Et si… les rugbymen pro étaient professionnels.par Damien Try 28 November 2014 9 En ce 5 juin 2014, sur la terrasse d’un pub du centre-ville de Newcastle, un homme d’une petite trentaine d’années, très athlétique, profite des quelques timides rayons de soleil. Il se fait accoster par ce qui est visiblement une vieille connaissance. « Francis ? C’est toi ? – Hey Darren ! Comment vas-tu ? – Bien bien. Ca fait un bail qu’on s’est pas vu dis donc. T’es toujours rugbyman en France ? Je ne suis plus du tout ton parcours ni le championnat depuis que t’es parti. – Ouais ouais, je joue toujours. Là je profite de mes derniers jours de vacances pour passer du temps en famille. – « Derniers jours » ? Mais le championnat reprend pas en août ? T’as encore de la marge. – Oulah non détrompe-toi, je reprends le physique lundi. Mais vas-y assieds-toi, tu vas me donner une occasion pour siffler des bières. Patron, deux pintes ! – T’as besoin d’une occasion pour picoler toi maintenant ? – Ah me fais pas chier, la saison est longue, y a des matchs toutes les semaines, alors pendant mes vacances je peux enfin me faire plaisir. – Bah pendant la saison aussi je suppose… – Ben pendant les petits breaks ou les blessures ouais, j’avoue que j’ai pris quelques cuites, mais sinon on peut pas se permettre des vrais écarts. C’est trop fatigant. – Comment ça ? – Chaque jour à l’entraînement faut être à bloc pour gagner sa place, on a une pression de dingue sur les résultats. Et de toute façon tu peux pas tricher sur les fractionnés. – Les fractionnés ? – Ouais, presque tous les jours. Tôt le matin on fait une séance de course à pied sur la piste. Après seulement on va soulever de la fonte. Donc ouais, si tu t’es mis la tête à l’envers la veille, sur les séances lactiques de bon matin tu prends vraiment cher… Et puis quand tu rentres complètement défait de l’entraînement du soir, c’est dur de sortir. Le pire ce sont les stages : fin juillet on se tape 2 semaines d’entraînement intensif, généralement loin de tout, c’est manger-s’entraîner-dormir-manger-s’entraîner-dormir. T’en sors rincé mais une semaine plus tard t’es au top. – Ah ouais. Finies les conneries de tes 15 ans et les photos de tes potes enroulés dans du film étirable. Enfin vous devez bien avoir du repos de temps en temps ? Autour des matchs peut-être ? – Ouais, mais là on se tape les briefings techniques, et c’est limite pire. De temps en temps on a un cours de com’, ça c’est rigolo à la limite. Le moindre écart peut être utilisé comme outil de motivation par un coach adverse, donc on apprend à répéter des phrases bateau. Mais les briefings techniques, ça n’a rien à voir. Faut être vraiment concentré, parce que c’est là que tu apprends à jouer vraiment dans les règles. Si t’es pas dedans et que le samedi tu fais deux ou trois fautes, tu vas passer un moment loin du terrain. – Deux ou trois fautes ça peut pas être si terrible… – Tu plaisantes ? Avec le niveau des buteurs aujourd’hui, tu fais une faute en dehors des 22 adverses c’est 3 points dans la minute qui suit. Dans chaque équipe t’as un Bustos Moyano, un ailier intérieur à qui on passe jamais le ballon, il sait tout juste plaquer mais a un gros jeu au pied. A partir des 50 mètres il passe tout, et sinon il trouve une touche aux 22 et dans l’action suivante tu prends un drop… – Mais sinon tu te débrouilles ? Toujours troisième ligne ? – Hum oui ça va. Je fais qu’1m90 et donc autour de 90kg, du coup à l’impact face aux gros monstres parfois c’est chaud. Impossible de prendre de la masse avec les exigences limite nazies de taux de masse graisseuse, alors je suis obligé de compenser avec le cardio. Heureusement que mes entraîneurs de petites catégories m’ont incité à faire du demi-fond. J’étais pas dégueu sur 3000. Enfin le cador de l’équipe reste Pierre-Gilles Lakafia. – Mais l’endurance et le fractionné, ça sert vraiment à quelque chose pour le rugby ? – Ah oui. Quand en fin de match t’as une action qui dure plusieurs minutes, où ça part d’un côté puis de l’autre, avec des coups de pied à suivre etc, c’est là que tu vois qui s’y file à l’entraînement. – Ah oui forcément… – Bon allez je te laisse, faut que j’aille faire assurer mes croisés. Je suis resté fidèle à un assureur du coin, peut-être que tu le connais ? Aujourd’hui il est à moitié alcoolique je crois, mais bon je l’aime bien. Il était au club quand j’étais gamin, dans la catégorie au-dessus de moi. Supportait pas de perdre, c’est ça qui l’a miné. Il bossait autant que les autres, mais vers 16 ans quand il a compris qu’il n’avait aucun talent il a laissé tomber. Jonathan Wilkinson, son nom. A la prochaine ! »