Vot’ gamin là, j’en fais un champion du monde ! »

Bon pour l’instant, il a tout juste exagéré. La suite, on la connait un peu plus. Après seulement deux ans de rugby, William monte à la ville comme on dit, et intègre le sport-étude au lycée de Jolimont à Toulouse. En 1999, à 21 ans, avec encore quelques cheveux sur le caillou, il dispute déjà son premier match avec le Stade Toulousain, qu’il ne quittera alors plus. Cinq ans plus tard c’est l’équipe de France qui s’ouvre à lui et qu’il ne quittera plus non plus, la laissant simplement quelques mois le temps de se remettre d’une vilaine blessure au dos qui le verre revenir encore plus fort.

Depuis, Toulouse puis la France n’ont de cesse de découvrir le talent de cette force de la nature, arrivée sur le tard. Celui que l’on surnomme La Bûche, ou Monsieur Indestructible, est désormais considéré et reconnu comme le tout meilleur à son poste dans le monde entier figurant parmi la Dream Team de l’ERC.

S.K.