Marc Lièvremont passe sur le grillpar La Boucherie 23 October 2012 24 Par Pauline Maingaud (Questions par l’équipe de la Boucherie Ovalie, vidéo par Ovale Masqué, visiblement bourré) Tout a commencé en mars dernier, alors que Marc Lièvremont dédicaçait son livre « Cadrage et débordements » dans une célèbre librairie bordelaise. Pauline, notre agent de la branche rochelaise, s’était rendue sur place avec un objectif simple : obtenir une interview bouchère de l’ancien sélectionneur du XV de France. En usant de ses charmes de femme fatale (ou de groupie, on sait pas trop), elle a accompli sa mission avec brio et est repartie avec son 06 en poche. Après quelques mois de négociations téléphoniques intenses et de téléphone rose, nous avons donc pu convenir d’un rendez-vous, et en septembre dernier, Marc nous a reçu dans son établissement à Biarritz, le Bar de la Côte. Il a accepté de répondre à nos questions, sa femme lui ayant certifié que « La Boucherie avait toujours été sympa avec lui ». C’est vrai que peu peuvent s’en vanter. Mieux, Marc avait eu l’occasion de lire quelques extraits du blog (fictif) de Lapinou, et avait apprécié. Ca nous change des menaces de procès. Pour célébrer l’anniversaire de la tragique défaite des Bleus en finale de Coupe du Monde, voilà donc votre cadeau : Lapinou passe sur le grill. Partie 1 : La Coupe du Monde Vous avez fait un bouquin sur la Coupe du monde, vous en avez parlé pendant toute la promo… on suppose donc que vous en avez marre des questions sur le sujet. Mais comme on a la prétention de penser que nos questions à nous sont meilleures on va quand même vous en poser quelques-unes sur le sujet, et après on vous embête plus. Quel est le match dont on vous parle systématiquement et dont l’évocation vous emmerde le plus : France / All Blacks 99, ou France / All Blacks 2011 ? Aujourd’hui je pense qu’on me parle plus de celle de 2011, mais je ne peux pas dire que ça m’emmerde. Les gens sont plutôt charmants, plutôt sympas. Puis, le temps aidant, je pense que ça va un peu s’atténuer. C’est vrai que les quelques mois qui ont suivi le retour de la Coupe du monde, il y a eu pas mal de témoignages de sympathie. C’est touchant parce que les gens sont venus me dire qu’ils avaient pris beaucoup de plaisir, que ça les avait émus. Ils me remerciaient d’une manière générale pour…pour… Je ne sais pas trop pourquoi d’ailleurs ! Pour le combat on va dire… Votre bon ami Jean Dujardin a désormais un Oscar sur sa cheminée. Vous n’auriez pas aimé frimer un peu vous aussi, par exemple en vous servant du trophée Webb Ellis comme d’une théière ? Pfff… Bon évidemment, c’est une Coupe du monde et je n’ai pas eu la chance de la gagner. Mais, au-delà de ça, chez moi, il n’y a pas un trophée, pas un maillot, pas une photo qui puissent rappeler mon passé de rugbyman. Quand vous entrez chez moi, c’est très impersonnel de ce côté-là. J’ai toujours fait la part des choses entre ma passion qu’est le rugby, quelle que soit ma fonction – joueur, entraîneur, sélectionneur. Malgré tout, évidemment que j’aurais préféré être champion du monde. J’aime le sport et j’aurais été plus heureux avec ce titre. Au vu de la finale du dernier Mondial, et pour rationaliser, est-ce que vous aussi vous vous dites que la France est la vraie championne du monde, et qu’on s’en fiche pas mal d’avoir laissé la breloque aux All Blacks pour leur éviter une guerre civile ? Non, on ne s’en fout pas et j’aurais été ravi de les priver de ce titre. Mais, non, je ne considère pas non plus qu’on méritait d’être