Abats d’idées #3 : Faut-il siffler dans les stades ? Non ! (2/2)par Le Stagiaire 22 May 2014 34 Par Le Stagiaire, (merci à Pilou pour les suggestions) Ce texte est dédiée à Micheline Dax, reine du sifflet. Ceci n’est pas une rébellion. Ovale Masqué est le meilleur d’entre nous. C’est comme ça. J’en suis convaincu et c’est même marqué sur ma convention de stage. Mais voilà, il y a peu, le chef a publié une tribune intitulée « Siffler, c’est cool ». Une tribune bien argumentée, bien écrite et très drôle. Bref, un texte moyen pour Ovale Masqué. (Slurp). Un texte auquel je ne peux cependant complètement adhérer, notamment sur le fond. Je vais donc me faire, l’espace de quelques courts paragraphes, le défenseur des doux rêveurs, des niais, bref des connards idéalistes un peu relous. Car pour moi, non, siffler n’est pas « cool ». 1 – Le Chef a (presque) toujours raison. Tout d’abord, je voudrais commencer par lister quelques points d’accord que j’ai avec le texte publié par notre gourou et ainsi me protéger de quelques préjugés que ma prise de position pourrait engendrer. Non, je ne suis pas un partisan du « c’était mieux avant ». Non, je ne pense pas que les rugbymen et leurs supporters sont plus intelligents que les footballeurs et leurs supporters. Non, je ne suis pas contre le « chambrage » entre joueurs ou supporters. Non, je ne suis pas contre les traditions folkloriques (bronca, lancer de journaux, lancer de nains, etc) Non, je ne suis pas fondamentalement contre le sifflement Mais… Voici l’homme qui aura le plus sifflé dans les stades ces dernières années 2 – Non, je ne pense pas que « Siffler, c’est cool » Siffler, c’est tellement facile. Franchement. Du moins, dans l’idée… On ne va pas se mentir, les personnes qui savent « vraiment » siffler sont rares. Beaucoup d’entre nous ne savent même pas faire, leur sifflement ressemblant au mieux à celui, inoffensif, qu’on peut entendre entre deux ronflements ; et au pire au rassemblement annuel des fétichistes du postillon. À l’inverse, la personne qui sait vraiment siffler, tient entre ses mains (ou du moins, ses doigts et ses lèvres) un pouvoir puissant, capable de faire chier tout le monde dans un rayon de 50 mètres. Dans un stade, les personnes de la première catégorie se rabattent généralement sur un « Bouuuuh » énérvé, parsemé éventuellement de quelques « Enculé ! » discrets selon les circonstances. Au final, les personnes qui sifflent ou qui huent ont le même objectif : montrer qu’elles ne sont pas contentes, énervées. Le sifflement manque, dans sa symbolique et dans son sens, cruellement de créativité et de précision. Le sifflement, c’est l’aveu même d’un manque d’arguments ou d’originalité. Le sifflement peut vouloir tout dire et souvent, la fainéantise qu’il révèle conduit celui qui le pratique à une surenchère dans la facilité. « La bêtise, c’est de la paresse», expliquait Brel. On commence par siffler l’adversaire, puis l’arbitre, puis l’arbitre de touche, puis tel joueur parce qu’il a fait un coup de pute au match aller, puis untel parce qu’après avoir joué pendant 10 ans pour un club, il est parti chez le voisin. Au final, tout le monde siffle tout le monde, tout le temps, et on se retrouve même dans des situations où on ne sait même pas qui se fait siffler sur le terrain. Un stade de rugby nous procure une palette d’émotions extrêmement large (colère, joie, tristesse, surprise, déception). Le fait de condamner la moitié de ces sentiments (souvent les plus malheureux) à s’exprimer par le simple sifflement est assez dommage. On siffle un joueur qui nous a déçus, on siffle cette pipasse d’arbitre qui nous met hors de nous avec ses décisions à la con, on siffle parce qu’on veut déstabiliser l’adversaire qui est trop fort pour nous. Il nous fait d’ailleurs tellement peur que le huer est la seule chose qu’on ait trouvé pour tenter de le faire sortir de son match. CQFD. Le sifflet est un peu l’arme du faible. Je lui préfère largement une créativité de groupe ou individuelle, comme les expressions fleuries qu’on voit régulièrement prospérer dans les stades. Du « Depuis le début » beuglé par un supporter énervé après la première mêlée écroulée au « Oh le 8 ! Violeur d’enfant ! » après un en-avant sous une chandelle du flanker adverse. Les possibilités pour soutenir son équipe ou chambrer celle d’en face sont infinies. Des traditionnels chants de supporters, à ceux plus improvisés, en passant par les banderoles et les happenings en tout genre. On peut par exemple citer ce moment très drôle où le public girondin a repris en choeur un chant incitant le gardien adverse à laisser marquer son buteur en manque de réussite. Ou cette célèbre image (peut-être fake) du supporter qui tente de déstabiliser Tony Parker. Le nouveau chant créé par les supporters de Bayonne et concernant Imanol Harinordoquy est un autre exemple plus provocant, mais aussi plus marrant : Tous ces exemples, pourtant parfois venus d’autres sports, montrent que le sifflement n’est pas la seule barrière protectrice à l’aseptisation des stades. Évidemment, le fait de siffler ou de huer a le mérite de faire du bruit et d’entraîner des actions de groupe. C’est alors toute la tribune, et l’arbitre ou le joueur visés qui en profite. Alors que vous ne risquez pas de vous faire entendre en criant vos états d’âmes ou vos provocations en virage, tribune