[Portrait] La vérité sur Renaud Lavilleniepar Le Stagiaire 04 February 2016 8 Par Le Stagiaire, Au fin fond de l’Auvergne (ceci n’est pas un pléonasme), quelque part entre les décors surdimensionnés du vide et les échos du silence qui résonnent dans le creux des volcans, une clameur gronde. Nul ne saurait dire s’il s’agit de cris de joie ou de lamentations contrariées tant la succession des deux au fil des années a fini par les faire se confondre. Rue du Clos-Four, dans l’antre de la « Yellow Army », on aperçoit des supporters impatients qui s’agitent pour regagner leur place, des membres de la banda qui s’accordent et quelques célébrités locales (le PDG de Michelin, le Vice-Président de Michelin et le DRH de Michelin) qui s’affichent en tribune présidentielle. La caméra qui surplombe la pelouse repère un petit attroupement dans les travées. Plusieurs hommes discutent debout, à quelques instants du coup d’envoi. Leur carrure imposante, leur démarche mal assurée dans leurs costumes et le petit blason sur leur veste trahit leur condition. L’un d’entre eux s’appuie sur une béquille, l’autre montre perplexe l’attelle qui lui couvre une bonne partie de la main. Un dernier, mains dans les poches et cravate nonchalamment desserrée scrute le stade avec décontraction. Contrairement aux autres, aucun signe d’affaiblissement physique ne transparaît dans son attitude. Il dégage la force de l’habitude. Sa nonchalance trahit sa maîtrise du cérémonial auquel il prend part. Convalescence qui traîne, phase de reprise, choix tactique ou désaccord plus profond avec le coach, peu importe. Une partie du joueur de rugby en lui est morte et son cadavre ne prend plus la peine de se retourner violemment chaque week-end passé en tribunes. Du haut de sa grue, le caméraman capture les images en direct. A cet instant, ce qui ressemble à enfant au milieu des géants s’approche prudemment. Il hésite un peu, s’avance et se retrouve au pied des montagnes. L’environnement géographique pourrait laisser penser qu’il en a pris l’habitude, et pourtant, ses yeux grands écarquillés, levés vers le ciel, ne prennent même plus le temps de cligner de risque de perdre une seconde du spectacle qui se passe au dessus de lui. L’un des gaillards se tourne dans sa direction, se penche, et lui tend la main. Alors qu’il la saisit, son interlocuteur, dans un large sourire lâche quatre mots dans un français grammaticalement parfait, bien que colorés d’une prononciation très canadienne : « Salut Weno, ça va ? ». L’Auvergne lève les mains ! 29 championnats de France se sont déroulés entre la naissance de l’Enfant et la scène rapportée juste avant. Castres a été sacré deux fois, Agen, une. C’est dire comme le temps a passé. L’Enfant a 29 ans et, vous l’avez tous deviné, il s’agit de Renaud Lavillenie. Nouvelle mascotte officieuse de l’ASM en lieu et place d’un Bibendum jugé trop « bisounours », le perchiste a endossé – plus ou moins malgré lui – le costume du 16ème homme des Jaune et Bleu (15ème quand Bardy est titulaire). À partir de quel moment la vie d’un homme lui échappe-t-elle pour en arriver là ? C’est ce que nous allons tenter de comprendre en retraçant son parcours. L’histoire du petit Renaud démarre bien loin des volcans d’Auvergne, du fromage du Cantal et des histoires de pneus que l’on raconte aux enfants avant de dormir. Il naît à Barbezieux-Saint-Hilaire, en Charente, ce qui équivaut à un 4/10 sur l’échelle de la « chance du lieu de naissance » qui va de Castres à Honolulu. Tout petit déjà, il est confronté au rugby. Malheureusement pas forcément de la manière dont il l’aurait souhaité. En effet, en CE1, une bonne partie de ses petits camarades commencent à s’initier aux valeurs de ce sport, avec en premier lieu l’esprit d’équipe. Les garçon de sa classe font front commun face aux CE2 de Madame Bertillon lors des chahuts traditionnels de la récréation entre les cours de maths et de français. Persona non grata dans cette lutte des classes, le pauvre Renaud se retrouve bien seul. Il souhaite ardemment intégrer leur effectif mais il essuie les refus les uns après les autres : « Désolé Renaud mais notre équipe est complète », « On t’aurait bien dit oui mais on vient d’accepter