champions du monde. On aurait pu perdre en demi-finale. Puis, j’aime bien en plus… … Perdre ? Ah non pas perdre, je déteste perdre ! Mais j’aime bien par rapport à l’esprit du rugby quelque part, par rapport à l’histoire de ces deux matchs : une demi-finale vraiment pas aboutie en termes de jeu, gagnée à l’arrachée, et gagnée d’un point, et une finale magnifique et que l’on perd d’un point. Pour moi, cela résume un peu cette Coupe du monde, et ça résume le rugby de manière générale. Je n’ai pas l’habitude d’avoir des regrets. Bien sûr que j’aurais aimé être champion du monde, mais le plus important c’est d’avoir fini la compétition avec le sentiment du devoir accompli et puis voilà. Je n’ai jamais dit que les Blacks avaient volé cette finale, et loin s’en faut ! Beaucoup de nos lecteurs sont fous et pensent que Damien Traille aurait passé la pénalité de la gagne à la place de Trinh-Duc en seconde mi-temps. Vous en dites quoi vous ? Peut-être… Il y a tellement de choses sur lesquelles on peut revenir : si j’avais sélectionné tel joueur plutôt qu’un autre, si on avait mieux joué cette action plutôt qu’une autre. Là, en l’occurrence, si Damien avait tapé la pénalité… François se la sentait mais elle n’est pas passée… Ça aussi c’est le sport ! Pensez-vous qu’une expérience comme animateur dans une colonie de vacances est indispensable pour être sélectionneur national ? Je ne suis pas sûr, non, même si je l’ai été. J’ai effectivement été animateur, mais en même temps j’ai l’impression d’avoir eu tellement de vies différentes… dont animateur dans un centre aéré. Il y a eu l’épisode des sales gosses que l’on connaît bien, puis, chez les Anglais, Jonny Wilkinson a dit qu’il se sentait en décalage avec la nouvelle génération, qu’ils n’étaient pas pros, pas respectueux… vous, vous avez parlé du rôle des agents, de joueurs dispersés… Avez-vous l’impression que la mentalité dans le rugby, c’est plus ce que c’était ? Il ne faut pas compter sur moi non plus pour cracher dans la soupe, en disant que c’était mieux avant ! L’évolution, le changement, qu’il soit en bien ou en mal, il était inéluctable avec le passage au professionnalisme. On ne peut pas se plaindre aujourd’hui d’avoir un sport populaire et médiatique, et d’avoir aussi l’envers de la médaille. La société change, le comportement des joueurs change, mais globalement je n’ai pas eu à me plaindre de cela. C’est vrai que j’ai parlé de « sales gosses » parce que j’ai toujours été spontané et franc dans mon rapport avec eux et les autres. Mais pour prendre ma phrase au sens premier du terme, je n’ai pas à me plaindre du comportement des joueurs dans sa globalité. On a l’impression que depuis toujours, le XV de France ne réussit à être performant que quand c’est le bordel dans l’équipe. Vous en savez quelque chose pour avoir connu 1999 et 2011. Est-ce une particularité française ? Oui, je le pense. C’est ce qui est un petit peu agaçant, ce qui fait son charme aussi parfois. Dans une succession de matchs très dégueulasses, il y a une merveille de rugby ; on ne sait pas trop pourquoi. C’est vrai qu’on a peut-être besoin de se sentir en danger, alors que c’est la difficulté pour un entraîneur et un sélectionneur comme je l’ai été : on cherche la constance dans la performance. Or, malheureusement, quand il y a cette constance, on s’endort un petit peu sur nos lauriers. Mais il y a eu malgré tout dans la continuité quart, demi et finale, même si la demi n’a pas été aboutie, dans les comportements, trois matchs intéressants. Donc il y a eu