Rugby d’avant : Saison 1935-1936, épisode 1.par La Boucherie 26 January 2015 15 Par Thomakaitaci, Août 1935, il fait chaud dans le Sud-Ouest de la France. Le Tour de France s’arrête à Perpignan, à Pau, à Luchon et à Bordeaux. Pendant que tout le monde est en ébullition, les joueurs de rugby se reposent. Faut dire que la saison passée a été longue et sanguine. Il faut se remettre de la dernière finale et ce n’est pas facile. Tant d’émotions : les deux équipes – aujourd’hui disparues du paysage, c’est aussi ça le rugby d’avant © – de l’USA Perpignan et du Biarritz Olympique en ont décousu dans une orgie de coups-bas, déjà plus efficace apparemment que les envolées lyriques. Sur la pelouse du Stade des Ponts-Jumeaux de Toulouse, le stade du déjà-plus-grand-club-de-France-de-tous-les-temps (La « Vierge Rouge », comme on disait à l’époque), à quelques mètres de l’actuel emplacement du Stade Ernest-Wallon, les Basques écrasaient les Catalans sur le score de… 3 à 0. Dans les tribunes, le tout jeune Guy Novès, venu avec son papa, est aux anges. Devant ses yeux ébahis, il voit se concrétiser ce qui restera pour lui une sorte d’idéal du rugby. Le capitaine basque et centre Henri Haget fut la star du match. Il prit le dessus sur son homologue Joseph Desclaux le Catalan, ouvreur du XV de France, puis servit parfaitement son troisième ligne Lascaray en récupérant facilement la « poitrenade » de l’ailier sang-et-or Bentouré, gêné par son arrière… Paul Porical, comme un symbole ©. Lascaray marqua l’essai de la victoire (qui valait 3 points à l’époque, contrairement au drop, qui en valait 4 – courage Contepomi pour calculer) et dans une atmosphère amorphe, endormie par le peu d’intérêt sportif de la rencontre, les Rouge et Blanc soulevaient leur premier Bouclier de Brennus. Né dans l’indifférence générale, le Biarritz Olympique a aujourd’hui disparu sans que cela ne manque à quelqu’un. La boucle est bouclée. Juillet 1935 donc, le monde de l’Ovalie se repose. Encore quelques semaines avant de reprendre les terrains. A Poitiers, on s’active anormalement : le club vient d’obtenir pour la première fois de son histoire le droit d’accéder à la Division Excellence (l’ancêtre de l’ancêtre de l’ancêtre etc. du Top 14). Les Poitevins ont même été sacrés Champions de France de Division Honneur (l’ancêtre de l’ancêtre… – bon vous avez compris – de la Pro D2). Ils viennent d’ailleurs de recevoir la composition de leur poule de 7 de la part de la Fédération : « On pensait offrir de belles affiches à notre public, on se retrouve dans la même poule que Bayonne, Brive et le Racing, comprenez notre déception », aurait déclaré le Président du Club à la découverte du document. Pourtant, ces gens du Nord devraient se réjouir, Bayonne est l’un des clubs phares du rugby français des années 1930 : champion en 1934 et souvent demi-finaliste, mais surtout détenteur du titre d’ « équipe la plus belle à voir jouer », surchargée d’internationaux français. Le prototype de l’équipe des ancêtres des rugbyx, celle qu’on aime dire supporter pour faire bien dans les réceptions mondaines. Comparable en tous points au Stade Toulousain aujourd’hui, finalement. Derby basque en noir et blanc : on reconnaît le jeune Imanol. D’ailleurs, ces derniers se retrouvent dans le groupe 2, en compagnie de l’équipe la plus improbable du championnat, l’AS Bort-les-Orgues. Oui l’AS Bort-les-Orgues, un bled de 4000 habitants, à la limite du Cantal et de la Corrèze (ils cumulent là), évidemment sans eau courante ni électricité, mais avec une rivière, la Dordogne, qui a permis d’installer une industrie de cuir et le patron un peu mécène et grandiloquent qui va avec. Du coup ce dernier a monté un club de rugby, a fait venir les meilleurs joueurs de la région (il n’a pas encore opté pour la filière retraités sud-africains, ils ne connaissaient même pas l’existence de la ville d’Aurillac) et a fait monter le club en Excellence en 1930. Rien que l’idée d’un match Toulouse – Bort-les-Orgues fait saliver le petit monde de la balle ovale. Il n’empêche que ce groupe aurait pu être surnommé par les Mathieu Lartot de l’époque, le groupe « de la mort » © puisqu’il rassemble Toulouse mais aussi les Catalans Perpignan, l’autre grand favori de la presse, revanchards après avoir été les premiers à perdre en finale contre Biarritz (heureusement qu’ils ne savent pas encore qu’il seront les premiers et les seuls à perdre en finale contre les Clermontois, rien ne leur est épargné), ainsi que le Lyon OU, double champion de France en 1932 et 1933. Sinon il y a aussi l’US Thuir, le club des bouteilles Byrrh, Périgueux et Auch, mais eux on s’en fout. Bort-les-Orgues, un village qui fait partie du mensonge. Pour le reste, Béziers n’a pas encore de maire Front National vu que le parti n’existe pas encore. C’est ce qui a permis à la Fédération de les mettre dans le même groupe que le RC Toulon. Mais le match le plus excitant à venir c’est surtout le Toulon-Grenoble, avec une question cruciale : qui pour intercepter à la dernière seconde si Alipate Ratini n’est pas encore né ? Et comme chaque groupe a son quota d’équipes improbables, on retrouve ici les Libourne, Gujan-Mestras, Soustons et Tyrosse. Pendant ce temps, c’est la crise en Auvergne. Comme chaque été, les supporters de l’AS Montferrand (qui, en 1935, comprend une poignée d’ouvriers Michelin, leurs femmes, ouvrières Michelin, leurs parents, anciens ouvriers Michelin et leurs enfants, futurs ouvriers Michelin) manifestent devant le siège du club et rédigent une pétition. Cette fois-ci c’est pour protester contre la première défaite en finale de l’histoire du club : en mars 1935, les Jaunards se sont inclinés contre Perpignan en finale du Challenge Yves-du-Manoir. « Cette défaite ne doit pas être la première d’une longue série », peut-on lire sur les pancartes. De plus, les deux meilleurs joueurs de la saison passée, Louis Guibert et Gabriel Clément, se sont fait la malle cédant aux sirènes de l’argent du Rugby à XIII naissant. Les deux joueurs signent en effet un contrat avec le club de Roanne, c’est dire si la vie à Clermont-Ferrand dans les années 1930 est excitante. Mais dans la foule devant le siège du club, on ne fustige pas trop les deux joueurs. Si certains dénoncent des mercenaires qui vont tuer le « rugby vrai », d’autres, comme le jeune Aurélien R., petit blondinet prometteur, qui fait ses classes dans l’école de rugby du club, estime que ces départs ne sont pas si graves : « Il ne sont pas allés en pré-retraite à Castres, au fin fond de l’Aveyron, quand même ! ». On ne saurait parler plus juste. D’ailleurs, et c’est le point le plus important du nouveau championnat à venir, le Castres Olympique n’est pas en Division Excellence, et déjà en 1936, il ne manque à personne. La sécurité antigrève de Michelin, directement sur les toits du stade. Montferrand se retrouve dans le groupe 1, le même que celui du champion de France en titre, le Biarritz Olympique. Le match entre les deux équipes est prévu pour le mois de février 1936. Avant cela il faudra se défaire de Lézignan et de ces joueurs de rugby d’antan plus stéréotypés que les stéréotypes, qui aiment la castagne et la vinasse des Corbières. Chaque déplacement dans le coin est plus épique que l’Illiade, on aura l’occasion d’y revenir. Et en guise d’équipes qui ne servent à rien, on retrouve le Stade Nantais, le RC Chalon et les clubs low cost de Bordeaux et de Tarbes (qui n’ont en commun avec le SBUC et le Stadoceste que le nom de la ville). A suivre…