Songa’a, le petit nouveau qui vient de l’autre bout du monde. La maîtresse a dit qu’il fallait l’aider à s’intégrer ». Maul devant la porte au moment de rentrer en classe, ruck dans le préau, Renaud n’est pas convié lors des différents ateliers et subit même franchement la situation quand ses camarades travaillent leurs skills en faisant des passes avec sa trousse et qu’il doit désespérément courir entre eux pour la récupérer. Seul point positif, ce rôle ingrat lui permet de développer d’autres capacités physiques. De l’agilité quand il s’agit d’esquiver les projectiles et les baffes des uns, de la vitesse quand il faut échapper aux envies de plaquage des autres. Renaud court, saute, grimpe mais Renaud reste désespérément seul. Une fois, il tente bien un geste désespéré pour se faire remarquer. Alors que ses camarades s’ébrouent sur un coin de pelouse entre deux poteaux fabriqués à la hâte avec des morceaux de bois, Renaud se saisit d’une des barres transversales et traverse le terrain. En arrivant face aux poteaux opposés il ne ralentit pas sa course et plante l’une des extrémités de la désormais ex-barre transversale dans le sol. Dessinant une courbe gracieuse dans le ciel charentais, il s’élève encore et encore, comme dans une scène de film tournée au ralenti, passe entre les perches, puis lentement, bascule de l’autre côté de l’en-but avant de chuter lourdement. Il se relève victorieux, tout sourire, persuadé d’avoir révolutionné le sport comme William Webb-Ellis avant lui. Mais il n’en est rien, la première réaction des joueurs qui avaient la tête dans un ruck quelques secondes plus tôt étant de se mettre à sa poursuite pour lui faire passer ses envies de « grandes envolées ». Je te parie 10 euros que j’ai le temps de battre le record du Monde de Bubka avant que tu sortes le ballon de ce ruck. Quand en grandissant, la plupart de ses agresseurs s’inscrivent dans le club de rugby du coin pour poursuivre leur apprentissage, Renaud – toujours pas le bienvenu – doit se rabattre sur l’athlétisme. Sans surprise, il se spécialise dans le saut à la perche, comme son père, même s’il ne fait pas une croix sur le rugby qui le fascine toujours autant. Dans son village, certaines personnes murmurent même qu’il s’est spécialisé dans la discipline pour pouvoir passer par dessus le grillage aux abords du stade pendant la nuit et ainsi enfin connaître la sensation de courir sur un terrain ballon ovale à la main. Vérifiées ou non, ces rumeurs n’atteignent pas Renaud qui, avec le temps, a appris à les ignorer. Le perchiste s’est construit un mental de fer, concentré sur un seul objectif qu’il ne lâche sous aucun prétexte. Lentement mais sûrement, il continue de progresser et se place parmi les plus grands espoirs de sa génération. Un événement faillit tout faire basculer néanmoins. Un été, durant l’intersaison, les éducateurs des cadets du club de rugby décident de partir à la rencontre des adolescents du coin pour repérer d’éventuels talents potentiels dans les autres sports. Avec pour but évidemment de les convaincre de se mettre au rugby. Un basketteur est recruté pour enrichir le banc en deuxième ligne, un sprinteur réussit à prouver qu’il peut être un redoutable finisseur à l’aile, un judoka révèle des talents non soupçonnés qui font de lui un excellent troisième ligne et un footballeur est même soudoyé pour devenir le buteur de l’équipe. Mais malheureusement pour Renaud, personne ne pense un instant aux qualités que pourrait apporter un perchiste sur un terrain de rugby. Un tort quand on sait que quelques années plus tard, David Marty révolutionnera la tactique de la défense sur les rucks en sautant par-dessus. Triste, blessé, Renaud tourne définitivement la page du rugby et se concentre sur sa carrière de perchiste avec le succès qu’on lui connaît. Il signe au club d’athlétisme de Clermont en 2009, mais résiste à ses anciens démons et ne replonge pas immédiatement. La ville vibre pour le rugby mais lui reste à l’écart. Concentré sur sa progression, sur les compétitions qui l’attendent, Renaud est “dans sa bulle”, comme en témoigne le petit diam’s qu’il a sur le lobe de l’oreille. Une nouvelle obstination pour le saut à la perche qui s’avérera