malgré tout cette constance. Est-ce qu’on peut changer cette mentalité ? Vous croyez qu’un jour on pourra voir, comme l’Angleterre 2003 ou la Nouvelle-Zélande 2011, une équipe programmée pour gagner, qui réussira à dominer le rugby mondial pendant 3 ans, puis qui gagnera enfin la Coupe du monde ? Je le pense. Il y a eu des générations qui ont quand même marqué leur époque, en termes de constance. Je me souviens par exemple de la génération Serge Blanco, Philippe Sella. Ils ont réussi à aller jusqu’à cette finale de coupe du Monde en 1987. Puis, avec Bernard Laporte, pendant 2-3 ans, on peut penser que le rugby français dominait l’échiquier mondial. Bon, ce qui n’est pas simple dans le rugby français, c’est l’organisation, qui n’est pas forcément à l’avantage de l’équipe nationale. Mais, je pense et j’espère qu’il y aura une équipe du Nord qui sera championne du monde en 2015, et j’espère que ce sera la France. Vidéo : La vie de consultant du Top 14, c’est pas un peu chiant ? Vous-même, vous étiez arrivés à la tête de XV de France avec beaucoup d’ambitions dans le jeu, puis finalement, on est revenus vers quelque chose de plus restrictif pour le Grand Chelem 2010 et la Coupe du monde. Est-ce que c’est une fatalité ? Le Top 14 ne prépare pas suffisamment au niveau international ? Il prépare sur beaucoup d’aspects quand même : sur l’intensité des matchs, sur le combat, sur le triptyque des fondamentaux à savoir conquête-défense-occupation. Après en termes de rythme, c’est sûr que ce n’est pas forcément le rugby que j’apprécie. Mais, les clubs sont soumis à de forts enjeux, et l’essentiel c’est de gagner. J’aurais espéré gagner en jouant un beau rugby. On a failli le faire d’ailleurs, en finale de la Coupe du monde, et sur certains matchs. Les joueurs ne l’ont pas toujours voulu non plus. A mon sens, une des clés de la réussite, quel que soit le sport d’ailleurs, et le niveau, c’est que les joueurs s’approprient le système, l’organisation. Or, ils étaient quand même habitués à une forme de jeu, celle du Top 14, et ils ont eu du mal à se faire violence. Puis, on va dire que nous n’avons pas été aidés par le milieu du rugby français en général. On ne peut pas dire que des gens aient adhéré à notre démarche, et nous… j’ai certainement ma part de responsabilité. Très vite, les rapports se sont durcis entre les clubs et l’équipe de France, et avec les médias. Ça ne permet pas vraiment d’évoluer dans un contexte favorable, où les joueurs peuvent se lâcher. Les joueurs sont tenaillés entre leur club et le XV de France… Oui, c’est ça. Du coup, ça donne un parcours très contrasté entre la débauche de jeu des premiers matchs et un retour à un rugby plus classique. Mais, mes convictions profondes sur le rugby, c’est aussi un rugby qui sait s’adapter à l’adversaire, aux conditions de jeu de manière générale, mais aussi qui est capable de gagner en étant spectaculaire. Mon avis n’a pas changé. On parle de retour au Top 16 ces derniers temps. A votre avis quelle est la meilleure formule ? Les joueurs jouent trop ou pas assez ? Ça dépend lesquels je suppose. On peut comprendre les doléances de certains clubs quand on pense que le joueur qui n’est pas international a quand même de longues plages de repos, et donc ne joue pas assez. A l’inverse, le joueur qui est international, titulaire tous les week-ends en club, qui enchaîne coupe d’Europe, championnat et matchs de l’équipe de France, joue certainement trop. Ou, en tous cas, s’il ne joue pas trop, il n’a pas assez de plages de repos, ni de préparation