Adrien Buononato (Stade Français) passe sur le grill – partie 2par Ovale Masque 11 January 2016 17 Après une première partie où l’on a évoqué le Stade Français, le Racing 92, la formation française, le XV de France ou encore la répartie tonitruante de Laurent Travers, passons aujourd’hui à la deuxième partie de l’interview d’Adrien Buononato. Au programme, des questions un peu plus légères, ce qui ne nous empêchera pas d’apprendre quelques trucs intéressants, notamment sur le passage de Michael Cheika au Stade Français, sur les entraîneurs français en général, ou encore sur l’homme, la légende : Scott Lavalla. On remercie Adrien de nous avoir accordé du temps et d’avoir répondu à nos questions avec autant de franchise. Et d’avoir payé nos verres, aussi. 4 jours après la publication de la première partie, Adrien constate avec dépit qu’il n’a toujours pas de page Wikipedia. Après le Racing, le Stade Français. Ça te dirait pas d’entraîner une équipe qui a des supporters un jour ? (Il rigole) Putain, tu plaisantes mais à Trévise on avait vachement de supporters qui s’étaient déplacés ! Bon par contre même les Italiens étaient venus pour encourager Parisse… nos supporters ils sont pas nombreux, mais ceux qu’on a sont fidèles. Ils se mettent à chanter, pour la finale ils étaient habillés en fluo, on les voyait de partout… alors après oui c’est pas la Rochelle en nombre de supporters, après c’est peut-être à nous de les fidéliser en étant plus proches d’eux. Le nouveau stade, ça a changé beaucoup de choses à ce niveau-là ? Ben c’est mieux, non ? Il y a plus de monde, quand on compare à Charléty il y a 4 ans… Il n’y avait pas les mêmes résultats non plus… Non mais il y avait une belle équipe, un bon entraîneur avec Michael Cheika… là on a nos fidèles, ils prennent leur casse-croûte avant le match sur le parvis, c’est sympa, ça prend petit à petit. Tu parles de Cheika, du coup rien à voir mais pourquoi ça n’a pas marché au Stade Français ? Il a gagné une Coupe d’Europe, le Super Rugby, fait une finale de Coupe du monde, a priori c’est qu’il est bon ? C’est horrible parce que j’aime bien ce mec. L’année que j’ai passée où il était là, ça n’a pas marché. On était encore à l’époque où au Stade Français certains joueurs, certains membres du staff avaient beaucoup d’influence. Cheika avait un fonctionnement à l’anglo-saxonne, il a bousculé les habitudes, il voulait tout contrôler, il fliquait un peu les joueurs, et c’est mal passé. C’était la même chose avec Ewen McKenzie avant, à qui on avait imposé son staff… quand il est retourné en Australie a gagné le Super Rugby avec les Reds. Les mecs ont les compétences, c’était pas le problème. Du coup les coachs étrangers avec des méthodes à l’anglo-saxonne, ça peut pas marcher en Top 14 ? On va voir ce que ça donne à Montpellier, où Jake White a pu choisir son staff, ses joueurs. Je pense que ça va marcher. À Paris ça ne l’a pas fait car c’était encore les années Guazzini, avec un fonctionnement un peu à l’ancienne, familial, où les joueurs avaient beaucoup de poids. Je pense d’ailleurs qu’il y a beaucoup d’entraîneurs français qui vont se faire dégager pour être remplacés par des coachs étrangers. On va avoir des présidents qui vont mettre de l’oseille, qui voudront absolument gagner et leur donneront tous les moyens à ces mecs-là pour qu’ils atteignent leur objectif. Et ça fonctionnera car leur système est pro, axé sur la performance. Michael Cheika et son désormais célèbre pubis frontal. Ça veut dire que les entraîneurs français sont mauvais ? Sans taper sur tes camarades… Non. Le problème pour certains