France-Galles : besoin d’amourpar l'Affreux Gnafron 08 February 2019 6 La performance sportive individuelle s’articule autour de plusieurs ingrédients : une composante athlétique, une dimension technique, une autre stratégique et le facteur mental. Parvenir à maîtriser les 4 paramètres permet de prendre le meilleur sur son ou ses adversaires. Dans un sport collectif, il faut en plus que les paramètres de chacun s’alignent et se combinent avec ceux de ses partenaires pour triompher de l’adversaire. C’est là l’avantage du sport co où une mauvaise performance de l’équipe pourra toujours être reprochée à un coéquipier, jamais à soi-même (le “c’est la faute aux gros” des 3/4, le “c’est la faute des 3/4” des avants, le “c’est la faute à l’arbitre” des entraîneurs, joueurs, spectateurs des deux camps). [Le contre-exemple parfait étant le basket-ball américain qui est le seul sport collectif se jouant en deux équipes de 1+1+1+1+1 joueurs mais nous nous éloignons du sujet.] Et puis survient également un facteur aléatoire, communément appelé “chance”, “météo”, “ballon glissant qui roule vers ton en-but”, “rebond à la con” ou “tiens, cet ailier adverse qui court très vite monte en pointe pour couper l’extérieur, et si je tentais une quadruple sautée ?”. L’opposition entre le XV de France et l’équipe du Pays de Galles (qui avait obligeamment laissé sa place vendredi dernier en première mi-temps à une autre principauté, celle d’Andorre) a été abondamment analysée, commentée, disséquée par une multitude d’observateurs, experts, acteurs des réseaux sociaux et aussi par Richard Dourthe qui est probablement une catégorie à lui tout seul. Un résumé objectif de toutes ces interventions pourrait tenir dans le lapidaire : “Ils sont nuls”, ce à quoi les plus perspicaces ajouteraient le non moins définitif “et en plus ils sont bêtes”. Dans une France que d’aucuns jugent morcelée, divisée, irréconciliable, remercions donc le XV de France de parvenir à maintenir un semblant de cohésion nationale, quand bien même serait-ce à son encontre. Pourtant ce jugement péremptoire et définitif, ne cacherait-il pas en son sein des motifs d’espérance ? En grattant un peu, ne percevrait-on pas au milieu des ténèbres un timide rayon de soleil, annonciateur de lendemains qui chantent ? Pourquoi pas Yionel Beauxis ? La chanson du vestiaire Examinons donc les raisons de positiver, faisant fi de la sinistrose ambiante : Cette édition du Tournoi des 6 Nations ne verra pas le XV de France être battu à domicile par l’Angleterre (comme les premiers Irlandais venus) ! Ça pourrait suffire à notre bonheur mais quand on rajoute qu’on ne perdra pas non plus contre l’Italie au Stade de France, voilà le spectre d’une double humiliation infamante qui s’efface définitivement. L’honneur est sauf et il faut savoir se contenter de peu. Les Britanniques qui vivent dans l’angoisse du Brexit se voient donner l’occasion de sourire un peu. Offrir un peu de bonheur à un peuple qui souffre, voilà une superbe preuve d’empathie. Et quand on a le physique d’Andy Goode, croyez bien que les occasions de rire sont rares. En économisant sur les primes de victoires de son équipe masculine, la FFR se constitue une cagnotte qui se révélera bien utile lorsqu’il faudra faire face à quelques dépenses intempestives (indemnités prud’homales d’un ancien sélectionneur ou autres événements exceptionnels…) Malgré les prestations décevantes de son équipe masculine, la FFR a tout de même trouvé un équipementier pour équiper ses buteurs. Un soulier parfait pour se dédouaner d’un 0/5 à Twickenham ! Toujours au rayon chaussures, admirez ce bel exemplaire qui sera porté par Guilhem Guirado lors du prochain match, histoire d’éviter qu’il ne se pende avec ses lacets dimanche. Quel plus formidable outil de promotion du rugby féminin que notre XV de France masculin ? Se dessine en creux pour l’amateur de rugby tout ce à quoi il aspire : un jeu varié et attrayant (parfois face à des tréteaux certes), des titres (3 victoires dans le 6 Nations sur les 5 dernières éditions dont 2 Grand Chelem), une régularité exemplaire au niveau international (6 troisième places sur les 8 Coupes du Monde) et l’assurance de passer pour un