France–All Blacks : le debriefing de Vern Crotteurpar Vern Crotteur 26 September 2011 17 Pressenti initialement comme consultant sur TF1, c’est finalement avec la Boucherie Ovalie que l’illustre Vern Crotteur s’est engagé à l’occasion de cette Coupe du monde. Retour sur le match de samedi avec le technicien néo-z, qui nous livre son verdict sur la prestation des Bleus. – Tout d’abord Vern, en quelques mots, comment résumez-vous la prestation du XV de France, samedi face aux Blacks ? Au-delà du résultat, je crois que les Bleus peuvent avoir quelques regrets, car le score ne reflète pas entièrement la physionomie de la rencontre. En termes de possession et d’occupation, le bilan est beaucoup plus équilibré. Mais le fait est que contre cette équipe des Blacks, chaque erreur se paie cash. – Tout n’est donc pas si noir pour les Bleus ? Non, il y a des motifs de satisfaction et d’espoir pour l’équipe de France. Physiquement, la France a su rivaliser avec les Blacks qui ont mis beaucoup d’intensité dans le combat, notamment les phases de ruck. Les Bleus ont souffert, mais sans jamais baisser les bras. Je crois d’ailleurs que les joueurs avaient besoin de se rassurer sur ce plan. Donc, à part quelques reculades spectaculaires, mais anecdotiques, les Français ont toujours répondu présents. Même en milieu de première période, où on pouvait craindre le pire, ou lors de cette mêlée a cinq mètres, vers la 50e minute. C’est je crois très positif pour les Bleus, qui tireront certainement davantage d’enseignements de ce match que les Blacks. – Pourtant la production offensive française n’a pas permis de mettre en danger les néo-zélandais. Il est vrai que les Français ont marqué sur un contre et sur une pénalité rapidement jouée, et non sur du jeu construit. Ils se sont nourris d’une erreur ou de l’inattention de leurs adversaires. Mais c’est une marque de fabrique de ce XV de France, qui est plutôt une équipe de “coups” et de contres. Elle a dû mal à scorer sur ses temps forts. Le manque de repères et d’automatismes des lignes arrières y est certainement pour quelque chose, mais il faudra maintenant faire avec et adapter toute la stratégie française à cet état de fait. Cela dit, on a vu tout de même une production offensive très intéressante pendant les dix premières minutes. Et si Damien Traille avait marqué l’essai à la 5e minute, le match aurait peut-être été différent. – Vous croyez que la France aurait pu remporter la rencontre ? Non, les Blacks étaient incontestablement plus forts et ont affiché une grande maîtrise et beaucoup de sang-froid. Mais les Français auront sans doute beaucoup appris de cette rencontre, notamment sur les erreurs à ne pas commettre s’ils veulent avoir une chance de remporter la finale qui pourrait encore les opposer aux Blacks. – Précisément, les erreurs françaises, ont été nombreuses en défense. Oui, elles ont été nombreuses, mais ne sont pas seulement le fait des joueurs qui les ont commises. En fait, elles se situent à deux niveaux. D’une part, il y a ce que l’on voit sur le terrain. Des erreurs individuelles, parfois grossières, qui aboutissent à des essais. Mais si l’on pousse plus loin l’analyse, on se rend compte que ces erreurs résultent en partie d’une mauvaise stratégie défensive, d’un alignement défaillant en touche ou tout simplement du bricolage qui a été fait par rapport à la charnière. C’est alors la responsabilité du staff qui est engagée, pas seulement celle des joueurs. – Qu’est-ce que vous entendez par là ? Trois des essais résultent simplement de placages ratés … Les placages ratés, c’est ce qu’on voit à la télé. Et il y en a eu beaucoup au cours des 30 premières minutes, mais personnellement, j’y vois d’abord le résultat d’un schéma défensif naïf et inadapté au jeu des Blacks. – C’est-à-dire? C’est-à-dire que les Bleus ont commencé par défendre tel que cela avait déjà été annoncé dans la presse tout au long de la semaine: en poussant les Blacks vers les extérieurs, afin de les éloigner sans doute de la zone supposément faible du 10. Cette stratégie n’a pas fait long feu, pour plusieurs raisons. D’abord parce que les extérieurs sont des points forts des Blacks. Ensuite parce qu’en chassant vers les extérieurs, les défenseurs sont plus vulnérables à des contre-pieds, surtout lorsqu’ils font du travers au lieu de monter d’abord et de glisser ensuite. Quand on connaît la qualité d’appuis des ¾ néo-z, on se dit que c’était suicidaire. De plus, comme les Blacks sont parvenus à sortir assez rapidement les ballons des rucks, les Français ont souvent été en retard dans le replacement défensif ou au contraire ils ont anticipé la circulation du ballon, ce qui a créé des fissures dans le rideau défensif bleu. Enfin, il convient de noter que le staff avait décidé de doubler le couloir défensif de Parra à l’aide d’un troisième ligne, ce qui a encore aggravé les problèmes défensifs, puisque les Français ont été obligés de se dégarnir ailleurs et qu’ils ont malgré tout été pris en défaut dans la zone du 10. – Y avait-il une