[Apprenti Boucher] Chroniques du Caucasepar La Boucherie 23 May 2017 19 Disclaimer : Alors que le vivier des rédacteurs de la Boucherie Ovalie se renouvelle avec la même rapidité et qualité que celui des Grandisses en équipe de France, nous sommes heureux d’accueillir un nouvel apprenti dans l’équipe. Il livre aujourd’hui son premier texte et comme 90% de nos commis, ça sera aussi probablement son dernier. Une bonne chose pour lui, si tant est qu’il n’ait pas pour objectif ultime de copieusement rater sa vie. Chaque insulte en commentaire le dégoutera un peu plus et sera donc comptée comme une bonne action à l’aube de votre vie, quand vous devrez répondre de vos actes devant l’éternel LE CATALAN (David, si tu nous lis…). Par Yaka-Lélo, Épisode 1 : Journal d’un débutant Ça y est ! Le mardi 28 mars 2017 à 18h, à bientôt 33 ans je commence ma carrière rugbystique. J’aperçois de loin, sur ce qui a été longtemps l’hippodrome de Tbilissi, un groupe en train de se faire des passes. Je m’approche avant de me rendre compte que des groupes avec des ballons de rugby il y en a plein à cette heure-ci. Certains ont même des plots pour délimiter leur terrain. Heureusement l’équipe amateur que j’ai contactée le matin même et qui m’a convié à leur entraînement n’est pas de ceux-là. Non, chez les Chalybes (le nom de l’équipe) les limites sont à l’appréciation de l’entraîneur. Après un échauffement court mais complet, il est l’heure de séparer les avants des arrières. Un coup d’œil rapide de l’entraineur dans ma direction et la décision tombe, je serai arrière. Moi qui rêvais tellement être numéro 8. Une sorte de Mamuka Gorgodze mais qui ferait des passes (oui je sais, je lui fais un mauvais procès mais il m’a énervé durant le dernier tournoi des 6 nations dont tout le monde se fout et dont 3 seulement connaissent les rudiments du rugby). Mais apparemment mon presque mètre 90 (pour 75kg) n’a pas suffi à convaincre le coach de me confier ce poste. Par contre, on m’a mis à l’aile. Loin, très loin de l’action. Déjà que c’est un poste où on attend beaucoup mais alors en Géorgie… Comme l’a dit un des avants lors de l’entraînement : « les gars on ne fait des passes que si c’est vraiment nécessaire ». Les mauvaises langues diront que c’est une influence du TOP 14 mais je préfère penser que c’est dû à la tradition millénaire du Lelo. Vous savez, ce sport raffiné qui consiste à demander à deux équipes, dont le nombre de joueurs n’est ni déterminé ni limité, d’emmener une balle de 16kg à l’une ou à l’autre extrémité du village. Source photo : http://www.civil.ge/eng/category.php?id=87&size=wide&gallery=111 Bref, me voilà ailier. De Vosgien je suis passé Fidjien. Je m’imagine déjà sortir des passes après contact de psychopathe. J’aurais construit ma propre légende où mes prouesses de n°14 seraient dues à une enfance passée à retenir des schlittes à la seule force de mes bras et à des courses effrénées en slalomant entre les sapins en tentant d’attraper la bête des Vosges. La réalité est tout autre. Je reçois un seul ballon sur l’ensemble du match clôturant l’entraînement et malgré une course qui pourrait faire pâlir Chilachava je suis rattrapé bien avant la ligne d’essai imaginaire. Mais un match ça se gagne aussi en défense et… c’est là que ça se gâte. Je me retrouve à essayer d’arrêter des mecs aussi lourds mais bien plus rapides que des Lada. Après avoir rebondi plusieurs fois sur des épaules, m’être fait propulser à 5 mètres du ballon alors que je tentais de gratter un ballon (quelle idée, mais quelle idée), m’être fait traîner par un deuxième ligne sur le terrain caillouteux… je réalise enfin l’action qui me fera dire « quelle belle journée !», à savoir me lier à mes partenaires pour contrer un groupé pénétrant de manière victorieuse. C’est ça un sport collectif non ? Épisode 2 : Suite des aventures du freluquet chez les Chalybes Après mon tout premier match le dimanche 9 avril, à 2h30 de Ford Transit de Tbilissi, où j’ai enregistré des statistiques extraordinaires : – 7 minutes sur le terrain, – 0 ballon touché, – 0 