pour se régénérer. Mais après, vous savez, moi je suis sorti du débat et je n’ai pas trop d’avis sur la question… Bon, a priori je ne suis pas spécialement favorable à un retour au Top 16 parce qu’à mon sens il n’y a pas 16 équipes de très haut niveau. C’est compliqué pour certains ce championnat, notamment pour Mont-de-Marsan cette année. Je suis donc plutôt favorable à un maintien du Top 14, avec une seule rétrogradation et une seule montée de ProD2. Mais bon, mon avis compte peu et d’ailleurs je ne le donne pas, à part à vous ! Vidéo : De la question des melons sur le territoire néo-zélandais. Vous avez révélé pas mal de joueurs, dont certains étaient des quasi-inconnus à leurs débuts (Parra, Trinh-Duc, Barcella, Mermoz…). Lequel êtes-vous le plus fier d’avoir lancé ? Euh… pffff… Il n’y en a pas un en particulier. C’est le lot de n’importe quel entraîneur en même temps. Une nouvelle génération arrive et ce n’est même pas vraiment notre rôle de les lancer, ils se lancent tous seuls. Ils ont d’abord des qualités. On y contribue, et on essaye de mettre en place un cadre pour qu’ils puissent s’épanouir. Toutes les trajectoires n’ont pas été linéaires, pour aucun d’entre eux. En tout cas, sur ces quatre ans, j’ai bien aimé la trajectoire de Morgan Parra notamment. C’est vrai qu’il est dans la continuité un petit peu, depuis 4-5 ans, de l’excellence, tout simplement. Parmi les jeunes joueurs lancés par Philippe Saint-André (Fofana, Buttin, Dulin, Maestri…) lesquels ont une chance de faire une grande carrière selon vous ? Tous je l’espère ! Ils ont tous de très bons potentiels. Celui qui a tardé à arriver au plus haut niveau mais que j’avais déjà un peu croisé à l’occasion de stages c’est Yoann Maestri. Je me souviens de lui avoir dit que j’étais sûr qu’un jour il arriverait au plus haut niveau, que ça dépendait de lui. Il devait gagner un peu en maturité et en constance. Buttin, je le connaissais moins. Fofana j’avais vu la saison avant la Coupe du Monde un gros talent. En plus, ce sont des joueurs qui ont l’air d’avoir la tête sur les épaules, donc je leur souhaite une bonne route, tout simplement. Est-ce qu’on va encore voir des Lièvremont en bleu ou est-ce que la source est tarie ? Des Lièvremont en bleu, comme joueurs, je ne sais pas trop. On produit beaucoup chez les Lièvremont, et notamment des garçons. Chez mes enfants et neveux, puisqu’on est 8 frères et sœur, il y a 16 enfants déjà, dont 12 garçons. Ils sont quasiment tous rugbymen. On les a mis ou ils se sont mis au rugby mais pas forcément pour devenir des grands joueurs dans des équipes professionnelles, ou de grands joueurs internationaux. Ça me semblait important en tout cas qu’ils pratiquent ce sport, à l’école de rugby. Après, je ne suis pas sûr de déceler chez mes propres enfants, pour ne parler que d’eux, des talents d’internationaux, et ce n’est pas le plus important ! Vous avez perdu deux finales de Coupe du monde, comme joueur puis entraîneur. Clermont ne vous a pas contacté pour succéder à Vern Cotter ? Non, mais Clermont a été champion. J’espère bien que la France le sera aussi, et dès 2015 ! Il n’y a pas de fatalité. En tout cas, moi je ne crois pas en la fatalité absolue. Je crois au travail, en la constance, et un jour… Bon, il faut un peu de réussite aussi. La France a été trois fois en finale de la Coupe du monde dans son histoire, c’est déjà beaucoup. Ca viendra… Partie 2 : Questions sur Lapinou En 2003, la Coupe du monde avait fait de Michalak une star. En 2007, c’était Chabal. En 2011, finalement, la