alternative ? Oui bien sûr. Et c’est cette solution-là que les Bleus ont adoptée à partir de la 23e minute. Malheureusement, ils étaient déjà menés 19-0 et le match était plié. Mais à partir de ce moment-là, les défenseurs bleus sont venus couper les extérieurs et sont montés de façon beaucoup plus agressive pour se placer sur la trajectoire du ballon. C’est ce qui annihile plusieurs offensives néo-z et cela amène aussi l’essai de Maxime Mermoz. – Tout de même, sur le premier essai, ce n’est pas l’organisation défensive qui est en faute. Le premier essai résulte d’une accumulation d’erreurs, elles aussi liées à une mauvaise organisation défensive. C’est d’abord Papé qui se décale et laisse filer Weepu à son intérieur. Ensuite Picamoles et Bonnaire ne montent pas non plus et attendent les Blacks tout en chassant vers la touche. Du coup Nonu prend le trou et les deux défenseurs français ratent leur placage. Et enfin, il y a Clerc qui, s’il était monté en pointe, aurait pu empêcher l’essai. Il faut savoir que les Blacks, comme les Australiens, attaquent souvent sur deux lignes. Si la défense se laisse fixer par la première ligne, elle laisse beaucoup trop d’espaces à la seconde, qui peut alors manœuvrer librement. C’est pour cela que les Français auraient dû monter beaucoup plus vite en défense, et envoyer un « parasite » sur la deuxième ligne d’attaque Black, dès lors qu’il n’y avait pas un trop grand surnombre pour les néo-z. Il a fallu que les Bleus prennent trois essais avant de s’adapter. – Pourtant les deuxièmes et troisièmes essais sont tout à fait différents l’un de l’autre. La situation de jeu est différente oui, mais les Français sont encore dans un schéma défensif très attentiste, où ils ne montent que lentement et glissent simplement sur les extérieurs. C’est particulièrement vrai du troisième essai où Ducalcon se fait prendre sur un simple crochet intérieur, parce qu’il est déjà en train de coulisser au lieu d’aller chercher le porteur de balle. – Et le second essai ? Erreur individuelle ou problème d’organisation aussi ? Les deux. D’ailleurs cet essai est particulièrement rageant pour les Français je trouve, car j’ai l’impression que le staff n’a pas bien fait ses devoirs et n’a pas tiré les enseignements des erreurs passées. Quand on dit à ses joueurs qu’à haut niveau, il faut tendre vers l’excellence, il faut faire pareil en tant que coach. – Le staff responsable du second essai ? Mais ce sont les joueurs qui sont sur le terrain, pas les entraîneurs … Le deuxième essai black me rappelle pourtant curieusement le premier essai que les Australiens avaient marqué contre la France en novembre dernier, au stade de France. La seule différence était que les Australiens avaient fait une passe de plus, puisque c’est leur ouvreur qui fait jouer l’ailier à son intérieur. Mais l’organisation défensive française en touche avait été exactement la même et elle avait commis exactement la même erreur. Je suis certain que Graham Henry et ses assistants ont pris bonne note de ce point faible, qui n’a pas été corrigé depuis novembre 2010. – Quel serait donc ce point faible ? Le fond de l’alignement français est composé d’un seconde ligne, d’un troisième ligne et du talonneur, qui est en fait verrouilleur. Dusautoir lui, est placé en relayeur. Dans les deux cas, contre l’Australie en novembre comme contre la Nouvelle-Zélande samedi, le relayeur (ndlr : Dusautoir) a dépassé la ligne du ballon et a voulu se placer dans le couloir du 10. Il s’est donc retrouvé en avance sur le ballon, alors que le verrouilleur était en retard ou s’est laissé fixé par le porteur. Il s’agit d’erreurs individuelles certes, mais elles sont favorisées par le mode d’organisation choisi en touche et par le type de montée défensive. D’autant que de placer un talonneur et un deuxième ligne en bout d’alignement ne favorise pas forcément une circulation rapide vers la zone de franchissement et n’est vraiment pas une garantie face à des joueurs explosifs et forts sur les appuis. Face à des adversaires plus modestes, cela ne prête peut-être pas à conséquence, mais face aux Blacks ou aux Wallabies, ça ne pardonne pas, car ils ont des schémas de jeu très précis, qui leur permettent d’exploiter ces failles individuelles ou structurelles. – Les schémas de jeu, justement parlons-en, côté français. Comment jugez-vous la prestation de Parra pour sa première titularisation à l’ouverture ? Parra s’en sort plutôt bien, si l’on tient compte du contexte et de l’adversaire. Mais il n’est pas un ouvreur non plus. Défensivement, il a été courageux, ne s’est jamais échappé et a même eu une ou deux interventions décisives. Mais il a fallu l’épauler aussi tout au long du match, ce qui a créé des problèmes en défense. – Et offensivement ? Offensivement, c’est un peu pareil. Il a animé dans un certain registre, celui du passeur relayeur, mais il n’a jamais vraiment pesé sur la défense. Il n’a pas attaqué son couloir de jeu et a toujours joué très loin de la ligne, ce qui laissait aux Blacks le temps de