France–Pays de Galles : le debriefing de Vern Crotteurpar Vern Crotteur 17 October 2011 7 Une fois de plus, les envoyés spéciaux de la Boucherie ont mis la main sur Vern Crotteur, pour un entretien d’après-match désormais rituel. Retour sur les éléments clés de la rencontre, du carton rouge à Warburton jusqu’au jeu étriqué des bleus, en passant par les erreurs commises par les Gallois. A la Boucherie, nous avons poussé un grand « ouf » de soulagement au coup de sifflet final. Et vous ? – Forcément soulagé aussi, car les Gallois auraient encore pu l’emporter dans les arrêts de jeu. Ma finale de rêve, ça a toujours été les Blacks contre la France. On va y avoir droit maintenant. De nombreux supporters gallois, et même les spectateurs « neutres », jugent que les Français ne méritent pas leur qualification. Partagez-vous cet avis ? – Absolument pas. On peut évidemment comprendre la déception des Gallois. Ils avaient une très belle équipe, qui a produit un rugby intéressant et agréable à voir pendant l’ensemble de la compétition. Mais en définitive, il leur a manqué certains ingrédients de base pour s’assurer une place en finale. Avouez tout de même qu’ils ne l’auraient pas volé, s’ils avaient battu les Bleus. – Bien sûr, ils auraient pu se qualifier. Mais ils ne l’ont pas fait. Je note d’ailleurs que si les Gallois ont battu les Irlandais, ils ont échoué à deux reprises face à des adversaires pratiquant un jeu plus restrictif. Les Springboks et les Bleus ? – Oui, et c’est significatif. Les Gallois ont du mal quand ils sont pris sur les basiques. Lors de la demi-finale, il y a aussi la dimension affective et mentale qu’ils ont beaucoup moins bien abordée que les Français. On sentait pourtant les Gallois très motivés… – Motivés, ils l’étaient, peut-être trop même. Je crois que cet excès d’enthousiasme explique aussi le placage dangereux de Warburton sur Clerc. Les Gallois se sont laissés emporter un peu par l’émotion, contrairement aux Français qui ont gardé la tête froide, parfois même trop froide, jusqu’au bout de la rencontre. Alors justement ce carton rouge, mérité ou non ? – Pour moi, il est absolument justifié, compte tenu des directives données aux arbitres. C’était un placage extrêmement dangereux. Même si Vincent Clerc ne s’est pas fait mal en définitive, il aurait pu être très gravement blessé. Donc pour moi, l’arbitre a pris la bonne décision. Ce genre de geste ne doit plus se produire sur un terrain. S’il faut en passer par des cartons rouges en demi-finale de coupe du monde, eh bien tant pis, Warburton connaissait la règle… Mais le carton rouge fausse un peu le match non ? – C’est difficile à dire. Ceux qui croient qu’à 15 contre 15 les Gallois l’auraient emporté pensent évidemment que c’est un moment décisif. Mais le rugby ne fonctionne pas comme ça. On peut même penser que le carton rouge a libéré encore un peu plus les Gallois, qui savaient qu’il ne leur restait plus qu’à se surpasser pour gagner, alors que les Français sont rentrés un peu plus dans leur coquille. Vous croyez que le carton rouge a davantage pénalisé les Bleus ? – Mentalement oui. Après la sortie du pilier Adam Jones sur blessure, puis celle de Warburton sur carton rouge, les Français ont du se dire qu’ils ne pouvaient plus perdre ce match. Et lorsque la peur de perdre s’immisce dans le cerveau des joueurs, ça paralyse le jeu de l’équipe. C’est ce qui s’est passé pour les Français, qui se sont cantonnés à leur stratégie pré-établie. C’est-à-dire ? – Les Gallois avaient besoin d’emballer le match pour pouvoir jouer leur jeu dynamique. Il leur fallait imposer un rythme soutenu pour faire rentrer leurs joueurs les plus pénétrants dans les intervalles. L’idée pour les Français, c’était de les en empêcher et d’exploiter éventuellement les