vraie star c’était vous… Ça, c’est vous qui le dites… On a quand même beaucoup parlé de vous… Pas toujours en bien d’ailleurs ! Comme disait je ne sais plus qui « l’essentiel, c’est qu’on en parle ». Ce n’est pas de moi en tout cas parce que je m’en serais bien passé. Donc ça ne vous tente pas de poser en slip Dim sur les abris de bus, d’avoir votre tête sur une boite de cassoulet, ou de tenir la main de Mimi Mathy aux Enfoirés ? Non, ça ne me tente pas, non. Ce n’est pas mon truc. Je suis bien content de revenir à une sorte d’anonymat. Je vous le disais tout à l’heure, j’ai l’impression d’avoir eu plusieurs vies, en tant que joueur, entraîneur, sélectionneur… Par exemple, la Coupe du Monde, c’était il y a un an et pourtant j’ai l’impression que cela fait une éternité, que c’est quelqu’un d’autre qui l’a vécue à ma place. J’arrive bien à tourner les pages, à passer à autre chose et je ne suis pas trop nostalgique. Je ne me souviens que du meilleur. Mais non, pas de pub en slip Dim, désolé ! Comment expliquez-vous le fait que beaucoup de gens tombent sur notre site en tapant « Marc Lièvremont nu » dans Google ? Je ne suis pas au courant. Et je ne suis pas sûr que j’essaye ! Et alors, vous avez trouvé des photos ? Non… C’est parce qu’il n’en existe pas je crois ! Vous ne risquez pas d’en trouver. Dans votre livre, vous égratignez certains journalistes… Pas tant que ça honnêtement. Vous l’avez lu ?! Je n’attaque personne de façon directe. Je critique la profession de façon générale, mais je ne tombe pas dans le nominatif. Je dis aussi que j’ai beaucoup d’affection pour pas mal d’entre eux, notamment Jacques Verdier et Richard Escot qui sont devenus de grands amis après cette Coupe du monde. J’apprécie leur honnêteté intellectuelle et leur déontologie… (sourire en coin) Imaginez que je souhaite devenir journaliste (ça tombe bien, c’est le cas) quels conseils me donneriez-vous pour ne pas devenir une grosse conne ? Je parlais de déontologie et d’honnêteté intellectuelle. Je crois que c’est le propre d’un journaliste. Après chacun a son avis encore une fois. Il y a des journalistes avec lesquels je n’étais pas d’accord, et malgré tout, les rapports ont été francs. Ce qui m’a navré à un moment ou à un autre c’est le manque d’objectivité, une forme de malhonnêteté, de mensonges de la part de certains. De plus, le sport a, comme on l’a dit tout à l’heure, montré que dans l’histoire il y avait eu des retournements de situation, qu’il fallait s’en réjouir. Dans un contexte déjà compliqué, c’est regrettable quand même que la presse, de manière générale, ait été critique et quasiment jusqu’au bout. Bon, je crois que le plus important aussi, c’est que le public ne s’y soit pas trompé. Au quotidien, je n’ai jamais reçu autant de courrier, de mots d’encouragement, de témoignages de sympathie, même avant la Coupe du Monde, puisque la dernière année a été compliquée. Mais, encore une fois, je peux comprendre que, de la même manière qu’il y a de bonnes et de mauvaises dynamiques dans un groupe d’hommes et de femmes, y compris dans une équipe de rugby, il y ait eu là aussi une mauvaise dynamique. Il y a eu une surenchère dans la presse. Je pense que certains ont regretté, certains ont subi aussi. J’éprouve aussi de l’empathie pour certains journalistes qui ont été pris dans une forme de spirale. Certains regrettaient et subissaient cette dynamique. Je citais deux rédacteurs en chef tout à l’heure qui ont été parmi les plus véhéments à mon égard, que j’ai pris en flagrant délit plusieurs fois de