Abats D’idées #5 : Et Si Gagner Des Titres, On S’en Foutait ? (2/2)
par La Boucherie

  • 12 June 2015
  • 22

Après le cri du coeur d’Ovale Masqué et son Stagiaire pour venir à la rescousse des losers magnifiques, découvrez la réponse de Capitaine A’men’donné, qui considère que NON, les titres on ne s’en fout pas. Toute l’ironie de la situation venant du fait qu’il supporte Aurillac. 

 

Par Capitaine A’men’donné,

 

Le but de toute compétition, par définition, c’est d’aller chercher un titre. Sans ça, le sport ne serait jamais qu’une suite de défis sportifs sans enjeux. En rugby, ça existe : Ça s’appelle les Barbarians. Tout le monde s’accorde à dire que c’est cool, et tout le monde s’accorde à en avoir pas grand-chose à foutre. Certes, pour les joueurs, c’est une forme de consécration -d’un esprit, d’un certain niveau, d’un idéal sportif-, mais aucun n’échangerait une sélection avec les Baa-baas contre un Brennus ou un Tournoi des VI Nations. Quant au public, s’il est capable d’en apprécier le folklore et le prestige, inutile d’expliquer pourquoi les matchs des Barbarians ne se retrouvent pas en prime-time sur TF1… 

La compétition, c’est ce qui donne du sel au défi sportif pour le grand public. Avec donc sa conclusion logique, le titre, objet de toutes les convoitises. Pourquoi ? Pour des mauvaises raison, certes : pour se la péter sur le forum de Rugbyrama, pour s’attribuer le mérite d’avoir suivi le bon cheval mais de n’avoir rien fait de concret, pour le plaisir idiot du puéril tralalère… Bref, afin de, pour une fois, gagner un concours de bite.

Mais ça n’est pas seulement ça. 

 

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De haut en bas: la coupe Davis, la coupe Stanley, la coupe de l’America et le bouclier de Brennus. La compétition, c’est aussi le petit plaisir de voir des gens s’en foutre plein la gueule pour des bibelots au design immonde.

 

Un titre, c’est l’accomplissement d’une promesse, le parachèvement d’un parcours. Alors que le « palmarès » de l’U.S.Dax -appelons-le comme cela faute de terme plus adéquat- n’est qu’une gigantesque promesse déçue. Car un titre, ça n’est pas qu’un match, c’est tout les matchs (28 en top14, 29 dans le cas de Castres) qu’il a fallu pour parvenir à la finale. Ces matchs, dans Super Mario Bros c’est tous ces Toad à la con qu’il faut libérer pour parvenir à libérer la princesse. Et personne se fait chier à libérer ces putains de champignons juste pour le plaisir de se faire rétamer par Bowser à la fin !

Donc, un titre, ça valide une saison, et fait de celle-ci une saison à part, pas juste « une saison parmi d’autres » comme l’ASM n’en a que trop. Or, avec un palmarès digne d’une carte en relief de la Beauce, le supporter de Montferrand doit trouver que tout les exercices se ressemblent un peu. Ça manque de rythme tout ça, avec même pas non plus quelques relégations pour jouer à l’Apocalypse ou à la Reconquête…

Ensuite, les titres, ça sert aussi à marquer psychologiquement l’adversaire. La saison dernière par exemple, le Stade Toulousain était encore dans les têtes de ses adversaires un gros morceau. Du coup, impasse à Toulouse, et complexe d’infériorité à la maison. Sans ça, compte tenu du niveau réel de cette équipe, je suis sûr que certains matchs gagnés par le ST ne l’auraient pas été. Sans compter qu’avec son palmarès personnel, Guy Novès peut se permettre une arrogance et une condescendance que personne ne laisserait passer à un autre que lui. Or, bien utilisé -en l’occurrence protéger son groupe vis-à-vis des médias et des dirigeants, et mettre la pression sur l’adversaire ou l’arbitre-, son super-pouvoir d’impunité trollesque peut s’avérer grandement utile. Au détriment, parfois, d’une certaine remise en question, certes. Mais cette année, ça lui a permis de faire ce qui eut du être fait l’an dernier, à savoir temporiser suffisamment longtemps pour que son équipe puisse se remettre dans le bon sens. Un luxe que n’a pas eu le MHR…

Autre chose pour la dimension psychologique : ramener un titre, c’est aussi atténuer une pression négative pour la suite.

Imaginons 2 secondes que Pioline ait eu un peu de chance au moins une fois dans sa vie, et n’ait pas eu à se taper Sampras pour chacune de ses finales de Grand Chelem. Il aurait alors eu une opportunité réelle de chopper un titre. Une victoire plus fraîche dans les mémoires aurait facilité la tâche de Tsonga dans sa propre quête, et qu’il s’en prendrait de toute façon moins dans la gueule qu’aujourd’hui. A contrario, les victoires de Mary Pierce ont probablement aidé Mauresmo et Bartoli à aller chercher les leur. Idem en biathlon, où les performances remarquables de l’équipe de France lors des JO d’Albertville ont créé un formidable cercle vertueux dans un pays qui compte peu de licenciés, très peu d’installations, et un budget dérisoire comparé aux grosses nations de la discipline.  

