Retour sur France-Angleterre (3-20)par Le Stagiaire 24 August 2017 10 Le contexte : L’été est sans doute la période préférée de l’année d’une grande partie de la population. Il fait beau, on fait des voyages et on attrape tout un tas de trucs (des Pokémon, des coups de soleil, des MST…) Mais du point de vue de l’actualité, c’est aussi une période où il ne se passe strictement rien. D’ailleurs, il ne se passe tellement rien que le seul moyen d’échapper à un énième reportage sur la couleur des parasols est de voir un Français marcher très très vite pendant 50 kilomètres sans se faire caca dessus. Ou d’attendre que le Président américain et sa susceptibilité digne des plus grands fans du RCT ne décide de déclencher la troisième Guerre mondiale pour faire taire un mec qui, avec sa grande gueule et ses pulsions suicidaires, n’est pas sans rappeler un demi de mêlée provoquant ouvertement un talonneur sur un terrain de rugby. Cet intérêt soudain et très ponctuel pour les sujets dont tout le monde se fout ne pouvait donc que profiter à la Coupe du monde de rugby féminin qui se déroule depuis une quinzaine de jours en Irlande. Comme tout le monde vous avez donc, l’espace de 24h, fait semblant de vous passionner pour ce sport qui ressemble beaucoup trop au Top 14 pour avoir un réel intérêt. Avec l’espoir secret de voir pour la première fois depuis trop longtemps la France battre l’Angleterre au rugby. Le simple fait de susciter une petite once d’espoir étant déjà une belle victoire pour le rugby féminin face à son pendant masculin. Bref, les Françaises sont très convaincantes depuis le début de la compétition, elles ont marché sur l’Irlande en quart de finale et elles affrontent l’Angleterre en demi-finale sous la pluie. Si vous étiez nés en 2003, vous pouvez commencer à flipper, ceci ressemble beaucoup trop à un mauvais remake dont Hollywood a le secret depuis quelques années. La compo : Le Match : Comme pour le quart de finale, France Télévisions a sorti le grand jeu et le match est retransmis en prime sur France 2 avec Matthieu Lartot et Sandrine Agricole aux commentaires. Pas de Fabien Galthié cette fois, ce qui est dommage car il aurait sans doute trouvé un commentaire très pertinent à faire sur l’impact de la pluie sur la coiffure des joueuses. Le duo a pour mission de trouver l’équilibre entre objectivité et pédagogie sans tomber dans les commentaires un brin condescendants sur « ces filles » dont on veut tellement vanter les mérites qu’on finit par les traiter très différemment de leurs homologues masculins, soit l’exact opposé de ce qui est recherché à la base. Enfin… l’absence de Sylvain Marconnet au micro montre que, même s’il reste du chemin à parcourir pour offrir aux joueuses les conditions de travail qu’elles méritent, elles ont désormais le droit à un minimum de respect. La cérémonie protocolaire permet de prouver une première fois qu’il n’y pas de différences entre les matchs masculins et féminins : les pintes des supporters sont aussi pleines que leurs heureux propriétaires et les joueuses sont incapables de chanter en rythme sur l’hymne national. On notera au passage que la n°10 du XV de la Rose s’appelle McLean, ce qui n’est pas franchement rassurant et que celle du XV de France joue à Rennes, ce qui ne l’est pas beaucoup plus… et donne irrésistiblement envie de gueuler « COMBAT D’INFIRMES ! » avec la voix de Cartman dans South Park. Bref, le coup d’envoi de la rencontre est donné et après avoir subi les premières minutes, les Bleues marchent sur la mêlée anglaise et profitent d’une pénalité pour aller jouer dans les 22 mètres adverses. La touche à suivre sera gâchée par une première pizza de la capitaine Gaëlle Mignot. Si les Françaises n’avaient pas réussi à enchaîner cinq passes juste avant, la ressemblance avec l’équipe masculine serait vraiment troublante. Mais la crainte d’un mimétisme va heureusement vite se dissiper. En effet, les Bleues mettent la main sur le ballon et, malgré la pluie, enchaînent les temps de jeu. Les sorties de balles sont propres, l’alternance est bonne et techniquement on voit de très belles choses, malgré des conditions de jeu compliquées. Mais heureusement, à chaque fois qu’on commence à être impressionné, une faute de main ou un mauvais choix vient tout gâcher. Braves et valeureuses comme les Écossais de la belle époque (celle où on les battait encore, en fait) les Françaises dominent mais n’arrivent pas à concrétiser leurs efforts au tableau d’affichage. Chez les filles aussi, quand une pilière se retrouve à la place du demi de mêlée ça fait flipper tout le monde Les Anglaises, elles, ne s’embarrassent pas de préliminaires. À peine revenues dans le camp français, elles mettent les Bleues à la faute et ouvrent le score : 3-0. Têtues et bornées, comme toutes les… sportives de haut niveau qui se respectent, les Françaises repartent à l’assaut. Mais, le scénario se répète une nouvelle fois, aussi prévisible que le cheminement pour résoudre un crime dans un épisode des Experts : les Françaises dominent, jouent bien, mais sont incapables de conclure. Elles restent de plus sous la menace d’un contre adverse, comme en témoigne une relance d’Emily Scarratt qui s’échappe le long de la ligne de touche et nous pousse à crier « JEANNE, AU SECOURS ! » avant qu’Élodie Guiglion ne vienne finalement sauver la patrie. On notera au passage que les deux équipes font peu de fautes dans les rucks, contrairement à leurs homologues masculins, ce qui permet d’une part de voir un jeu plus agréable, et d’autre part de supposer qu’elles connaissent bien mieux les règles. En tout