payante puisqu’il sera sacré champion de France en 2010 (coïncidence ?), champion d’Europe la même année (donc oui coïncidence a priori) mais qu’il échouera à être sacré champion du monde en 2011 (décidément…). Il se rattrapera l’année suivante en devenant champion du monde en salle, puis surtout champion olympique à Londres. Et ça passe !!! Trois points en plus pour l’ASM qui se qualifie pour les quarts de finale de Champions Cup !!!!! En l’espace de quelques années, le Charentais a tout conquis et mis, à l’instar de Julien Malzieu, le monde de la perche à ses pieds. Renaud a le sentiment du devoir accompli et aborde la suite de sa carrière avec plus de sérénité. Il s’autorise même à s’intéresser aux performances du club de rugby de sa nouvelle ville et après quelques mois d’hésitations et un nouveau record de France, finit même par accepter l’invitation de l’ASM à venir assister à un match. Personne ne pourra jamais imaginer le sentiment qu’a pu ressentir Renaud pendant les 80 minutes de cette rencontre. Bien sûr, il n’était pas un acteur direct du match mais le simple fait de pouvoir y assister, qu’on insiste presque pour qu’il s’y rende était la plus belle revanche que pouvait espérer le petit enfant encore en lui. Un enfant qu’il ne tardera pas à redevenir, semaine après semaine, match après match. Nouveau grand ami des joueurs (et des dirigeants ravis de voir quelqu’un capable de gagner des titres dans les parages, comme pour se rassurer que ça existe dans la région), Renaud n’en finit pas d’écarquiller les yeux quand il se retrouve au milieu d’eux, quand bien même cela fait plusieurs saisons qu’il fait partie du décor. “Écoute Renaud, j’aime pas être désagréable mais c’est la place des remplaçants ici. Qu’est-ce que tu fous là bordel ? Casse-toi !” Aujourd’hui, Renaud partage son temps entre son sport de prédilection et les week-ends au Michelin. Entre la perche du gymnase de Donetsk qui lui permis de battre le record du monde et la perche à selfie qui lui permis d’immortaliser tant de passages dans les vestiaires de l’ASM, Renaud Lavillenie semble enfin avoir trouvé son équilibre. Et fait abstraction des personnes qui s’interrogent sur sa drôle de vie, ainsi que les risques qu’il encourt à côtoyer l’un des clubs les plus malchanceux de l’Hexagone. Comment expliquer que sur la tentative juste après celle qui lui a permis de battre le record en 2014, Renaud se soit blessé au pied pour plusieurs mois ? Comment expliquer qu’il n’ait terminé que troisième l’année dernière lors des championnats du monde de Pékin alors qu’il avait fait la deuxième meilleure performance mondiale de tous les temps quelques semaines plus tôt ? Encore très récemment, comment expliquer sa quatrième place à Rouen pendant que son club de coeur était éliminé de la coupe d’Europe ? Et surtout, comment expliquer qu’on le voit parfois à moitié à poil dans les vestiaires après un match de l’ASM alors qu’il n’a pas joué et donc aucune raison de prendre une douche ???? Certains ont peur que la Clermontite soit contagieuse et qu’il s’écroule en finale à Rio l’été prochain. D’autres vont plus loin et, lassés de son hyper-proximité avec les joueurs de Clermont, vont même jusqu’à l’accuser d’être lui même le chat noir du club. Il ne faudra probablement plus beaucoup de désillusions et d’apparitions sur les écrans géants du stade aux supporters pour qu’ils en reviennent au paradoxe dit de « l’oeuf ou la poule ». À savoir dans ce cas, est-ce que l’ASM porte la poisse à Lavillenie ou est-ce que c’est Lavillenie qui porte la poisse à l’ASM depuis qu’il les supporte ? Peu importe les conclusions qui seront tirées de ce vaste débat, Renaud Lavillenie n’en a probablement que faire. Car s’il n’a pas utilisé les chemins traditionnels, Renaud a bel et bien fini par mettre un pied dans le rugby. Et cela lui aura pris du temps et trop de galères pour qu’il s’en détourne maintenant. Comme toujours, Renaud ignorera les on-dit et s’en tiendra à son plan, en s’appuyant sur ses deux principales alliées : son obstination et sa patience. Deux qualités qui ne lui seront pas de trop s’il espère assister à un titre de l’ASM de son vivant. The yes, need Renaud, to win, against Renaud