La mort du XV de Francepar Ovale Masque 23 June 2014 21 Par Ovale Masqué, La nouvelle est tombée dans la matinée de dimanche. Brutale et inattendue, comme une mandale de Pascal Papé derrière la nuque. Le XV de France est mort. Il n’a pas supporté sa troisième défaite de rang contre l’Australie, samedi dernier à Sydney. La 15ème de l’ère PSA, pour 11 victoires et 2 nuls, soit un bilan que même un supporter de l’Aviron Bayonnais jugerait décevant. Victime d’une double fracture de l’amour-propre, sans doute celle de trop, le XV a succombé à ses blessures en quelques heures. En grande hâte, la FFR a pris les choses en mains et a organisé l’enterrement. D’aucuns auraient préféré une cérémonie intimiste, se déroulant devant une assistance réduite. Mais l’équipe de France appartient paraît-il à tout le monde, alors ils étaient tous là, réunis autour de la dépouille : joueurs, entraîneurs, dirigeants, journalistes, partenaires, sponsors, agents et autres parasites. Les 60 millions de sélectionneurs, eux, sont par contre restés bloqués devant l’Église où se tenait la cérémonie. Mais rassurez-vous, ils ont été invités à délivrer leurs témoignages poignants en utilisant le hashtag #RIPLeXVdeFrance #AllBleus. Orange a d’ailleurs organisé un concours afin de faire gagner aux auteurs des meilleurs tweets des porte-clefs en forme d’urnes funéraires, contenant un échantillon des cendres du défunt. A l’intérieur, les invités se présentent tour à tour auprès du cercueil pour présenter leurs hommages à celui qui nous a quitté trop tôt. Mais l’ambiance est loin d’être feutrée et solennelle. Elle est agitée, électrique. Au rugby, même les enterrements peuvent finir en bagarre générale. Il faut dire que les convives sont encore sous le choc. Chacun d’entre eux traversent une étape différente du célèbre processus du deuil. Le déni, d’abord. Agenouillés au bord du cercueil, Ouin-Ouin et ses acolytes, Patrice Lagisquet et Yannick Bru, ne veulent pas y croire. « On rivalise avec les meilleurs », « On est pas loin », « Il nous manque que des détails », répètent-ils tous en boucle, les yeux baignés de larmes. Personne ne fait plus vraiment attention à eux, de la même façon qu’on ignore un SDF délirant au milieu d’une rame de métro bondée. Mais le sentiment dominant est bien sûr la colère. Beaucoup cherchent à comprendre, à trouver une explication rationnelle à ce drame. Les membres de la FFR et de la LNR s’invectivent, menacent d’en venir aux mains et se rejettent tour à tour la responsabilité de cette disparition tragique. « C’est la faute à Toulon et aux étrangers ! », maudit un sexagénaire en remplissant sa couche. On apprendra plus tard qu’il s’agissait de Ferdinand, membre du comité directeur de la FFR de longue date. Sur son CV, on trouve plus de 784 participations aux divers buffets organisés à la Fédération, pour une décision prise en 34 ans. Il a déjà oublié qui est mort mais ce n’est pas très grave puisqu’il était surtout venu pour les petits fours. D’autres voix se font entendre. « C’est le calendrier », « C’est le Top 14 et son jeu restrictif », « C’est la formation ! », « C’est les doublons ! Je vous l’avais bien dit ! », hurle même un vieil homme bien trop fatigué en levant trois doigts rageurs au ciel. Installés au premier rang, les journalistes qui couvrent la cérémonie se lèchent les babines, car ils savent qu’ils ont trouvé de quoi noircir leurs pages pour un an de plus. Des journalistes qui seront d’ailleurs imités par les armées infatigables de Jean-Michel Yakafokon des forums de rugby sur internet. Jacques Verdier, lui, commence déjà à rédiger les premières pages de son nouvel ouvrage « Le rugby du temps d’avant de quand c’était mieux que maintenant parce qu’ils sont tous devenus fous » (titre provisoire). André Boniface a déjà donné son accord pour la préface, dans laquelle il compte dire des vérités dérangeantes sur la qualité du jeu d’évitement de Mathieu Bastareaud. Loin de toute cette agitation, deux hommes se tiennent loin de la foule et observent les évènements en silence. Le premier a l’air complètement abattu et a du mal à contenir ses larmes. Le second en a visiblement vu d’autres, et il ne semble pas plus ému que ça. Adossé contre un mur, les bras croisés, il s’adresse à son voisin. — Dis donc, ils en font pas un peu trop, quand même ? On dirait que les mecs ont jamais vu la France se prendre une branlée dans l’hémisphère sud. — Bah, celles-là… elles font très mal quand même. — Je sais pas. On a l’habitude, depuis le temps. Les tournées d’été c’est un peu comme l’Eurovision : on sait qu’on va se faire humilier, du coup on y envoie des guignols. Au moins comme ça on peut réussir à en rigoler un peu. — Nan mais là, le pire, c’est que c’était presque notre équipe type ! — Tu veux