malhonnêteté justement. Et je peux vous dire qu’un grand nombre n’appréciait pas cette trajectoire ou cette prise de position. Moi, je trouvais qu’elle était dommageable, pas forcément vis-à-vis de moi, mais de l’équipe de France de manière générale. C’est aussi pour ça que des mois avant la Coupe du monde, je savais déjà que je n’irais pas au-delà de ces quatre ans, parce que même si ça a été favorable pour l’équipe de France de se resserrer dans un contexte négatif, au bout d’un moment, sur la durée, c’est tout de même fatigant et pénible. Le niveau des conférences de presse par exemple, c’était un peu fatigant. En tout cas, en ce qui me concerne, je n’ai jamais été dans cette dynamique-là. J’ai toujours voulu expliquer, construire. Puis, à un moment, j’ai senti qu’en face de moi, il n’y avait pas la même volonté. Mais je peux comprendre qu’une forme de presse ait besoin de sensationnel. Aujourd’hui, on se retrouve dans de la critique systématique. Sur Canal, vous allez vous retrouver dans ce rôle d’ancien joueur / consultant. Certains d’entre eux n’avaient pas été tendres avec vous à l’époque. Vous, vous envisagez ce rôle comment ? C’est quelque chose qui vous plaît – on a vu que pour l’instant ce n’était pas trop ça ? Ah, vous ne me trouvez pas bon ?! J’espère que j’aurai une bonne mémoire. Ce que je n’aime pas, ce sont les partis-pris de certains joueurs qui n’ont jamais entraîné. Ce n’est pas mon cas, donc je sais un petit peu à quel point l’entraînement, le management d’un groupe apprend, si besoin est, la patience, l’humilité, la persévérance. J’espère remplir ce rôle, en vulgarisant aussi le rugby auprès du plus grand nombre, et en essayant de ne pas blesser les gens. Je sais que cela peut arriver quand on est critique, on peut faire du mal. Si ça doit m’arriver, je m’en excuserai, je reconnaîtrai mes torts. Mais je ne me prends pas vraiment la tête. Je suis très neutre par rapport aux équipes engagées en Top 14. J’espère voir du bon rugby, et rester objectif. Pour l’instant, c’est sûr, je ne peux pas dire que je prends beaucoup de plaisir, mais j’espère que ça viendra. Ne trouvez-vous pas d’ailleurs que la presse est étrangement gentille avec Philippe Saint-André, alors que ses résultats sont pourtant moins bons que les vôtres en 2008 ? Ça aurait été pareil s’il venait de Dax plutôt que de Toulon ? Je ne peux pas dire que la presse ait été critique les premiers mois. Elle a aussi été tolérante, comme souvent, avec n’importe quel entraîneur. Ce qui est certain en tout cas, c’est que Philippe a une légitimité puisque certains ont employé ce terme quand je suis arrivé. Ses adjoints, Yannick Bru et Patrice Lagisquet aussi. Cela leur permettra, je l’espère pour eux en tout cas, d’avoir plus de tranquillité, quels que soient les résultats. De toute façon, dès que j’ai été nommé, ça a grêlé, y compris des gens qui m’appréciaient ou qui m’ont mis en tête qu’ils m’appréciaient. Mais, ça ne les a pas empêché de balancer sur moi. Je m’en fous un peu à vrai dire. En plus aujourd’hui c’est derrière moi. Franchement, je souhaite juste à Philippe qu’il s’éclate, que ça marche bien. Forcément, il y aura des moments compliqués, comme pour chaque sélectionneur. Quand vous étiez entraîné par Pierre Villepreux, est-ce que vous compreniez quelque chose à ce qu’il racontait ? Parce que les plus grands scientifiques se sont penchés sur ses écrits, et à ce jour ça reste un mystère pour beaucoup de monde… Parce que c’est un théoricien du rugby. Mais oui, j’arrivais à comprendre ce que nous