Rugby & Strategy : partie 7, la der’ des der’par La Boucherie 05 January 2012 2 Dernière partie ! On y parle de Foch. Vous savez, comme le boulevard ! Rugby et stratégie (7) Essai d’élucidation du rugby par la stratégie ou Les penseurs de la guerre au service du noble jeu Où l’on apprend que la règle des trois « P » (Pousser, Plaquer, Courir), c’est pas que des conneries… Le détour par la Chine dans le précédent article nous permet de nous intéresser à une nouvelle notion, qui est celle, fondamentale, des principes de la guerre. Nous avons déjà vu plus haut que certains auteurs s’essaient à résumer l’art stratégique en une phrase bien sentie. Ces tentatives correspondent à la volonté intellectuelle de synthétiser la stratégie en principes qui constitueraient en quelque sorte les « Tables de la loi » et auxquels il conviendrait que le chef se réfère en permanence avant d’élaborer ses plans de bataille. La recherche des principes est une quête incessante et forcément inachevée. Certains les limitent à deux (Amiral Labouerie : « incertitude et foudroyance ») ou trois (Foch : « économie des forces, liberté d’action, surprise »), d’autres, comme le Britannique JFC Fuller, en dénombrent neuf, tout comme l’armée américaine dans ses manuels 1. D’autres encore pensent qu’il n’en faut pas : Se souvient-on que mon premier principe à la guerre est de n’en pas avoir ? Comment voudrait-on en appliquer deux parfaitement égaux ? Y a-t-il deux situations parfaitement de même ? Il en est des combats comme des visages et, quand ils sont ressemblants, c’est beaucoup ; 2 Et pour cause, l’incroyable variété des situations à la guerre semble décourager toute recherche de recettes immuables. Mais justement, il ne s’agit pas de recette, mais plutôt de guides. Les principes demeurent des références dont la pertinence varie en fonction des circonstances, des buts recherchés, voire, de l’évolution des techniques. Examinons cependant l’application de ceux du maréchal Foch au rugby : L’économie des forces s’entend parfaitement. Il s’agit de gérer physiquement et psychologiquement les joueurs, non seulement sur un match, mais aussi pendant toute la durée de la compétition. Le coaching permet une rotation saine des joueurs, mais le joueur lui-même doit savoir doser son effort pendant le match et la saison afin de n’être pas « cramé » trop tôt, ou tout simplement ne pas augmenter son risque de blessure. Il faut parfois savoir « s’enlever » pour durer… Mais tactiquement, ce principe est tout aussi pertinent : en attaque, comme en défense, il convient de ne pas se « consommer » entièrement sur un ruck, par exemple, de façon à ne pas se dégarnir ou se priver du soutien une fois le ballon reparti. Mais, de fait, l’économie des forces peut aussi s’entendre dans un sens extensif, comme la capacité à réunir, à concentrer sa puissance en un point ou en un moment, afin de créer un déséquilibre décisif : on en revient à la gestion du temps fort et du temps faible. En synthèse, on pourrait dire que ce principe est un appel à la raison et au recul : il s’agit de proportionner parfaitement l’effort que l’on produit au gain que l’on recherche, immédiat ou à moyen terme. La liberté d’action est, quant à elle, un principe de très large application. Elle vaut aussi bien au niveau individuel que collectif. On peut y voir la faculté à prendre l’initiative, à exploiter les percées, mais aussi la capacité à conserver une marge de manœuvre, en attaque par exemple, en s’assurant des libérations de balles rapides et une domination dans les rucks qui permettent de desserrer l’étreinte adverse sur le temps de jeu suivant, tout en ayant anticipé le replacement défensif, afin de ne pas être surpris par un turn over suivi d’une contre-attaque. Dans la liberté de manœuvre, on peut aussi compter le « sens tactique », c’est à dire la bonne lecture du jeu qui permet, nous en avons parlé plus haut à propos de « l’occasion », de bonifier une situation propice. Cette liberté d’action peut également concerner l’interprétation des règles, tout du moins, une parfaite connaissance des habitudes de l’arbitre, qui permet de jouer jusqu’à la « limite de la faute », voire au-delà. La liberté d’action pousse naturellement à l’offensive, car elle tend à faire prendre le jeu à son compte et à imposer son rythme à la partie et surtout, à l’adversaire, et, à ce titre, n’est pas sans conséquence sur le moral des protagonistes. Toutefois, une stratégie défensive forte, telle celle mise en place par les Australiens lors du dernier quart de finale de la coupe du monde contre les Spring Boks, prouve que la liberté d’action peut aussi être l’apanage du défenseur, qui enferre alors l’adversaire dans une tactique stérile. Enfin, la surprise stratégique est « la possibilité pour l’ennemi de nous attaquer quand nous ne sommes pas en état de le bien recevoir ; (…) en raison même de l’insuffisance (…) du renseignement. »3 On doit donc à la fois se prémunir de la surprise en recherchant une forme de sécurité, tout en essayant soi-même de dénier cette sûreté à l’adversaire. Dans le rugby moderne, un premier outil pour éviter la surprise est la vidéo. Celle-ci est, en quelque sorte, le service de renseignement du club qui permet d’analyser le jeu adverse, comme un satellite espionnerait les fortifications de l’ennemi qui ne seraient pas dissimulées. Réciproquement, l’étude statistique et systématique de l’adversaire doit normalement mettre en évidence ses points faibles, et, de fait, l’empêcher d’agir en sécurité. La surprise peut être technique : la tortue béglaise en 1991 est emblématique de l’avantage que peut procurer une innovation tactique d’autant plus efficace que ceux qui l’employaient étaient les seuls à la maîtriser parfaitement. L’appel à des spécialistes du jeu au pied ou de la préparation physique dans les années 1990 a apporté un avantage temporaire mais décisif aux premières équipes qui en ont bénéficié. La surprise peut naturellement naître de l’organisation collective, qui fait peser une incertitude, grâce, par exemple, à une combinaison nouvelle ou inattendue. Typiquement, l’essai des All Blacks en finale de la dernière coupe du monde a surpris les Français, qui, mésestimant le danger, ont défendu sur le lancer et ont délaissé l’intervalle dans lequel s’est engouffré le marqueur. La surprise peut également être le fait d’un joueur hors-normes, tel Jonah Lomu, à lui seul en mesure de déchirer une défense sur toute la longueur du terrain. Posséder un tel joueur dans son équipe est une garantie d’insécurité pour l’adversaire. Ce dernier sait qu’à tout moment, d’une part, le phénomène peut frapper, d’autre part, qu’il doit se focaliser sur un joueur au détriment, peut-être, des autres. De même, des joueurs insaisissables, capables de gestes de classe et improbables, tels Frédéric Michalak ou Sione Lauaki, sont en mesure de créer la surprise par une inspiration dont ils ont, seuls, le secret. La surprise, enfin, naît du hasard, du « brouillard de la guerre ». Elle peut être le résultat d’un fait de jeu, un contre sur un dégagement au pied, un rebond improbable ou une sortie de balle en mêlée mal négociée. Dans ce cas, elle surprend les deux protagonistes et c’est à celui qui sera le plus prompt à exploiter la situation initiée si soudainement. Ainsi se conclut donc l’essai de Vern Dublog. Pour plus d’élucubrations, la Boucherie vous invite fortement -non, vous somme- d’aller directement sur l’excellentissime Blog de Vern Cotter. 1 Col. Herbert R. Tiede, USMC (à la retraite), « Principles of War », Marine Corps Gazette (avril 1995), p. 54. 2 Prince de Ligne, Préjugés et fantaisies militaires, Sur l’infanterie, Des choses extraordinaires, 1780. 3 Ferdinand Foch, Des principes de la guerre, Conférences faites à l’école supérieure de guerre, Berger-Levrault & Cie, Paris, 1906, p217.