dire qu’il y a vraiment pas de meilleurs demi de mêlée en France que Maxime Machenaud et Morgan Parra ? Tu me fais marcher ! — Non, même pas. On est vraiment mal. Je commence à avoir peur qu’on ne passe même pas les poules en 2015. — Allons, allons, calme-toi. C’est pas la première fois qu’elle nous fait le coup de la mort cérébrale. Depuis 20 ans, on connait le numéro. Tu verras, elle va ressusciter cette équipe de France, comme d’habitude. — Je crois que cette fois, les couilles et la fierté ne suffiront plus. On va bientôt devenir l’Italie, tu vas voir. On dira de nous « Ils ont perdu, mais ils ont été braves/valeureux/guerriers/courageux » – bref, tout le vocabulaire condescendant habituellement réservé aux médiocres. D’ailleurs ça a déjà commencé, regarde le dernier Tournoi ! On était contents d’avoir perdu à domicile contre l’Irlande. L’Irlande, merde ! Avec une putain de génération dorée et le meilleur centre du monde ils ont à peine été capables de gagner un titre en 10 ans. Même Clermont n’a pas fait pire. — Mais non, tu dramatises. Tu verras qu’à la Coupe du monde, on fera encore une demi-finale. Voire, qui sait, une nouvelle finale. En tout cas on ira plus loin que les Anglais, ça j’en suis sûr. — T’es dingue ? T’as vu comment ils jouent depuis quelques mois ? Et ils viennent de faire le doublé aux championnats du Monde des -20 ans… il faut se préparer à vivre les heures les plus sombres de notre histoire. En février dernier, on a peut-être vu la dernière victoire française dans un Crunch avant un bon bout de temps. — Bof, pas convaincu. En ce moment tout le monde les aime les Anglais. C’est pas bon pour eux, ça. Leur carburant naturel c’est la haine qu’ils suscitent partout à travers le monde. Tu verras qu’ils vont se planter s’ils continuent comme ça. D’ailleurs, on a beau se toucher sur leur jeu, ils gagnent presque jamais. — Mouais. Même si tu avais raison, ça nous avancerait à quoi de faire une finale de plus ? On oubliera toute la merde qu’on a vue pendant 4 ans et on repartira comme si de rien était, sans rien changer, comme à chaque fois. En fait, les institutions du rugby français devraient peut-être passer un protocole commotion, vu la qualité de leur mémoire ils ont sûrement des lésions irréparables au cerveau… — Mais ça nous avancerait à quoi d’être champions du Monde, de toute façon ? D’accord, tu vas prendre une grosse cuite et tu vas être content pendant une semaine. Il n’empêche que ça ne rendra pas tes érections matinales moins molles et que ça ne rendra pas ta vie moins merdique et vide de sens. On s’en fout d’être champions du Monde ! — Bah quand même, ça fait du bien, merde ! Regarde l’équipe de France de foot en ce moment. Les mecs se font plaisir, ils jouent bien, ils se marrent, ils mettent des branlées à des pays du tiers-monde footballistique. On sait bien qu’ils seront pas champions du Monde, mais on s’en fout, tant qu’ils nous donnent un peu de plaisir le temps d’un été. Tu te souviens de la dernière fois que le XV de France t’a donné du plaisir ? Pire, de la dernière fois que t’as eu l’impression qu’ils en ont pris, eux, les joueurs ? Les mecs sont morts à l’intérieur. On dirait des figurants de Walking Dead sur le terrain. — Non mais ça c’est normal, c’est du mimétisme. Les chiens ressemblent souvent à leur maître, à ce qu’il paraît. Ben là, les joueurs de l’équipe de France ressemblent à PSA. — Et les supporters aussi, du coup. J’espère que la FFR va fournir des kits de suicide dans les packs de matchs pour la coupe du Monde, je crois que ça s’impose. — Au moins, ils arrêteront de faire la Ola à chaque mêlée… — J’aimerais pouvoir m’en foutre comme toi… mais non, j’y arrive pas. Je ne sais pas comment tu fais. — Bah c’est simple. Quand ça va mal, imagine que tu es supporter de l’Écosse. Tu verras, après ça va tout de suite mieux. — Pas con. — Bon, c’est pas tout ça, mais je vais te laisser l’ami. Pierre Camou en est à son 6ème verre, logiquement dans 10 minutes il se met à chanter Hegoak en slip. Je veux pas rater ça. – D’accord, amuse-toi bien alors. La soirée poursuit son cours. Au fil des verres, l’ambiance se fait de plus en plus détendue, puis même franchement fraternelle. Passé minuit, tous les vieux ennemis se transforment en camarades, comme dans un conte de fée où les baguettes magiques auraient été remplacées par des magnum de champagne. Soudain, tout le monde ne parle plus que du « Grand Stade », que parait-il, il faut absolument construire pour assurer la survie du rugby français. Au petit matin, les convives se réveillèrent avec un bon gros mal de crâne, au beau milieu des cadavres de bouteilles. Celui qui était censé occuper le cercueil, par contre, avait disparu. Bientôt, plus personne ne se souviendrait qu’il avait été là.