Le Canon sur la tempe
par Damien Try

  • 22 December 2018
  • 3

 

Armand Vaquerin est entré dans la légende du rugby français, pour deux raisons. Tout d’abord sa vie. Vingt-six sélections en équipe de France mais surtout dix boucliers de Brennus soulevés, un record qui semble tout à fait inatteignable aujourd’hui. Et puis aussi sa mort, le 10 juillet 1993, par le biais d’une partie malheureuse de roulette russe dans un bar.
Une notoriété internationale, puisqu’il fait partie des « 10 brutes les plus effrayantes du rugby français ».

 

Ça c’est la surface, la légende, ce que tout le monde sait plus ou moins. Mais les choses sont-elles si simples ? Alexandre Mognol, journaliste et documentariste audio, enfant de la ville et issu d’une famille très rugby, entend parler de ce fait divers depuis 20 ans. Depuis Armand Vaquerin, Béziers doit se contenter de Jonathan Best, on comprend donc pourquoi les Biterrois ressassent cette histoire sordide, quitte à affabuler. Car en écoutant les discussions de comptoirs, on a l’impression que la moitié de la ville était présente le soir du drame. Le journaliste décide donc de partir sur une contre-enquête au long cours qui l’occupera plus d’un an, et nous la raconte dans sa série documentaire « Le Canon sur la tempe ». Au passage, on félicitera le choix de l’audio pour un thème proche du rugby, cela semble adapté au public partiellement illettré.

 

Au long des sept épisodes d’une quarantaine de minutes, on va donc suivre l’enquête. Car il ne s’agit pas réellement de démêler le vrai du faux et de connaitre le fin mot de l’histoire, vingt-cinq ans plus tard cela serait illusoire. Le fil rouge du reportage est plutôt de comprendre la société biterroise et le microcosme qui oscille entre invention et omerta, entre petits bobards de vanité et gros mensonges par omission. Pourquoi ceux qui n’étaient pas présents décrivent la scène avec force détails pendant que ceux qui étaient présents préfèrent dire qu’ils n’étaient pas là ? Un milieu qui raconte avec amusement un passage à tabac effroyable mais préfère cacher une dépression. Dans lequel mourir d’un accident de voiture à 2g/l est une tragédie habituelle.

 

Alexandre Mognol s’appuie sur la base familiale, son père et son oncle ayant joué en une de Béziers à l’époque. Jouant sur son réseau, utilisant sa filiation pour s’entretenir avec des personnes qui fermeraient leur porte sinon, camouflant parfois un peu ses intentions pour amener aux confidences des personnes qui n’ont en aucun cas envie de remuer la merde.

 

On découvre Armand Vaquerin, l’image d’Epinal d’un colosse à côté duquel rien ne peut vous arriver. Un héros prêt à tout et qui n’a peur de rien, attiré par l’aventure et le danger. Un personnage rempli d’excès, dont on découvre petit à petit les parts d’ombre, au fur et à mesure que la parole se libère. L’alcool, évidemment, puis la violence, puis la drogue, puis le reste… Impossible de ne pas penser à une autre idole du rugby, berjallienne elle, tristement célèbre pour son après-carrière, qui après avoir été tout n’est plus, et n’arrive pas à se retrouver.
L’enquête est complexe et si vous avez trouvé qu’il y a trop de personnages dans Game of Thrones vous allez être servis. La femme de l’oncle, la copine de la serveuse, Riri et le restaurateur de Carcassonne. Même Patrick Sébastien fait une apparition. Mais peu importe, n’essayez pas de suivre qui est qui. Laissez-vous portez par les témoignages, écoutez la vie d’Armand, clairement encore adulé par tous les gens qui en parlent. Et au final, faites-vous votre propre opinion de ce qui est arrivé, car des mots de l’auteur lui-même, « c’est à chacun de s’approprier l’enquête, vous pouvez utiliser des chemins différents ».

 

Le Canon sur la tempe, disponible sur la plupart des plateformes de podcast, un reportage avé l’accent, qui pue le rugby et la Suze-cassis.

 

Remerciements à Alexandre Mognol