disait Pierre Villepreux ! Quand il parlait d’intelligence situationnelle, pour moi ça se comprend très facilement. Mais j’avais déjà passé mes diplômes d’entraîneur à l’époque, ça doit être pour ça. Dans votre livre, vous dites que vous n’admiriez aucun joueur quand vous étiez jeune. Mais en tant qu’ancien troisième ligne, quel est le joueur qui vous impressionne le plus à ce poste actuellement ? Ou à même à un autre poste ? Il y a beaucoup de joueurs que j’apprécie en troisième ligne, mais je serais incapable aujourd’hui de n’en citer qu’un. Chacun a ses qualités et ses défauts. J’ai bien aimé dans l’équipe de France, notamment pendant la Coupe du monde la trajectoire de Julien Bonnaire. Je l’ai trouvé vraiment complet au possible et j’ai bien aimé sa personnalité. Je ne parlerai pas du capitaine et meilleur joueur du monde, Thierry Dusautoir. Il a fait un parcours exceptionnel. Mais dans l’ombre, selon moi, Julien Bonnaire a été le prototype du troisième ligne moderne, complet, constant. Et, humainement, c’est un super mec. Je l’ai bien aimé alors qu’au tout début de mes quatre ans, je lui avais préféré Fulgence Ouedraogo. Justement, puisque vous évoquez Dusautoir, quelle est la blague qui le fait rire ? Parce qu’à première vue, il semble assez austère comme garçon. Je ne sais pas, je ne l’ai pas trouvée non plus. Non, mais il sait rire, et j’ai en mémoire quelques scènes où Thierry prend des fous-rires donc je peux vous rassurer, dans l’intimité, avec ses proches, c’est un garçon qui sait rigoler. Et moi aussi d’ailleurs ! Parce que je n’ai pas vraiment l’air très drôle comme ça non plus, mais ça va. A la Boucherie, Vincent Clerc nous énerve car il est vraiment trop parfait. Lui connaissez-vous un défaut ? A part celui d’être le gendre de Guy Novès bien sûr. C’est vrai que c’est un gros défaut. Non, c’est méchant de dire ça… Non, mais c’est vrai qu’il est parfait Vincent : gentil, bien élevé, poli, compétiteur. S’il a un défaut, c’est peut-être d’avoir été et d’être trop gentil. A un moment, en termes de dynamique de groupe, Vincent, par rapport justement à ses capacités exceptionnelles, son engagement, son goût de l’effort, aurait pu être un peu plus moteur, en termes de leadership. Il a la légitimité en tout cas. Bon, là, c’est très sérieux ce que je dis. C’est vrai que peut-être à un moment, c’est un mec qui est tellement gentil qu’il ne se fâchera même pas avec l’un de ses coéquipiers, même s’il le trouve branleur etc. Alors après peut-être qu’en intimité, il a su donner certains avis à ses coéquipiers. Il avait vraiment la légitimité pour être leader, et je n’ai pas le sentiment qu’il l’a été réellement. Vidéo : LA question que tout le monde se pose. « Le rugby féminin, c’est ni féminin, ni du rugby » (P. Camou). D’accord avec ça ? Est-ce que ce n’est pas un peu sexiste de n’avoir sélectionné que des mecs avec l’équipe de France pendant près de 4 ans ? (Rires) Oh lala c’est quoi cette question ?! Qu’est-ce que je peux répondre ?! Vous êtes sûre que Pierre Camou a dit ça ? Bon, il s’investit, en tout cas la Fédération s’investit dans le rugby féminin. Moi j’ai certaines demoiselles qui viennent me reprocher des choses que j’aurais dites sur le rugby féminin. Bon… […] C’est vrai qu’au fond de moi, pour être sincère, ce n’est pas forcément le sport que je trouve le plus féminin qui soit ! Mais en tout cas j’ai croisé beaucoup de joueuses de rugby et j’apprécie qu’elles soient passionnées par ce sport. Ma sœur a joué au rugby et elle y jouait plutôt bien dans son registre. J’ai