expert à la machine à café le lundi matin en sortant les noms de 3 joueuses du XV de France féminin (dont les sœurs Ménager) auprès d’un public ébahi de tant de connaissances. On a beaucoup glosé sur la « mésaventure » survenue à Sébastien Vahamaahina qui apprend de la bouche de l’arbitre sa promotion au titre de capitaine. Et les sycophantes de s’indigner d’un amateurisme du staff intolérable, du dévoiement de ce qui devrait rester un honneur et autres billevesées. Pourtant, à bien y réfléchir, voilà une pratique managériale audacieuse qui ne manquera pas d’être reconnue à sa juste valeur par une récompense émérite dans un concours managérial quelconque. En instaurant ainsi que n’importe quel joueur peut, à n’importe quel moment du match se voir confier les galons de capitaine, sans préavis, on instille l’idée que tous sont des capitaines en puissance. Chacun se doit donc d’élever son niveau de jeu, chacun devient un meneur, dont les actions et décisions individuelles engagent le collectif. On responsabilise chacun en fertilisant le terreau d’une éventuelle autogestion ultérieure. Nul n’est indispensable et une saine émulation collective ne saurait manquer de surgir.Ajoutons que de surcroît, le petit côté roulette russe de la démarche du capitanat tournant ne manque pas de sel alors qu’Armand Vaquerin revient au cœur de l’actualité rugbystique. Le XV de France est désormais devenu un formidable pourvoyeur d’émotions. Alors certes, elles ne sont pas toujours positives mais force est de reconnaître qu’il peut toujours se passer quelque chose avec cette équipe, on ne s’ennuie plus devant les matches. Une première mi-temps maîtrisée annoncerait-elle un deuxième épisode terne et consacrée à une ennuyeuse gestion ? Que nenni ! Vous aurez droit à des rebondissements improbables, tour à tour drôles et tragiques, avec l’étrange sensation que le Destin ballotte ces joueurs comme Ulysse tentant de rejoindre Ithaque.Aujourd’hui, de nombreux thérapeutes prescrivent à leurs patients des séances à base de visionnage de matchs du XV de France. Ainsi, la perte d’une victoire considérée comme acquise vous permettra d’expérimenter les 5 phases du deuil : le déni (“ce n’est pas possible !“), la colère (“putain, mais c’est pas possible, bordel de merde !!“), l’expression (“mais tu te rends compte que ce n’est pas possible, hein? Tu te rends compte ! Ce n’est pas possible !“), la dépression (“c’est pas possible, pas possible, pas possible…“) puis l’acceptation (“et ben si, c’était possible en fait…“). Mais l’argument le plus enthousiasmant en faveur de ce XV de France est encore à venir. Et si, dans un élan de machiavélisme insoupçonné, la longue litanie de défaites en cours, rageantes, cachait en fait la plus formidable entreprise de guerre psychologique jamais entreprise dans le sport moderne ? Dans une étonnante perspective de billard à 3 bandes, l’encadrement et les joueurs français seraient les concepteurs et acteurs d’une manœuvre d’enfumage ayant pour but d’endormir leurs adversaires futurs par force prestations indignes pour mieux les surprendre lors de la prochaine Coupe du Monde. Imaginons la dissonance cognitive qui s’emparera des Argentins, Anglais et autres Néo-Zélandais qui, croyant affronter une sélection en perdition, au sortir d’un Tournoi désastreux se verront opposer une équipe conquérante, ayant œuvré dans l’ombre, sûre de ses forces et emmenée par un Yionel Beauxis de gala. Rien ni personne ne saura s’opposer à la marche triomphante d’un XV de France, rasséréné par un plan de jeu abouti et des combinaisons jusqu’alors inédites et jalousement préparées en secret. Et Jacques Brunel, la moustache friponne, de venir remercier en conférence de presse l’ensemble des médias pour leur participation, involontaire mais cruciale, au bon déroulement de ce plan mûrement réfléchi et exécuté à la perfection. Comme ce sera bien. Aucun joueur n’est décédé sur la pelouse. Et ça reste quand même l’essentiel. Guy Novès passe un petit message personnel à la toute fin de la vidéo. Si vous pensez qu’un compte-rendu de match doit parler du match en question, vous pouvez aussi lire (si ça n’est pas déjà fait) l’excellent article d’Ovale Masqué sur actu.fr.