haute, dernier rang à 50 mètres de l’en-but. Mais l’un peut se substituer à l’autre puisque la plupart du temps, la volonté de siffler ou crier vient plus du fait d’évacuer ce que vous ressentez (comme vous pouvez le faire sur votre canap’) que de changer le cours du match. On a rarement vu un arbitre se laisser influencer par la pression d’un stade ou un joueur passer à côté pour les mêmes raisons (le premier qui parle de Craig Joubert ou de Brock James a perdu !) Attention, il n’est évidemment pas question de bannir le sifflement des stades ou même de se l’interdire à soi même. D’ailleurs dans certaines circonstances, l’avantage de sa spontanéité le rend très pratique. Il est davantage question des sifflements perpétuels, de ceux qui ont lieu à chaque décision de l’arbitre (bien que vous soyez toujours à 50 mètres de l’action), qui visent un joueur en particulier (coucou Delon) ou qui se destinent à une équipe faisant son tour d’honneur (l’excuse de la mauvaise tribune ne fonctionne pas). De plus le sifflement a tendance à irriter. Les personnes qui sont devant et qui n’en peuvent plus, mais aussi les supporters adverses. Quand un chant ou des expressions peuvent facilement laisser entendre l’ironie ou l’ambiance « bon esprit », on a plus de mal à définir si les mecs qui sifflent sont des connards finis vraiment énervés ou s’ils s’amusent juste à le faire pour contribuer à l’animation des rangs alentours. D’où l’importance de ne pas faire de la pratique une réponse à tout. Et c’est là où j’ai un autre point de désaccord avec le chaife. La sanction pour les siffleurs 3 – Non, je ne pense pas qu’il faille être un gros con en tribunes Et sur ce sujet, on quitte quelque peu le domaine du simple sifflement. Quand ils rentrent sur le terrain, même si les joueurs ont laissé leur cerveau au vestiaire, ils sont soumis à un ensemble de règles, avec un arbitre qui a pour but de les faire respecter. J’ai déjà (pour ne pas dire souvent) vécu des matchs (niveau fédérale/honneur certes, mais tout de même) où un supporter (plus ou moins aviné selon les situations) passait 80 minutes à insulter un joueur adverse et toute sa famille, sans raison apparente. Le folklore a bon dos, mais il n’excuse pas tout. Puisque justement, les supporters dans les stades de rugby ne sont pas plus malins que ceux du foot, les dérapages existent et certaines surenchères peuvent mal finir. On a encore la chance de pouvoir se placer librement dans un stade et de ne pas avoir de grillages pour séparer les supporters les plus énervés des deux équipes qui s’affrontent. On a encore la chance de pouvoir chambrer, discuter et payer des coups à nos « pires ennemis » aux abords des stades. Une chance qui tient aussi au respect qu’on est capable de montrer dans son enceinte. Les avant-matchs de France-Angleterre aux abords du stade sont par exemple toujours des moments savoureux. Et quand un « Swing Low sweet chariot » se fait siffler lorsqu’il retentit au Stade de France, il n’y a pas de quoi se vanter d’être « cons parce que français ». Les sifflements, les insultes, lorsqu’ils ou elles deviennent excusés ou minimisés au profit de la philosophie d’un « No Brain Land » sont aussi un premier pas vers une généralisation de ces comportements. Le rugby se professionnalise (parfois on en doute mais oui…) mais les comportements des supporters sont restés les mêmes. Et non, l’amateurisme, la Fédérale 3, un mauvais arbitrage ou le fait d’être Toulonnais n’excusent pas tout. On ne peut que s’inquiéter d’une animosité de moins en moins saine lorsque certains clubs en viennent à s’affronter. L’exemple qui m’a le plus marqué ces dernières années vient sans doute des Clermont-Toulon. Au delà de l’historique sportif, des déclarations médiatiques des différents acteurs et des débordements marginaux (tags sur les bus et crevaisons de pneus sur les parkings), les échanges entre supporters sont de moins en moins cordiaux et « bon enfant » comme les fameuses valeurs® le recommandent pourtant. C’est mon ressentiment (peut-être faux), de ce que je peux entendre/voir/lire dans la vie de tous les jours auprès des supporters en question ou sur internet. Dans ce cadre, les sifflements et les provocations un peu trop gratuites ont plus tendance à entraîner une escalade et une surenchère qu’il peut être difficile de désamorcer sur le long terme. Un fléau plus grave que les sifflets : la ola. La mauvaise foi, les chambrages, les provocations borderline font partie de l’animation d’un stade. Et être con est un droit universel, que l’on est peut-être même libre d’exercer dans un stade plus qu’ailleurs. Mais, puisque un droit ne vaut pas grand chose sans le devoir qui va avec, il ne faut pas oublier que le con devient dangereux quand il est persuadé de ne pas l’être. Un devoir de conscience qui nous incombe à tous, nous, supporters. Reconnaître (quand les autres sont partis) sa mauvaise foi, faire preuve d’autodérision, savoir calmer le jeu quand c’est nécessaire et quand on est face à quelqu’un de plus con que soi. Avoir conscience d’être con, c’est aussi la possibilité de choisir de ne plus l’être. Car, et là dessus je rejoins Ovale Masqué, après tout, ça n’est que du rugby. PS : si vous ne pouvez vraiment pas vous empêcher de siffler, vous pouvez toujours tenter de rivaliser avec Sylvain Bouchard, le siffleur du Québec.