Bac Boucherie : épreuve de philo
par Ketchup-Mayol

  • 17 June 2014
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par Ketchup-Mayol

Ah, spécificité française, quand tu nous tiens. Aujourd’hui, je planche sur quelque chose qui n’est rien qu’à nous, et ce n’est pas le French Flair. Non, aujourd’hui, je me penche sur le bac philo. 

Quoi, ça vous étonne un supporter toulonnais qui fait de la philo? On a pourtant d’excellents philosophes au RCT !

Bakkies Botha explique le concept du surhomme Nietzschéen à la 3e6 du collège Marc de Rougemont

 

J’ai vite écarté le premier sujet, le commentaire de texte sur la réflexion d’Albert Camus sur l’orientation des mains lors d’un en-avant et l’arbitraire de la pénalisation de la mêlée fermée. C’est pas de bol, j’avais séché les cours sur la théorie de l’Absurde. 

J’étais vachement plus intéressé par le sujet de dissert’ “Le Stade Toulousain mérite-t-il Imanol”. j’avais mon plan en deux parties qui reflétait bien l’ambigüité de la proposition:

A/ Si on n’est pas trop regardant, le palmarès du ST le rend à peu près digne du Grand Homme.
B/ Certes, le ST a fait une saison de merde mais pas au point de mériter pareil châtiment. 

Mais ça faisait doublon avec l’article de l’Affreux Gnafron, et Ovale Masqué m’a fait comprendre à demi-mots qu’il ne tenait pas à être réveillé à 3h du matin par des appels anonymes de Guy Novès. 

Me restait donc “Peut-on parler de tout n’importe comment en rugby?” Vaste question.

Bon, je vous passe l’intro: “Depuis l’invention du rugby par William Webb Ellis, l’Homme s’est demandé si on pouvait parler de tout n’importe comment, etc…”

 

Le fond, la forme et le contexte

Ce sont les trois facteurs du discours à prendre en compte : ce que vous avez à dire, la manière dont vous allez le dire et les circonstances dans lesquelles vous allez le dire.

Tout d’abord, le fond doit de préférence avoir un sens. Je dis bien de préférence car dans le domaine sportif, les expressions dénuées de sens font florès. Prenons l’expression « lancé comme un frelon » : une campagne de pub se lance, une fusée se lance, un javelot se lance mais un frelon? Ca n’a pas plus de sens que, disons, “tendu comme un arbousier” ou “jovial comme un tractopelle”. 

Ca pique, ça vole, un frelon mais ça n’arrive pas lancé et il faudrait en tenir une sacrée couche pour essayer d’en lancer un !

Devine avec quelle main j’ai lancé un frelon…

 
On va partir de l’idée saugrenue qu’on a un message à faire passer, par exemple que l’on remet en cause la compétence d’un arbitre. Il va falloir attribuer une forme à ce message. Là, deux options s’offrent à vous.

1 :  l’option dite clermontoise : “Oui, ce carton jaune, cet essai refusé, l’essai qu’on encaisse malgré un en-avant n’ont pas facilité les choses, mais c’est de notre faute, on a mal joué. C’est dur mais c’est la glorieuse incertitude du sport. Excusez-nous de vous demander pardon.” Aucun effet.

2 : l’option dite toulonnaise : “Ce soir, j’ai vécu ma première sodomie arbitrale.” 130 jours de suspension.
 

Jean-Marc Lhermet proteste vigoureusement contre l’arbitrage après ASM-Sararacens.

 

La forme doit s’adapter au contexte. Dans un contexte privé mais aussi dans certains stades, on est libre de tout dire comme rire des déboires de l’USAP (en l’absence de LeMormeck, toutefois), accuser l’adversaire de tous les noms d’oiseaux possibles, de tares diverses ou de déviances sexuelles avec le vocabulaire le plus cru, (ex. « Mamuka suce des ours »). 

