Pastigo a regardé ASM-RCT place de Jaude
par Pastigo

  • 03 May 2015
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Samedi 2 mai 2015, 21h. Je suis sobre et habillé de ce qu’il me reste de dignité, donc en slip. Celui-ci est impeccable. Aucun raté, de ceux qu’on laisse filer en croyant avoir fini la tête appuyé contre le mur, en gueulant qu’on est les champions. Là où celui-ci devait porter les marques d’une soirée floue n’apparaît que l’immaculé témoignage d’une soirée à blanc.

Ça faisait un moment qu’on avait pas échoué en finale, de sorte qu’on était presque fier d’avoir gagné le droit de ne pas la perdre. Du coup j’ai perdu certaines habitudes, mon guide de survie en milieu finaliste. C’est une sorte de barbu mystique et vaporeux qui m’apparaît au mois de mai. Il me rappelle d’arrêter de penser que l’Auvergne peut sortir de la bouse, et que la pitié est la seule alternative à l’indifférence. En général il me balance aussi une grande tarte, je crois qu’il ne m’aime pas. Au milieu de la foule qui se fout de nous il n’y a qu’un peuple qui prend la peine de nous détester, j’en déduis qu’il est briviste.
Je n’ai donc pas été prudent, et j’ai même cumulé toutes les erreurs qui m’ont conduit à écrire un article en slip un samedi soir.

Dans l’après midi j’étais serein, léger. Comme un coq un peu con qui croit voir un croupion, et s’encastre frivole dans un phare de Twingo. J’ai donc fait ce que tout imbécile fait en Auvergne, au mépris des règles d’amour-propre évidentes, je me suis rendu place de Jaude. Là j’ai trouvé quelques milliers d’optimistes tous habillés des couleurs criardes de nos cortèges funèbres, refusant d’accepter le destin dans lequel ils se drapent. Ça chante, ça secoue des drapeaux, ça crie « ici ici c’est Montferrand » comme pour invoquer les dieux de la honte en villégiature à Perpignan. Les premiers arrivés ont les bonnes places, bien au centre, et boivent déjà leur bière chaude. Ensuite nous arrivons par milliers des deux côtés, les bloquant dans un étau avant qu’ils aient le temps d’aller pisser. D’autres sont venus aussi, comme celui qui pense tout à coup à rejoindre ses potes de l’autre côté. Il nous regarde, dans ses yeux on peut lire « dites, les 50.000 personnes, vous pouvez vous pousser, y a mon cousin là-bas qui a mes clopes». On l’a tous rencontré un jour celui-là. Parmi ceux du milieu qui se retiennent de pisser, il y a ceux qui ne se retiennent de rien tellement ils étaient déjà saouls deux heures avant le match. Ce sont ceux qui gueulent systématiquement « WAAAAYYYY » quand il faut chanter. Dans la mesure où il y a 3 chants à retenir, on suppose que s’ils n’ont pas trouvé une bouteille dans laquelle se vider, leur pantalon doit fleurer bon le port de pêche. C’est alors que chacun a bien trouvé sa place, c’est à dire en maudissant celui de devant tout en faisant chier celui de derrière, que les premières péripéties divinatoires peuvent s’abattre. D’habitude en Auvergne on doit attendre que le match débute avant d’être dépité. Cette année, net progrès ! Nous apprenons que Brock James est forfait, certainement victime d’une fracture du mental. La seconde claque revient directement quand nous prenons conscience que c’est Cochonnet qui prend évidemment sa place.

C’est dans ce contexte où chacun vient volontairement mourir en groupe que le match démarre, selon les règles scénaristiques auvergnates désormais célèbres mais toujours surprenantes.

A première vue l’optimisme n’est que très relatif, la méfiance reste de mise compte tenu d’un passif un peu lourd. De ce fait l’ASM a tout d’abord à cœur de mettre chacun en condition en faisant une excellente entrée. Joviaux et dominateurs, on les sent bien, on se détend. On se dit que celle-ci c’est la bonne pour de vrai, quand Lopez réussit ses deux premières tentatives alors qu’on le soupçonnait depuis un moment d’avoir vendu ses pieds contre un BigMac. Même les 3 points d’Halfpenny ne présagent encore rien de mauvais, on sent que l’ASM est venu -cette fois- avec une stratégie. En Écosse, Vern Cotter commence à manger sa casquette. L’homme a vécu comme un nazi pendant toutes ces années, et c’est un Catalan de retour de La Jonqueira qui va réussir à sa place ? Il s’énerve et vire tous les joueurs du XV du Poireau. Puis il les reprend, conscient qu’il n’en a pas d’autres.
Comme on ne chante pas encore « On est les champions ! » place de Jaude, l’ASM lance sa botte secrète : le contre castrais. Le contre castrais a pu être longuement étudié par les Auvergnats ces dernières années, et ils en ont désormais une maîtrise totale. Le geste consiste en un contre de pute pour ensuite invoquer le super pouvoir du Vincenclerc, à l’aide de n’importe quel joueur qui sait courir. Il est important, pour un bon contre castrais, de déclencher le geste au moment où l’équipe adverse se sent en confiance et largement supérieure. C’est donc Fofana qui conclut l’action d’un plongeon diablement prétentieux, une excellente idée quand on connaît l’histoire du club.