s’organiser. En outre, sur les lancements de jeu, les Français ont dû recourir à certains subterfuges pour éviter que Parra ne soit trop sous pression. Ils ont joué en pivot autour de Mermoz, avec l’ailier fermé en leurre dans le couloir du 10, mais comme Parra était trop loin de la ligne, ça n’a pas servi à grand-chose. Et ça a monopolisé des joueurs français qui ont manqué ailleurs dans la ligne d’attaque. – Le jeu d’attaque français semble toujours être en chantier. Que manque-t-il donc aux Bleus pour être efficace dans ce secteur ? Le manque d’automatismes et de repères communs est certainement préjudiciable à l’équipe, car l’équilibre au centre (avec Mermoz et Rougerie) n’est pas mauvais, et le triangle d’attaque arrière a des qualités. Mais au-delà des joueurs et du manque de temps de jeu, il est évident que l’équipe de France est trop prévisible sur les lancements de jeu, qui n’induisent presque jamais de déséquilibre et obligent ensuite les Français à batailler dur pour avancer au près et recréer du mouvement. C’est notamment lié au fait que les Bleus ont apparemment abandonné l’idée d’attaquer la défense dans le couloir du 10, en particulier sur des lancements après touche. Les ballons sont systématiquement écartés, ce qui facilite grandement le travail des défenseurs. Ça s’est encore vérifié samedi, où les défenseurs blacks arrivaient souvent avant les soutiens offensifs français. Ce manque d’incertitude sur la zone de franchissement et cette incapacité des Français de fixer un maximum de défenseurs dans la zone du 10 explique en partie les difficultés qu’ils rencontrent ensuite pour sortir rapidement les ballons. D’où aussi le manque de soutiens offensifs autour du ballon, lors des séquences ultérieures. On a là l’illustration qu’à ce niveau de compétition, il est indispensable de pouvoir peser sur la défense dans toute la largeur du terrain. Il faut avoir un 10 capable d’attaquer la ligne, avec des joueurs dans son dos capables de franchir dans cette zone. – Donc c’était une erreur de titulariser Parra à l’ouverture ? Je ne sais pas si c’était une erreur. À partir du moment où le coach avait décidé qu’il fallait changer d’ouvreur, il n’y avait pas vraiment le choix. Mais ce qui est sûr c’est qu’il aurait fallu jouer différemment avec deux demis de mêlée dans le XV de départ. La titularisation de Parra aurait pu se comprendre si on avait voulu dynamiser le jeu français autour des regroupements par exemple. Yachvili et Parra interchangeables en quelque sorte, se partageant éventuellement chacun un côté du terrain et alternant les relances à la main auprès des avants, le jeu de ¾ et le jeu au pied court. Au lieu de cela, Parra a essayé de jouer comme un véritable ouvreur. C’est dommage, parce qu’on a vu pendant les dix premières minutes qu’une bonne alternance du jeu aurait pu déstabiliser les Blacks. Je trouve que Yachvili a d’ailleurs très bien abordé la rencontre, notamment dans son jeu au pied. Dommage que ses efforts n’aient pas été récompensés. – La mêlée française a rencontré quelques problèmes en revanche. L’entame des deux mi-temps a été difficile pour les Français c’est vrai, mais ils se sont bien repris par la suite. C’était prévisible dans une certaine mesure. Les Blacks ont une mêlée qui met énormément de pression à l’impact. Quand ils sont frais, ils sont très forts. Mais au fil du match, les Français sont parvenus à inverser la tendance en les travaillant dans les duels entre piliers. Et ça s’est vérifié encore davantage avec la rentrée de Servat, qui fait certainement du bien aussi dans ce secteur. – Globalement, vous semblez trouver la prestation des Français plutôt correcte, on dirait. Je crois que l’ampleur du score empêche certains observateurs d’analyser objectivement la rencontre. C’est pareil d’ailleurs du côté des Blacks. Ils avaient à cœur de laver l’affront de Cardifff. C’était une question de fierté nationale. Ce score de 37-17 réjouit évidemment tous les Néo-Zélandais, mais je crains qu’ils ne soient bien moins confiants si ces deux équipes devaient se retrouver lors de la finale début octobre. – Vous pensez donc que c’est encore jouable pour l’équipe de France ? Oui, si les Bleus parviennent à gommer les erreurs individuelles et à améliorer leur organisation collective, surtout en défense. Mais d’abord, il faudra encore battre le Tonga, ce qui ne sera pas une partie de plaisir. Maintenant tout va dépendre aussi de l’état d’esprit du groupe. Une défaite comme celle de samedi peut permettre d’avancer. Ou au contraire, si l’atmosphère n’est pas sereine ou s’il y a des tensions préexistantes, la performance peut s’en ressentir. Mais cela, il est impossible d’en juger de l’extérieur. Propos recueillis par les envoyés spéciaux de la Boucherie au « Takapuna Bar » d’Auckland, quartier général de VErn Crotteur pendant la coupe du monde. NDLR : la rédaction de la boucherie refuse toute responsabilité pour les propos tenus par Vern Crotteur, en raison de l’état d’ébriété avancée du technicien néo-z durant cet entretien …