plaquage effectué, – 1 essai encaissé parce que je me retrouve seul face à deux joueurs sur mon aile (l’aile du pigeon ??), – 1 litre de vin siroté, – 500 g de viande avalé. Je suis passé à la vitesse supérieure (contrairement au Ford Transit qui était bloqué en seconde, le moteur ayant du mal à faire monter les 24 rugbymen + moi) en suivant mon entraîneur pour aller “jouer” au lelo burti de l’autre côté du pays ce dimanche. Je pensais qu’on y allait juste pour pousser d’autres mâles en sueur mais non ! On y est allé en mémoire du cousin. Sachez que « Cousin » dans la campagne géorgienne signifie quiconque possédant un lien de parenté, dans ce cas précis, nous avons donc joué pour honorer la mémoire du petit fils de l’oncle de l’arrière-grand-père de mon entraîneur (j’ai dû faire un schéma pour ne pas me tromper). Le cousin donc, est décédé à l’âge de 25 ans en mai dernier dans un accident de la route (de loin l’endroit le plus dangereux de la Géorgie, bien plus que ses montagnes et ses ours ou ses steppes et ses serpents). Mon mentor nous a donc demandé de bien vouloir l’accompagner pour tenter de ramener la balle sacrée en terre promise. Et il ne s’agit pas d’une expression. L’idée même du lelo burti, est que la partie du village remportant le match a le droit d’emporter le ballon au cimetière pour en orner une tombe. En effet le match se joue toujours entre zemo Shukhuti (prononcer « choucroute » mais sans le « c » du milieu) et kvemo Shukhuti (traduisons par Shukhut-le-haut et Shukhut-le-bas). J’en profite pour faire un aparté sur la prononciation des noms et prénoms des joueurs géorgiens par les commentateurs sportifs, parce que sans leur demander de faire la différence entre le « ts » aspiré et le « ts » glottalisé, je pense que ça relève de leurs attributions de connaître le nom des joueurs. Zurab Zhvania s’appelle donc Zourabe Jvania et Mikautadze se prononce Mikaoutadzé (même s’il est rare que les présentateurs soient amenés à citer son nom). Je me permets donc, à toute fin utile, d’envoyer tous ceux que ça intéresse à cette adresse : http://www.lexilogos.com/georgien_mots.htm. Mais reprenons le fil de nos moutons. Cette année, le match n’a duré que 22 minutes. Ce qui en fait le match le plus court de l’histoire de ce sport. Mais 22 minutes intenses où j’ai pu observer de près, de très près, quelques jolis gestes que l’on retrouve dans le rugby : fourchettes, patates punitives pour non-respect des règles (??), foulage au pied de l’adversaire tombé au sol… 22 minutes au bout desquels notre équipe est sortie victorieuse. Une fois le ballon (sorte de grosse citrouille de cuir bourrée de terre avec un peu de vin pour obtenir le poids recherché) emporté de l’autre côté de la rivière, nous avons donc pu l’emporter sur la tombe du cousin. Et c’est là que le match commence… Car après la route, le deuxième endroit le plus dangereux en Géorgie est le / la supra. J’éprouve beaucoup de difficulté à expliquer ce qui est contenu derrière ce terme. Disons que c’est un moment durant lequel on partage ensemble émotions, sentiments, nourriture et alcool. Les deux derniers éléments n’étant là que pour favoriser les premiers. Le / la supra se déroule toujours pour une raison précise et peut durer des heures. Il faut alors réussir à trouver le bon équilibre entre tous les ingrédients et savoir partir à temps pour ne pas risquer de s’endormir sur la table et/ou manquer de respect à ses hôtes et/ou LA BAGARRE. Une question demeure, le lelo burti de l’année dernière a fait un mort, et ce pour la première fois de son histoire. Nous voilà donc face à un syllogisme : Un homme est mort durant le lelo burti Or on joue au lelo burti en l’honneur du mort Donc « à la fin, un seul d’entre eux survivra, ça sera peut-être Duncan McLeod » ou Charl. PS : Pour prouver à tous ma participation, vous pourrez voir mon bras ci-dessous. PS2 : si sur le plan j’ai écrit des mots avec l’alphabet géorgien c’est juste pour me la péter. PS3 : Cet article a été lu et approuvé par une Géorgienne originaire de la région du lelo. Merci à elle !