ballons de contre qui se seraient présentés. Donc comme on pouvait s’y attendre, les Bleus laissé l’initiative aux Gallois, mais ils ont cherché à bien quadriller défensivement le terrain, dans toute la largeur, pour ensuite forcer des turnovers sur des situations de surnombres défensifs dans les rucks, au bout de plusieurs temps de jeu. De cette manière, les Français espéraient aussi obliger les Gallois à jouer au pied, ce qui donnerait des munitions au trio arrière bleu. Mais on n’a pratiquement pas vu de tentative de contre-attaque française. – C’est juste, et c’est certainement dû en partie au contexte mental de la rencontre, après l’expulsion de Warburton. Quand ils ont eu des ballons, les Français ont préféré déplacer le jeu au pied dans le camp gallois, plutôt que d’oser jouer à la main. Maintenant, sur le fond, il est clair que l’équipe de France a un gros problème en attaque. On le sait, ça ne date pas d’hier. C’est malheureusement le plus gros échec de Marc Lièvremont, indépendamment de la qualification pour la finale. Mais à ce stade de la compétition, il faut faire avec et jouer sur les points forts de l’équipe. Par rapport à ça, les choix offensifs réalisés s’inscrivent dans une certaine logique. Et contre ces Gallois alors, les choix ont été bons ou pas ? – Pour se mettre réellement à l’abri, il aurait sans doute fallu en faire un peu plus, notamment en début de deuxième mi-temps. Mais c’est difficile de forcer ce genre de coup, quand on sent tout le monde fébrile. Surtout sur des contre-attaques, si un joueur s’engage sans que ses soutiens soient réactifs, c’est le meilleur moyen de perdre le ballon ou de se faire pénaliser. Donc vous êtes plutôt d’accord avec les choix de jeu français ? – Oui, à partir du moment où les Français dominaient outrageusement la conquête et qu’ils ne voulaient pas prendre trop de risques en attaque. En mêlée fermée, les Français régnaient en maîtres. Dans ce secteur, la sortie d’Adam Jones a très vite pénalisé les Gallois. Mais l’autre grande satisfaction pour la conquête française, c’est la touche. Peut-être, mais en touche comme en mêlée, les Gallois avaient un joueur de moins… – Sur la conquête, l’expulsion de Warburton n’a pas joué autant qu’on pourrait le croire. Warburton est avant tout un joueur de franchissement et de soutien. C’est donc davantage dans le jeu courant que son absence a peut-être pesé. En mêlée en revanche, les Français étaient incontestablement dominateurs. Et en touche, les Gallois ont réduit l’alignement pour ne pas se retrouver à un joueur de moins. Malgré cela, ils ont perdu 30 % des ballons sur leurs lancers ! C’est énorme, quand on sait qu’à ce niveau-là, les équipes gagnent généralement 90 % de leurs touches. Comment expliquer cette défaillance ? – D’abord par la qualité de l’alignement français, qui a considérablement rehaussé son niveau de jeu depuis le match contre le Tonga. La titularisation d’Imanol fait beaucoup de bien au Bleus à cet égard. Et c’est notamment du fait de leur domination en conquête que les Français auraient pu et du en faire un peu plus offensivement. Les occasions étaient là, d’autant que les Gallois avaient été privés de l’un de leurs meilleurs plaqueurs. Alors on peut effectivement regretter que les Français n’aient pas été plus entreprenants par moments. Marc Lièvremont a essayé d’amener un peu plus de dynamisme en faisant entrer Swarzewski et Barcella. – Oui, il a certainement voulu amener plus de tonicité dans le jeu français, notamment au ras des regroupements, où les Gallois sont peut-être un peu plus friables. Mais je ne suis pas sûr que ces changements s’imposaient à ce moment-là, car ils ont mis un terme à la période de domination absolue des Français en mêlée fermée. Du coup, les Gallois ont eu quelques