entraîneurs français, c’est qu’on leur laisse peu de temps. Quand un joueur est dans sa dernière saison, on lui laisse trois options : entraîneur, consultant ou retourner dans l’anonymat. Du coup, quand lui propose un rôle dans le staff, le choix est souvent vite fait… On ne leur laisse pas le temps pour réfléchir à leur démarche d’entraîneur. Franchement, c’est un drôle de job. Quand t’es joueur t’as plein de choses à reprocher à ton entraîneur, sur ses méthodes, sa communication, tout ça… mais le jour où toi tu te retrouves aux manettes, tu te rends compte que ce n’est pas si simple que ça à gérer. T’as besoin de connaître des défaites, d’avoir des conflits avec des joueurs, de faire des choix dans tes compositions en mettant de côté la notion affective, et donc d’aller annoncer à ton pote qu’il va pas jouer car il est moins bon… ça, je l’ai vécu aussi au PUC, faire la transition joueur-entraîneur en quelques mois. En ayant la chance d’être loin des caméras et de la pression du Top 14. T’as besoin de te faire la main pour ce job, et parfois en France, on te laisse pas suffisamment de temps pour le faire. Ton meilleur moment de l’été 2015, ça a été le titre du Stade Français ou le moment où on a retrouvé Holy ? Le moment où on a retrouvé Holy évidemment ! Après c’est un peu un sketch… tu vas sur Twitter, une alerte enlèvement elle a 10 RT.. une disparition de clébard, t’as une émission de télé, la radio, les journaux qui en parlent ! Mais c’est un bon mec Max, vraiment, ça vaut le coup que vous le contactiez, il serait sûrement d’accord pour une interview ! Le couple de l’été 2015. Ça existe pour de vrai, Domont ? Ouais. Mais je crois que ça existe plus d’ailleurs. On est arrivés, on a pris le pognon, et après le club a coulé. Mon premier souvenir à Domont, c’est un derby contre Massy. On le perd. À la réception, on arrive dans une salle énorme, avec des drapeaux à l’entrée : « en route vers la Pro D2 ». On venait de prendre une grosse branlée… Ils avaient vu les choses en grand, à l’époque. Le club avait reçu une subvention pour se payer une tribune, en cas d’accession à la Pro D2… sauf que cette subvention, elle a servi à payer nos salaires. On avait même des apparts et des voitures. Du coup y a jamais eu de tribune. Le Conseil Général l’a eue mauvaise et il a fallu qu’ils remboursent le pognon. Le président de l’époque, c’était un mec qui avait grandi avec ce club, il est monté petit à petit avec… mais après, il a pas pris conscience de la réalité du bordel. Pourtant il faisait des affaires à côté. Je sais pas comment tu peux te planter autant sur un investissement. Tu pourrais nous citer un entraîneur chauve qui mériterait d’avoir des cheveux ? Je peux citer un entraîneur avec des cheveux que j’aimerais bien voir chauve : Vincent Etcheto ! Sinon, Marc Delpoux. Avec des cheveux ça aurait de la gueule. Souhait exaucé. Heureux ? En parlant de chauve, pourquoi avoir laissé partir Scott Lavalla ? Pour info, Scott c’est moi qui l’ai fait venir en France. Pour la faire courte, j’étais en stage d’entraîneur à Dublin, et je rencontre l’entraîneur du Leinster Trinity College. Il m’invite à aller boire des bières dans un pub avec ses joueurs après un entraînement, et là je vois Scott. Costaud et tout. Et je décide de lui mettre des coups de tronche – j’étais rond, farci, hein. Je lui ai mordu les oreilles, je lui ai dit qu’il avait les oreilles trop propres pour être un joueur de rugby… bref, on termine à boire des coups, ça se passe bien, on reste en contact et je reviens l’année suivante voir jouer cette équipe. Et là, énorme. Il jouait 8, il