Dans un contexte public (hors stade), on peut tomber sous le coup de la loi ou tout bonnement se faire casser la gueule. Il faut donc moduler la forme, même si ce n’est pas une garantie absolue de ne pas se faire casser la gueule. Si on module l’exemple précédent, en disant à Mamuka “Tu t’adonnes à des relations bucco-génitales avec des plantigrades” on risque quand même très gros, qu’il ait compris ou non. Souvenez-vous qu’il peut être insultant de traiter un arbitre d’homosexuel, même si ça reste moins insultant que de traiter un homosexuel d’arbitre. Choisissez votre vocabulaire soigneusement: Jocrisse/tartufe = OK alors que Pipasse = 13 semaines.

 

L’affaire Cardona

L’affaire Cardona illustre assez bien les propos tenus plus haut. Si en toute objectivité, le fond n’était pas forcément faux (on se fait enfler  par un voyou multi-récidiviste) la forme employée par Bernie Le Dingue n’était pas appropriée, et ce pour plusieurs raisons. 

D’abord c’est contraire aux Valeurs © : on ne conteste pas l’arbitrage, même quand il est scandaleusement complaisant. On est pas au foot, ici, monsieur, merde ! Facteurs aggravants pour Laporte : il est directeur sportif du RCT (cf. Le Complot ™), c’est un ancien secrétaire d’Etat aux Sports et enfin, une semaine plus tard, il a utilisé la tribune offerte par le grand philosophe du siècle dernier, Vincent Moscato pour des attaques ad hominem.

D’après une idée de Capitaine A’men’donné *

 

Il n’a pas utilisé la formule politiquement correcte : « C’est dur, mais c’était à nous de nous mettre à l’abri d’une décision de l’arbitre. On a mal joué, on aurait dû tuer le match. » 

 
Le New Deal de la LNR
 
Donc nous avons vu que dans la plupart des cas, on peut dire tout et n’importe quoi si le fond et la forme sont en adéquation avec le contexte. Certains appelleront ça de l’autocensure, d’autres de l’hypocrisie, ou encore de la diplomatie. En fait il s’agit d’une forme d’intelligence situationnelle. 
 
Le New Deal de la LNR constitue un développement intéressant : Paul Goze s’engage à punir ceux qui dénatureraient le produit Top 14. Faut-il craindre une dérive totalitaire, une attaque contre la liberté d’expression ? Pourra-t-on avouer qu’on s’est fait chier lors d’un match où des seconds couteaux vont livrer une prestation pitoyable à l’extérieur au mois de janvier ? 
 
Bien sûr, le supporter lambda ne risque pas grand-chose, mais les dirigeants de clubs sont directement visés (enfin, un en particulier), mais quid des journalistes sportifs ? Faudra-t-il apporter des oranges en prison à Ovale Masqué ? 
 
Il va de soi tout comme pour Hadopi, cette volonté de la LNR risque de se heurter à la réalité. L’applicabilité de telles mesures est compromise par des questions telles que la définition de « dénaturer », quelles amendes pour quelles infractions, qui pourrait tomber sous le coup de la mesure, est-ce constitutionnel, etc… Mais la démarche est assez significative de la direction que prend notre sport. 

R. Escot se réveille dans un monde où la liberté d’expression a disparu

 

CONCLUSION

A l’heure actuelle, question rugby, on peut encore dire à peu près tout et n’importe quoi – Mathieu Lartot en est la preuve. Les nouvelles technologies, les réseaux sociaux ont décuplé cet état de fait.  Mais certains voudraient limiter ce droit précieux. Il est du devoir de chacun de faire bon usage de cette liberté, car comme le dit Ovale Masqué : “De grands pouvoirs impliquent de grandes responsabilités. Et putain, il vient ce café, le Stagiaire ? “.

* Pipasse, le pitch du film: Laurent, un jeune homme sans talent particulier, décide d’endosser un costume vert pour faire régner l’ordre et la justice. Ce qui ne va pas sans heurter les intérêts de la mafia locale. Violence gratuite et réparties cinglantes sont au programme! (Capitaine A’men’donné)