ballons de plus à négocier, alors que leur conquête était auparavant catastrophique. Et ils marquent finalement un essai aussi… – Un essai mérité, mais sur une faute de défense assez basique. Puisque Nallet monte sur un joueur extérieur au porteur du ballon, alors qu’il aurait du garder son intérieur tant que Philipps n’avait pas fait de passe. Heureusement que les Gallois ne transforment pas l’essai ! Ils ont manqué beaucoup de points au pied… – Oui, encore une fois, ils ne sont pas à la hauteur sur les fondamentaux. Ils n’ont pas été bons en conquête et ils ne réussissent que 20 % de leurs tentatives au pied. Ils laissent 11 points en route, là où les Français font du 100 %. L’entrée de Stephen Jones n’y a rien changé. – Non, il n’a pas été supérieur à Hook dans l’alternance du jeu et surtout, il n’a tenté à aucun moment ce drop qui aurait pratiquement été synonyme de victoire galloise lorsque le score était de 9 à 8 pour les Français. Encore un élément basique que les Gallois ont mal maitrisé ? – Certainement. Il faut rappeler qu’ils étaient revenus à un point des Bleus avec 22 minutes de jeu restantes. Et en 22 minutes, ils n’ont pas tenté une fois le drop, alors qu’ils avaient le vent en poupe et qu’ils étaient en position très favorable. Pourquoi n’ont-ils pas essayé ? – D’abord parce qu’ils pensaient obtenir au moins une pénalité bien placée. Mais les Français ont extraordinairement bien défendu dans le dernier quart d’heure. La physionomie du match m’a d’ailleurs rappelé le quart de finale d’il y a quatre ans contre les Blacks. Et même si les Français ont été en permanence sur la défensive pendant les 15 dernières minutes, ils n’ont pas concédé une pénalité. C’est l’une des grandes performances collectives de cette équipe. Ils ont plié, mais n’ont jamais rompu. Quand même, il y a la pénalité de Halfpenny à la 75e minute. – Oui, mais pour moi, il s’agit d’une erreur d’arbitrage. Le joueur gallois au sol libère d’abord le ballon, comme il le doit, puis il remet les mains dessus, alors qu’il ne devrait plus y avoir de ruck. Nicolas Mas n’est pas en faute à mon avis et ce n’est que justice si Halfpenny manque son coup de pied. Et dans les toutes dernières minutes, les Gallois hésitent… – Encore une fois, à ce niveau, il faut être équipé pour résoudre tous les problèmes. Si vous n’avez pas de botteur capable de passer un drop sous les poteaux dans les arrêts de jeu, ça peut vous couter la victoire. Avec Parra en revanche, les Français ont fait le plein de points au pied. – C’est une grosse satisfaction pour les Bleus. Contre les Anglais, le taux de réussite au pied n’avait été que de 30 %, là ils sont à 100 %. On ne peut pas demander plus. Et puis, Parra fait de nouveau un gros match en défense. Par contre, je serais un peu plus sévère en ce qui concerne sa gestion du jeu. Pour quelles raisons ? – D’une part, il n’est pas capable de déplacer le jeu au pied dans le camp adverse. Or, vu le jeu que pratique l’équipe de France, c’est indispensable. A l’heure actuelle, c’est Yachvili qui prend en charge tout ce travail. Ensuite, Parra ne pèse jamais sur la défense. Pour l’instant, ça passe, car les Bleus n’en ont pas besoin pour s’imposer. Mais dès le prochain match, cela pourrait être déterminant. Les Français ont-ils une chance contre les Blacks ? – On en reparlera en fin de semaine, mais sur le fond, oui, ils ont certainement une chance. Ce qui sera intéressant, c’est l’opposition entre deux types de rugby que l’on va avoir en finale. Certains spectateurs « neutres » regrettent peut-être l’élimination des Gallois, car ils s’attendaient à une finale plus spectaculaire. Mais d’un point de vue rugbystique pur, il sera beaucoup plus intéressant de suivre une rencontre où deux conceptions du jeu vont s’affronter. Vern