Une journée en enfer…par Capitaine 16 November 2011 14 Par Capitaine, J’ouvre les yeux après quelques minutes de concentration assis sur un banc qui n’a plus qu’une planche sur les trois initiales. Mes doigts sont collants d’une résine que j’étale sur tout ce que je touche. Une forte chaleur a envahit mon dos ainsi que mes épaules. Cette familière odeur de terre mouillée emplit mes narines pendant qu’un vacarme connu pénètre mes oreilles en choux-fleur. Les tonalités aigues des crampons métalliques frappant le carrelage rythment le discours du coach sur un fond rugueux des corps qui claquent et qui s’entrechoquent. Nous sommes revenus au vestiaire après un échauffement qui nous prépare à la guerre. On a vite remplacé les pompes par des percussions dans les boucliers étriqués du club et personne n’a revu les combines, dans nos têtes, pas besoin, il valait mieux se frotter les oreilles entre nous, sentir les hommes, se préparer au contact. Réunis en cercle dans un vestiaire étroit comme un bus scolaire, autour d’un seul homme qui vous rend à moitié sourds par des paroles haineuses aboyées bien trop près, tout en vous rinçant la figure de sa salive chaude accompagnée d’une haleine à faire évacuer un squat de clochard, nous défions mutuellement les regards décidés et rageurs de nos coéquipiers. Resserrés à s’en faire sauter les clavicules, nous encaissons les claques brusques du capitaine qui nous motive. On n’a plus qu’une envie désormais, faire payer au premier adversaire venu la perte d’audition, les postillons et les baffes dans les dents. La tête remplie de violence et les mains qui tremblent, je rejoins la colonne formée par mon équipe dans l’étroit couloir qui s’ouvre sur le terrain. L’équipe adverse est en place sur l’autre côté, la tension monte, l’ambiance est électrique, des regards assassins parcourent le couloir, les respirations sont plus fortes, les bras plus lourds. J’ai une furieuse envie de détruire la dentition de mon vis-à-vis par une marmite en travers de sa mâchoire. Nous laissons nos victimes du jour pénétrer sur le terrain sous les insultes champêtres de nos valeureux supporteurs venus assister à l’exécution qui constitue la seule occupation du week-end. Notre entrée sur le terrain se fait sous les encouragements bruyants et des slogans sanglants des amateurs du rugby d’antan. Nous sommes chez nous. Alignés à deux mètres derrière la ligne médiane, dans les starting-blocks, attendant le signal du buteur, nous sommes prêts, la bave à la bouche, les poings fermés à se ruer sur l’adversaire. Nous savons que l’on ne jouera pas la balle de toute façon, on doit d’abord leur expliquer un truc : nous sommes chez nous. Le ballon monte haut dans le ciel alors que nous courons au mieux de nos capacités en direction du point de chute, ciblant à l’avance notre victime, décortiquant le timing afin de savoir quelle partie de notre anatomie va asséner le coup rageur qui laissera l’adversaire à terre… C’est fait, il est grand, il est pas beau et il va morfler. Je suis à pleine vitesse, je place mon épaule au niveau de ses côtes, il ne m’a pas vu, il regarde le ballon qui retombe quelques mètres derrière lui. J’encastre toute sa cage thoracique et retombe au sol avec lui, compressant un maximum ce qui lui reste du haut du corps. La générale éclate. Les coups fusent dans tous les coins. Le public gronde, participe par-ci par là. Mais je sens que ça se calme quand, dans mon dos, une main se pose sur mon épaule me tirant en arrière avec une remarque m’incitant à me calmer. Le malotru, il ne sait pas à qui il s’adresse. Ni une ni deux je l’assomme d’un coup de coude vers l’arrière qui vient heurter sa mâchoire, ma victime s’effondre, inconsciente, tout le monde s’arrête, le stade est silencieux. C’était l’arbitre.