cas si on se base sur le regard étonné que prennent tous les joueurs du Top 14 lorsqu’ils se font pénalisés après avoir sauté dans le camp adverse la tête la première. La fin de la première période est dans la continuité du début du match. Les Françaises proposent un jeu séduisant mais une touche perdue ou une faute de main vient systématiquement tout gâcher. Pendant ce temps, le chrono tourne et les Anglaises gèrent la partie sans trembler comme si elles étaient parfaitement conscientes de la cruauté du scénario en train de se dessiner. On se demande même si l’une d’elle ne va pas lâcher un petit « You’re so french… », avec un sourire en coin. Heureusement, une pénalité obtenue et transformée par Shannon Izar juste avant la mi-temps permet à tout le monde de se rassurer… et à Matthieu Lartot de faire une blague sur le nom de famille de l’ailière française. Blague qu’il est obligé d’expliquer puisqu’il faut parler basque pour la comprendre et que tout le monde ne joue pas au golf avec Imanol toutes les semaines. Pendant la pause, France 2 diffuse un spot pour la promotion de la candidature française à l’organisation de la Coupe du monde 2023 avec Bernard Laporte dans le rôle principal. De quoi regretter que Mohed Altrad dirige une boite spécialisée dans le bâtiment et non la communication, sinon on aurait peut-être eu une pub un peu moins pourrie. On ne reviendra même pas sur le slogan « Ze French Touch » qui est probablement le terme le plus con et absurde qu’on ait inventé ces trente dernières années. Comme tous les termes qui ont « French » dedans d’ailleurs (French Tech, French Kiss et French Flair par exemple). L’exception confirmant la règle étant French Chatte évidemment. À la reprise, les Anglaises décident de reprendre les choses en main et campent dans le camp bleu. Les Françaises qui se révèlent même carrément imprudentes comme sur ce coup de pied par dessus de Drouin alors que la France joue dans ses 22 mètres. Il faudra un retour improbable d’Audrey Forlani et ses go-go-gadgeto bras de 3 mètres 50 pour pousser Wilson en touche avant qu’elle ne puisse aplatir. Hommage à Fabien Galthié : ceci est un surnombre Mais, cantonnées à camper devant leur ligne, les Françaises ne font que repousser l’inévitable échéance. Les Anglaises les harcèlent avec la méthode et la lourdeur d’un frotteur pervers de la ligne 13 du métro parisien. Les stats de plaquage des Françaises explosent mais les Anglaises finissent par grappiller une pénalité qui leur permet de porter le score à 6-3, ce qui est un moindre mal pour les Bleues, tellement éclipsées dans ce second acte qu’il est presque nécessaire de mettre des lunettes spéciales pour continuer à les regarder. Un peu plus tard, la France pense avoir fait le plus dur et tient une occasion de se dégager mais rien n’y fait : revoilà les Anglaises près de l’en-but bleu, puis carrément à l’intérieur quelques instants plus tard quand Bern franchit royalement la ligne. Facilement transformé, l’essai permet aux Anglaises de prendre 10 points d’avance. Quand on te dit que le Mont Saint Michel est en Normandie Il reste 13 minutes à jouer et les Françaises doivent marquer deux fois pour espérer l’emporter. « Tous les points vont compter » nous prévient Sandrine Agricole, qui n’a décidément rien à envier à la pertinence des consultants masculins. Les Françaises espèrent par ailleurs profiter de la sortie d’Abby Scott, probablement fatiguée que tout le monde lui vienne dessus et donc logiquement retournée au vestiaire, d’où elle n’est jamais censée sortir. Malheureusement, le miracle n’aura pas lieu. Pendant le quart d’heure restant, les Anglaises continuent à parfaitement jouer le coup. Occupation, jeu à une passe, les Françaises sont acculées et ne réussiront plus à les mettre en danger. Sur une énième tentative de relance depuis leur en-but dans les arrêts de jeu, elles encaisseront même un nouvel essai après une faute de main. Score final : 20 à 3. Conclusion : C’est cruel, rageant, mais en même temps le sport ne peut pas toujours être fait de belles histoires. Les Bleues s’inclinent donc pour la septième fois en demi-finale d’une Coupe du monde. La leçon pour cette fois sera probablement que, même s’il est très romantique de s’obstiner à faire des passes quand il pleut, sans un jeu au pied correct et un minimum de réussite en touche, gagner un match de rugby est tout de suite plus difficile. D’ailleurs, si elles avaient joué en jaune et bleu, les moqueries n’auraient pas tardé et on aurait sans doute aussi plus sérieusement pointé l’échec sportif que représente ce manque de réussite. Mais, contrairement à leurs adversaires du jour et bien malgré elles, les joueuses françaises continuent de bénéficier d’un statut bâtard qui ne laisse peu de place à un début de professionnalisme et donc, à la progression. Pour changer de dimension et espérer un jour soulever la coupe, il faudra probablement un peu plus que l’état d’esprit irréprochable qui a été le leur tout au long de la compétition. Par exemple, un président de Fédération qui ne change pas d’entraîneur six mois avant une compétition et qui met de vrais moyens à leur disposition pour leur permettre de vivre du rugby et d’avoir le niveau qui en découle. D’ici là, et comme depuis des années, tout le monde continuera de s’extasier devant le courage « de ces filles », qui se priveraient probablement bien d’un peu de compassion surjouée et des tweets de leurs collègues masculins contre un peu plus de moyens. Et à défaut de pouvoir accuser les étrangers et le Top 14, reste l’éternelle question : d’ici là, on fait quoi ?