vu certains matchs. J’aime bien le rugby à VII féminin parce que c’est un peu plus aéré. Je respecte tout à fait la pratique d’un rugby féminin. Pierre Camou dit quand même beaucoup de bêtises, finalement ce n’est pas étonnant… Vous n’aviez pas envie d’être sélectionneur du XV de France, pas envie d’écrire un livre, pas envie de devenir consultant. Du coup, quelle est la prochaine chose dont vous n’avez pas envie ? Entraîner un club du Top 14 ? Et si François Hollande vient vous demander en pantoufles/peignoir d’être ministre des sports, vous acceptez finalement ? Non, la politique certainement pas. Là, en ce moment, c’est vrai que je n’ai pas envie d’être entraîneur, ni en Top 14 ni ailleurs. J’ai refait ma vie différemment et pour l’instant je suis très heureux comme ça, et ça ne m’attire pas du tout. Mais bon, j’ai appris à me méfier de moi-même. Je n’ai jamais dit que je ne serais pas consultant par contre. On me le ressort tout le temps parce que j’avais dit à la Coupe du monde « Maintenant, vous n’êtes pas prêts de me revoir ». Effectivement, il a fallu quelques mois et la sortie de mon bouquin. D’ailleurs, le bouquin c’est pareil, je n’avais jamais claironné médiatiquement que je n’écrirais pas un bouquin. Non, mais dans le livre, vous insistez beaucoup sur ce point… Oui, je commence par ça en fait. Mais c’est vrai que je m’étais toujours promis, j’avais refusé de l’envisager. Mais ce sont des promesses que je me fais à moi-même et que je ne tiens pas. Je me trahis moi-même ; c’est moins grave. Souvent, spontanément, comme je suis un peu une tête de mule, je dis « non, ça ne m’intéresse pas », non pour l’entraînement, non pour l’équipe de France, non pour le bouquin… Ce n’est jamais un refus catégorique mais un refus qui demande réflexion. Et les gens qui m’ont croisé ont su à chaque fois trouver les arguments pour me faire changer d’avis. Je n’ai jamais regretté d’ailleurs. C’est peut-être un refus pour me protéger. Vous préférez un week-end à la chasse avec Guy Novès, ou un tour en Maserati avec Mourad Boudjelal ? Je ne suis pas du tout chasse, et je ne suis pas très bagnoles non plus, au-delà de la personnalité de Guy Novès et de Mourad Boudjellal. A la limite, je pourrais accompagner Guy Novès chasser parce que ça me ferait une balade et que j’aime bien la randonnée. Mais, je n’ai rien contre Mourad Boudjellal non plus. Si un jour, au hasard de nos vies respectives, je fais du stop et qu’il s’arrête, je monterai volontiers avec lui. Vous connaissez la chanson « Laisse béton, Lièvremont » ? Non. Il ne vous resterait pas une bière par hasard ? On a cru comprendre que vous aviez dû finir votre pack tout seul la dernière fois… Ah oui, après Tonga. Je vous rassure, elles ont été bues le soir-même et le lendemain plus encore. Mais j’ai des bières aussi ici si vous avez soif. Alors, ça va, on ne vous a pas trop emmerdé avec nos questions ? Non, pas du tout. C’était un plaisir. Ça vous ferait plaisir qu’on vous offre un T-shirt de la Boucherie Ovalie ? Parce qu’on en un là… Je ne suis pas sûr de le porter mais je veux bien. Je le donnerai à mes enfants si vous voulez bien… Et alors, pour vous, c’est quoi les Valeurs du Rugby © ? Merci à Marc Lièvremont d’avoir accepté de répondre à nos questions à la con et de nous avoir si bien accueilli. Merci à tous ceux qui ont participé à l’élaboration des questions : Ovale Masqué, Damien Try, Marcel Caumixe, Le Stagiaire, Capitaine, Aguiléra. Encore merci à Marcel pour les vidéos. Vous pouvez revoir ses excellents teasers, ici et là.