Comment je suis devenu un monstre
par La Boucherie

  • 05 January 2016
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Par Capitaine A’men’donné,

 

C’est dans la confortable intimité d’une famille que peuvent arriver les événements les plus graves. Et c’est lors d’un anodin week-end en famille que j’ai commis le pire méfait de ma vie.

Dimanche après-midi, je décline la balade en campagne de rigueur afin d’assouvir mes plus bas instincts, réprimés depuis deux jours par les différents repas et la sociabilisation induite par les réunions familiales. Je m’installe confortablement dans la chambre qui m’a été allouée, allume mon ordinateur, et vais directement dans les bas-fonds miteux d’internet afin de trouver de quoi sustenter mes névroses. Pensant avoir la maison pour moi seul, j’oubliais de fermer la porte à clef ; croyant ainsi profiter de ce moment isolé pour jouir pleinement de ce qu’il y a de plus inconvenant au regard des gens honnêtes. Car le regard des autres, et particulièrement celui des membres de sa propre famille, ne peut comprendre que de telles perversions existent.

Rien de grave ne serait arrivé si tout s’était passé comme je l’avais prévu.

Car seul, je ne l’étais pas. Mon neveu, charmant et paisible garçonnet de 6 ans, fatigué par un bon rhume de saison, avait lui aussi fait l’impasse sur la sortie dominicale, à mon insu. M’entendant grogner, il pénètre dans la chambre, et la roue du destin roule alors sur l’innocent bambin.

Curieux de me voir si captivé et éructant devant l’écran, il s’approche sans que je m’en aperçoive, jette un œil craintif sur l’écran, et ne comprenant ce qu’il voit alors, m’interpelle anxieusement :
« Il fait quoi le monsieur avec la tête de l’autre monsieur ? »

Je sursaute, paniqué, et reste coi quelques secondes, défait et honteux d’être ainsi pris sur le fait. Je ne peux reculer, car il est déjà trop tard. L’expédier dans sa chambre ne le rendrait que plus interrogatif, et c’est alors devant toute la famille que j’aurais à m’expliquer. Et déjà grandement excité par un quart d’heure de visionnage coupable, mon esprit n’est pas à son plus net avantage. Embrouillé, stressé, je prend alors la décision la plus scandaleuse de ma vie de turpitudes, répétant ainsi ce que mon propre père m’avait fait subir au cours de ma propre enfance, étant par-là même à l’origine de mes déviances. C’est alors que d’inoffensif pervers passif, je devins un monstre.

J’ai fait regarder un match de Pro D2 à un enfant.

Ce qu’il me reste d’humanité me dicte alors d’au moins faire preuve de pédagogie, d’expliquer, afin que l’enfant soit le moins traumatisé possible. Mais aux questions d’ordre général et faciles pour un adulte, succèdent celles qui posent problème aux plus avertis d’entre nous, atteignant la chère tête blonde droit dans sa psyché. « C’est où, Albi ? », « C’est quoi, Aurillac ? », « Mais si le plaqueur n’a jamais le temps de se relever et qu’un adversaire le maintien dans le ruck, y a-t-il vraiment faute ? », « Pourquoi ils font toujours tomber le ballon ? », « Comment on fait les mêlées ? » et j’en passe.

Jusqu’alors encore préservé des pires vicissitudes de l’humanité, cet enfant innocent s’est retrouvé exposé à ce que l’Homme peut offrir de pire. Et j’en suis le fautif.
Je ne demande pas ici le pardon, je ne quémande pas de la compréhension de votre part, je suis coupable et j’en ai conscience.

Je raconte cette histoire afin que vous tous soyez vigilants, et que ceci ne se reproduise jamais. Si vous avez les mêmes faiblesses que moi à ne pas savoir résister au visionnage d’un Tarbes-Colomiers, si vous connaissez des gens qui perdent la tête à l’approche d’un Béziers-Mont-de-Marsan, prenez les devants. Éloignez nos chères têtes blondes de ces horreurs, épargnez-leur une vie de souffrance et de psychanalyses, ne reproduisez pas les erreurs de nos parents.

Pour mon neveu, il est trop tard. Même en ayant évité le pire, comme un match de Biarritz par exemple, le subconscient de ce pauvre innocent est d’ores et déjà plus ravagé que la bande de Gaza.
Cher neveu, si un jour tu lis ces lignes, sache que je te présente mes plus sincères excuses. Sache que rien de tout ceci n’était prémédité, que des circonstances malheureuses ont profité de ma faiblesse, et que tu n’es coupable de rien. J’en suis le seul fautif, et, avec le peu d’honneur qui me reste, je soumettrai mon crime à la justice de ce pays.