traversait le terrain. Je lui ai dit « ça te dirait de venir jouer en France ? ». Il me dit « Non, je fais mes études. Mais quand j’aurais terminé, si t’es toujours intéressé, contacte-moi ». Quand j’arrive au Stade Français, Cheika cherchait un mec pas cher et polyvalent, capable de jouer deuxième et troisième lignes. Je lui dit « j’ai un mec qui joue en Irlande, Scott Lavalla ». Il me dit « je connais, je me renseigne sur lui ». Il avait joué un tournoi là-bas, l’anglo-saxonne cup ou je sais plus quoi… on voulait qu’il intègre le centre de formation pour que ça coûte rien, il restait que deux jours pour le signer donc on a fait ça à l’arrache. Je l’appelle, il me dit ok, il prend le billet d’avion (qu’il se paye lui-même) et il arrive dans un appart tout pourri que le club lui avait trouvé. Du coup, il est venu dormir chez moi pendant une semaine… et une semaine avec Scott Lavalla je peux te dire que ça coûte de l’oseille quand même. Après, on l’a plus laissé partir. Pour rentrer au centre de formation, il devait suivre un enseignement en France… d’habitude les joueurs étrangers prennent un truc un peu bidon pour faire illusion, des équivalents en langue française. Lui, il s’est inscrit à Sciences Po, dans un master en stratégie antiterroriste internationale. Sans déconner ! Déjà, il y a que les Ricains pour faire ça ! Mais le mec est à fond dans son truc, c’est un vrai patriote, un jobard. Et comme là il arrivait à la limite d’âge pour pouvoir s’engager chez les Marines, il est parti cet été, alors qu’il était encore sous contrat. Pour fêter ça on s’est pris une belle chistole… c’est un drôle de mec quand même. Ah bon ? On aurait pas cru. On a entendu dire qu’il avait escaladé la Pyramide du Louvre le soir du titre. C’est vrai ou c’est une légende ? Non, il l’a vraiment fait ! Il est monté en haut de la Pyramide pour accrocher sa médaille de champion. En bas, t’avais Gerhard Mostert qui bloquait les mecs de la sécurité, qui menaçaient d’appeler la police. Il y a des vidéos ! Si vous êtes bons vous les récupérerez… mais ouais, c’est un vrai bon mec Scott. Tout ce qu’il fait, il le fait à fond. Ses études ? À fond. Patriote ? À fond. Il boit ? À fond. Il baise ? À fond. C’est pas une, c’est pas deux, c’est dix. Quand t’as un mec comme ça, beaucoup de choses sont faciles pour un entraîneur. C’est même fatigant pour les autres joueurs en fait. Un mec aussi investi et taré, ça le dérangeait pas d’être souvent remplaçant ou en tribunes ? Pas du tout. C’est un type pragmatique, si tu lui expliques les raisons pour lesquelles il joue pas, il y a pas de problèmes. Il accepte. Et son rôle de remplaçant il le joue à fond. Il motive les mecs, à l’échauffement il vient les déglinguer pour qu’ils se mettent dans le match… c’est un mec impliqué, pas du tout centré sur lui. Il est vraiment bonnard. Quand il est parti je lui ai dit « je pense qu’on se reverra pas, j’imagine que tu vas changer de nom ! ». Parce qu’avec le niveau d’études et la folie qu’il a, il peut pas s’engager comme un soldat lambda. Tu sais qu’il va faire un truc de jobard. On a vu une photo de lui récente, apparemment il a dû perdre du poids pour rentrer dans l’armée ? Oui, il était trop lourd pour sauter en parachute. En fait, son job, c’est qu’il va être largué sur le terrain derrière les lignes ennemies, pour ramener des informations. C’est marrant que des mecs comme ça existent n’empêche. Qu’est-ce qui l’anime ? C’est fou. Le futur Jack Bauer. Sans transition. Tu es entraîneur donc tu devrais le savoir : est-ce qu’elle est bonne ? Si oui, pourquoi ? Mais bien sûr qu’elle est bonne