Vern Crotteur nous donne des nouvelles de Marc Lièvremont…
par Vern Crotteur

  • 13 April 2011
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Salut les Frenchies,

¼ de finale de H Cup, ça veut dire weekend de chômage technique pour moi. Heureusement, je commence à avoir l’habitude. Mais je reste optimiste. Comme pour le TOP 14, à force d’échouer, ça finira bien par passer, à l’usure. Du coup, j’ai mis mes warriors au repos. Je peux pas dire qu’ils l’ont mérité, mais enfin, j’en ai plusieurs qui étaient au bord de la fracture de fatigue, alors autant éviter la casse.

D’autant que le gros Thomas lui, il est bel et bien « out » pour un moment. Je déconne, mais je l’aime bien le gamin, ça me fait vraiment de la peine pour lui. Ses parents l’avaient déjà inscrit pour une colo de vacances dans l’hémisphère Sud, en octobre … Il voulait absolument aller nager avec les dauphins. Je crois que c’est mal barré. D’ailleurs, je suis allé le voir vendredi chez lui. Histoire de le consoler un peu. Déjà, je lui ai dit qu’il y avait pas de dauphins à Auckland, juste des baleines. Et c’est pas vraiment conseillé de se baigner avec elles, même si tu as le même morphotype. Je sais pas s’il a compris. Il m’a juste regardé avec ses yeux de chiot nouveau-né et il m’a répété qu’il voulait nager avec les dauphins. J’ai pas insisté, mais je me suis dit que son problème n’était peut-être pas seulement physique … Un syndrome de stress post-traumatique peut-être, allez savoir. Mais après le tournoi, ça serait pas étonnant.

Et ça m’amène au deuxième fait marquant du weekend. Ça me faisait tellement chier qu’on soit pas qualifié en H Cup que j’ai tout fait pour ne rien voir des ¼. Alors je suis allé rendre visite à Marco. ça m’a surpris qu’il soit pas descendu à Barcelone avec le reste de sa bande d’arlequins. Mais il en fallait bien un pour garder la ville, le temps que les autres s’imbibent de sangria dans le barrio gotico. Et puis, quand sa femme m’a annoncé que Marco s’était enfermé depuis la fin du tournoi dans un petit cabanon au fond du jardin, là, j’ai vraiment eu des doutes. D’après elle, il se repassait tous les matches de l’équipe de France en boucle et essayait de finaliser sa liste des 30. La nuit, elle l’entendait parfois pousser des hurlements d’animal blessé ou fouiller dans les poubelles du quartier, à la recherche de quelques restes de nourriture … Je me mets à la place de Madame Marco, la pauvre, ça doit être dur pour elle aussi.

Surtout qu’elle est obligée de dire aux voisins que Marco travaille comme bénévole pour la SPA et qu’il s’occupe avec dévouement d’animaux abandonnés. J’ai trouvé l’image intéressante … Et puis, je me suis approché du cabanon. Près de la porte, y avait des bouteilles de pastis vides, a côté d’exemplaires déchirés du cahier de jeu de l’équipe de France. Là j’ai vraiment compris ce qu’il se passait.

Tout grand entraîneur est passé par là, je parle par expérience. Trois finales de TOP 14 perdues d’affilée, je peux vous dire qu’il faut du temps pour s’en relever. Mais bon, quand je dis « grand entraîneur », je sais pas si je peux compter Marco dans le lot. Ou alors oui, grand au sens de grande incohérence, grand bordel et grands rebondissements.

J’ai frappé à la porte du cabanon et Marco a fini par m’ouvrir. J’ai eu un choc. J’ai déjà vu des tondeurs de moutons chez nous, qui passent trois mois dans les montagnes de l’île du Sud avec leurs bêtes, mais là … j’avais plutôt l’impression de me retrouver face à un de ces mineurs chiliens qu’on venait de remonter du fond de son puits. Deux petits yeux qui n’avaient plus vu la lumière du jour depuis des semaines me dévisageaient d’un air hagard, à travers une barbe hirsute et des cheveux en pétard. En plus, il avait des restes de bouffe collés à ses vêtements crasseux … Sans parler de l’odeur. Je peux vous le dire, j’ai d’abord eu un mouvement de recul. Et par réflexe, je lui ai balancé un coup de casque de moto. Heureusement j’ai mouliné dans le vide.

Très vite, Marco a essayé de se ressaisir. En tout cas, il a jeté la bouteille qu’il tenait a la main. Je me suis senti obligé de lui faire un peu la morale. Marco, fais pas ça. Pense aux gamins que tu vas emmener là-bas en octobre. Ils ont besoin de toi ! T’as pas le droit de détruire leur rêve. Apparemment, ça l’a fait réfléchir. En tout cas, il a essayé de me faire croire que les bouteilles, c’était uniquement pour agrémenter son régime à base de jus de citrons pressés qu’il s’impose depuis un moment … Bon, je veux bien. Mais quand j’ai retrouvé les restes d’un canari dans le mixer, je me suis dit que tout ça, c’était de la poudre aux yeux.

Mais je le comprends un peu Marco, il est au bout du rouleau. Alors on a discuté un moment. Sélection des joueurs, projet de jeu, programme de prépa coupe du monde. Tout le bordel quoi.  Je crois qu’il a apprécié mes réflexions, parce que quand j’ai voulu repartir, il est tombé a genoux et s’est accroché à moi, en m’implorant de pas le laisser comme ça. Il a fini lâché prise quand je lui ai mis un bon coup de casque sur le museau, comme je le fais avec mon berger des Pyrénées. Et puis il est reparti dans un coin en glapissant. Après j’ai eu beau dire que je regrettais mon geste, il est resté tapi dans l’ombre en grognant de façon menaçante. J’ai refermé la porte du cabanon, non sans lui avoir promis de lui filer un petit coup de main d’ici le 11 mai prochain.

Mais en remontant à Clermont, l’image de Marco m’a pas lâché. Cette nuit là, je me suis même réveillé en sursaut dans mon lit … J’avais rêvé qu’il m’avait suivi jusque chez moi et qu’il m’épiait dans un coin de la chambre. Y avait rien évidemment, mais par précaution je suis tout de même allé cherché mon remington 770, on ne sait jamais. Normalement, c’est fait pour le sanglier, mais je l’ai déjà essayé sur des chiens enragés aussi. Finalement, je me suis rendormi, ouf.

Cette semaine, retour au TOP 14. C’est pas plus mal, ça va me changer un peu les idées. Le seul avantage d’avoir été chez Marco, c’est qu’à aucun moment je n’ai pensé à ces putains de ¼ de finale de H CUP. Et rien que pour ça, ça valait le coup !

Vern