Cette fois ça y est, place de Jaude on est Champions du Monde. Les femmes font voler de larges mamelles au vent et les hommes agitent les drapeaux qui font chier quand on est au fond. Cudmore entame même la séance des rappels en revenant sur scène toutes les 3 minutes, sous les applaudissements d’un public conquis.

Nous sommes mûrs ! L’ASM entame donc la phase dite de la montée en pression, en lâchant le match tout doucement, avec amour et tendresse. Halfepenny enquille les pénalités pour revenir à 11 à 9 à la mi-temps, juste ce qu’il faut pour que l’Auvergne angoisse de finir l’acte avec un si faible écart. Les 40 minutes sont écoulées, on fait le point, inquiets mais pas découragés. C’est alors qu’Abendanon, d’une passe millimétrée depuis son camp, relance merveilleusement les Toulonnais qui reviennent plein axe. Et c’est à la 42eme (comment imaginer plus parfait ?) que Bastareaud aplatit en coin, prenant la suite des préliminaires auvergnats pour mettre un grand coup de rein à la place de Jaude.

Las, chacun va pisser tête basse, le regard vide. On s’était préparé à tout, mais celle-là fait mal.

Idéalement il faudrait marquer dès l’entame, afin de revenir. Comme c’est idéal, il va de soi que ce ne sera pas le cas. Mieux, ce sont les Toulonnais qui mènent le jeu et les Clermontois qui ajoutent juste ce qu’il faut de conneries débiles pour que Toulon marque les premiers. L’écart est fait, comme d’habitude ça pue, et comme d’habitude nous perdons espoir.
Que se passe-t-il quand l’Auvergnat est résigné et commence à appeler maman pour la soupe ?
L’ASM relance de 7 pardi ! Abendanon fait un truc super simple, c’est à dire marquer un essai en toute décontraction, pour bien montrer qu’il aurait pu le faire dix fois auparavant. La place de Jaude bascule donc d’euphorie en fausse couche à une vitesse phénoménale, du suicide collectif à l’orgie romaine en moins de temps qu’il n’en faut pour faire une farandole, et inversement.

On y re-croit, et c’est re-pénible. Il manque juste ce petit point et les minutes passent, on attend le moment où l’ASM récupérera cette pénalité qui va bien, après tout c’est Nigel Owens quand même. Plus ce sera tard mieux ce sera, de toute façon vu ce qu’il se passe, avec un jeu de plus en plus fermé, plus aucune équipe ne marquera d’essai…

… quel génie de nous avoir amené là. On aurait dû le voir venir, c’était évident. Drew Mitchell part, élimine 18 joueurs dont 3 sur le banc, et aplatit à 10 minutes de la fin avec cette gueule de con si caractéristique de l’essai de fin de match contre l’ASM.

Nous revoilà dépressifs. Les joueurs de l’ASM agitent des pancartes « 18-24, ça fait que 6 points ! *smileyclindoeil* ». Et s’entame alors la traditionnelle action de 10 minutes en quête des 7 points, celle que l’ASM maîtrise à merveille depuis des années. On avance de 10 mètres, on recule de 5, place de Jaude la spasmophilie est totale. Chaque temps de jeu nous rapproche doucement de la victoire, avec son lot d’intensité émotionnelle. Intensité émotionnelle, ça prend tout son sens quand on est à côté d’un mec qui se fait sûrement dessus. Même Mick Delany fait de sublimes percées rattrapées de justesse, de sorte qu’on se dit qu’en fait ce type a été embauché pour ce match tant le reste du temps on s’était posé la question. Et c’est quand l’essai est là, au bout du bout des tas de tas, que l’évidence veut qu’on pousse encore dans l’axe juste une fois pour que ça casse… que Cochonnet balance un coup de pied dans les bras d’Habana, qui fait sa grimace la plus laide pour sublimer le moment.

Toulon est Champion d’Europe, mais surtout Clermont ne l’est pas.

Alors voilà, à 21h j’étais en slip. Ça m’a donné le temps de réfléchir, et je crois que je commence à me lasser d’avoir l’air con. Ça nous rendait romantiques au début, sympa aussi, mais quand ça fait plus de dix fois que la même fille te laisse avec le froc aux genoux et que tu te vautres en tentant de la rattraper, il est temps de passer à autre chose. Je veux donc connaître l’ivresse de la victoire, même si c’est tout seul. De ce fait, je lance www.boucherie-saut-à-la-perche.com .

Un site où on gagne, même si c’est chiant. Un site où on est content, même si personne n’est là pour l’entendre. Et un site où, si on perd, au moins les Toulonnais ne seront pas au courant.

C’est peut-être pas super excitant, mais pour nous autres bouseux, c’est frais. C’est nouveau.

Ah oui au fait : pour ceux qui s’accrochent quand même et refusent l’évidence, sachez qu’on va se faire éliminer en barrage par Oyonnax.