à droite ! Maintenant, petite série de questions où il va falloir répondre très vite. Prononce d’une traite le nom complet de Waisea, sans reprendre ta respiration au milieu. Waisea Nayacalevu Vuidravuwalu. Impressionant. J’ai fait fidjien LV3. Le joueur avec qui tu aurais aimé jouer sur le terrain ? Marc Cécillon. Il y a une blague ? Non, non, vraiment. Je suis dans sa région, je connais ses filles… Tu connais son fils, qui joue au Racing ? Aussi ouais ! Avec qui je m’entends très bien d’ailleurs. Nous avons le même agent. Mais vraiment, Marc Cécillon, je bade ce mec. L’autre soir, je suis tombé sur un truc, « Les années rugby ». On voyait des images de la Coupe du monde 1995. Je le vois sur le terrain, il avait une gueule, un prestance… j’aurais aimé jouer avec lui. Celui avec qui tu ouvrirais bien un bar à putes à Bogota ? Marc Cécillon. Avec lui rien peut t’arriver. Adrien après sa victoire contre Jo-Wilfried Tsonga au premier tour de Roland Garros. Tu peux faire un triple du coup : celui avec qui tu aurais aimé faire une 3ème mi-temps ? Là pas Marc Cécillon, car tu sais pas comment ça peut finir… déjà, ça exclut ceux avec qui j’en ai déjà faites. Il est plus là, mais pourquoi pas Jacques Fouroux par exemple. Je pense que ça devait être une folie totale avec lui. Celui avec qui partir à la chasse à mains nues dans la forêt amazonienne ? Je pense que ça va parler à personne : Gilbert Brunat. L’ancien troisième ligne ou talonneur de Grenoble, passé par Bourgoin où il a joué avec Cécillon d’ailleurs. Gilbert, c’est le cow-boy Marlboro. Une gueule à couper à la hache, des grands bras, des grandes mains… quand il skie, il fait 4 traces ! Il m’a entraîné, l’année dernière il était à Vinay en Fédérale 3. Avec lui tu crains rien. C’est vrai qu’il fait peur. Thé ou café ? Café. Levrette ou 69 ? Les deux vues me plaisent mais 69. Brian O’Driscoll ou David Marty ? David Marty quand même ! Avec lui aussi j’aimerais bien passer une soirée ou ouvrir un bar à putes ! Mike Phillips ou Byron Kelleher ? Byron Kelleher. Tu l’as connu au Stade Français ? Je l’ai pas connu joueur, il jouait pas ! Il a dû faire un seul match contre les Bucharest Wolves… C’est vrai qu’on a dû chercher longtemps dans Google pour trouver cette image. Te faire plaquer par ta femme ou par Paul Williams ? Se faire plaquer par Paul Williams. Se faire enfoncer en mêlée ou se prendre un cad’deb d’école ? Les deux ça me fait vraiment chier. T’es le premier avant qui nous répond pas la mêlée… Disons que pour le cadrage-débordement, t’es tout seul donc c’est encore plus humiliant. Pendant le dernier Nouvelle-Zélande – France, il y en a eu des beaux, avec des joueurs qui restaient par terre… t’es par terre et tu vois le mec passer, c’est la honte. Au moins au poste où je jouais (talonneur, pour ceux qui ont pas suivi, NDLR) si tu te fais enfoncer t’as la chance de rattraper le coup à la mêlée suivante. Tu préfères parler comme Zonathan Danty pour le restant de tes jours ou avoir le cerveau de Richard Dourthe ? Je préfère vraiment parler comme Fatou jusqu’à la fin de mes jours, c’est sûr. Il en rigole de ça, Danty ? Bien fûr qu’il en rigole ! Pour une pénalité de la gagne à la dernière minute tu as le choix entre Jules Plisson, Morne Steyn et Lionel Beauxis, tu choisis quoi ? J’ai pas le droit de rajouter un mec ? Si tu veux. Gonzalo Quesada ! Gonzalo, déjà bel homme en 1999. À qui tu voudrais qu’on pose ces questions ? Fatou ou Jules Plisson. Ou Thomas Savare. Peu de gens le savent, mais il est marrant ! Adrien Buononato c’est aussi une bouclette souple et soyeuse, digne de Yoann Huget.