Alors attention, typiquement, un titre sportif, surtout pour les supporters, n’a jamais que l’importance qu’on veut bien leur accorder. Est-ce que ça change quelque chose à la vie du-dit supporter ? Non, à part qu’il va pouvoir faire le malin sur les forums pendant un an, super. Est-ce que ça change quelque chose à la vie du club ? Si peu, Montferrand en étant justement un brillant contre-exemple, que ce soit au niveau du budget du club, de la ferveur des supporters, ou de la renommée et du prestige entourant l’ASM. Mais reste que Quillan a autant de Brennus que l’ASM, et plus que Brive ou Dax. Ça leur fait une belle jambe, mais ça leur assure aussi une place dans les encyclopédies du rugby.

 

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Sans le titre de 1990, qui se souviendrait que le Racing fut à une époque une équipe pleine d’humour, sympathique et plaisante à voir jouer ?

 

Un titre, pour les supporters, c’est aussi la joie simple et sincère de voir récompensés les efforts et le sérieux de joueurs qu’il a appris à apprécier voire à aimer. À titre d’exemple, je vais parler de mon cas personnel : en plus de 20 ans de soutien moral et (plus ou moins) spirituel au Stade Aurillacois, j’ai connu 3 montées et 2 descentes. 1 finale gagnée, 1 perdue, les deux au même niveau (les connaisseurs noteront que j’ai écarté la finale gagnée de Prod2 en 2005, parce que celle-ci ne donne pas de titre, et qu’en plus il y avait un barrage impossible contre Pau pour obtenir la montée en Top14)(les pointilleux hypermnésiques, outre qu’ils sont flippants, parleront aussi d’une finale gagnée de poule de maintien en Élite 1 contre le Racing, mais ce truc n’était vraiment pas sérieux, quoique le match fut plaisant).  

Bref, avec le Stade Aurillacois, j’ai connu les deux configurations. En 95-96, c’est la finale du championnat de France de première division – Groupe B (l’ancêtre de la fédérale 1) contre le Stade Français. Une finale perdue dans les règles de l’art Auvergnat en la matière : en jouant mieux, mais avec un buteur qui craque complètement et une attaque stérile pour la première fois de la saison. Au Marcel-Michelin, en plus, comme un symbole©. L’autre, en 2006-07, toujours en Fédérale 1, contre Blagnac. Un match gagné largement et sans suspense, avec en prime une bagarre mémorable. Aucune des deux n’a changé quoi que ce soit pour le club, les montées étant acquises aux deux finalistes de toute manière. Mais le titre de champion de France reste un moment à part. À titre personnel, je peux trouver d’autres matchs qui m’ont marqué (la victoire à Montferrand en 2001, celles contre le Newcastle de Wilko ou le Stade Français en 2000…), mais à titre collectif, cette seule petite ligne au palmarès du Stade Aurillacois fait dorénavant partie du tronc commun (culturel, émotionnel, mythologique) de tout les supporters aurillacois (et non, c’est pas uniquement moi et mon papa, ya d’autres gens aussi. Mon tonton par exemple).

Alors, non, ça n’est pas anodin de décrocher un titre. Et j’imagine bien la joie qu’on dû ressentir les Clermontois quand ceux-ci ont enfin décroché un Brennus. Et aussi celle de papy Porical quand son petit Jérôme l’a imité après 60 ans de disette LA CATALANE -quand bien même les sacrifices financiers pour aller le chercher ont provoqué ensuite la spectaculaire chute que l’on sait.

C’est d’ailleurs aussi pour cela, qu’au détriment de ce que la logique voudrait, je suis toujours un peu mal à l’aise avec les propositions de suppression des phases finales. Parce qu’un match à élimination directe est beaucoup plus intense à mes yeux qu’une formule championnat pure. Même si ça fait souvent des matchs de merde (le Nouvelle-Zélande-France de 2011 en est un parfait exemple).  

Bref, j’apprécie ce truc très militaire (et donc très gamin) des bibelots mis sous verre, des étoiles cousues sur les maillots, des années de compétitions avec juste un nom à côté. Oui, c’est puéril, mais être supporter est puéril de toute façon. Et oui, ça ne sert à rien, mais le sport dans son entier non plus. C’est juste la signalisation d’un groupe de personnes qui ont réussi un truc ensemble, et ça me suffit pour que ce soit légitime. Quel que soit le niveau d’ailleurs : champion de France de première division ou de 3° série, l’émotion est la même, seuls les échos médiatique et populaire ne sont pas du même ordre de grandeur.

 

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Et bien entendu, je ne crois pas que le deuxième soit un raté incapable. J’apprécie aussi bien que tout le monde les losers magnifiques, ceux qui marquent leur temps sans gagner. Mais les mythologies telles que celle des poteaux carrés , des Grrrrrands Pays-Bas de Cruijff, ou du carton rouge de Warburton en 2011, ça ne sont que des réceptacles à fantasmes.  

Il y a une excellente bande dessinée qui s’appelle La Femme floue. L’auteur, Nicolas Dumontheuil, explique que celle-ci est la plus belle du monde, parce qu’étant floue, tout le monde peut y projeter son petit fantasme personnel, et donc tout ceux que les femmes intéressent auront la place pour la trouver désirable. A contrario, une très belle femme « nette », elle est comme ça et un point c’est tout. Si un détail n’est pas complètement à ton goût, il n’y a rien que tu puisses y faire*.

Et bien en sport, c’est un peu ça : On fantasme pas sur le vainqueur, non pas parce qu’il jouait moins bien (aussi agaçant puisse-il être, le RCT n’est pas moins bandant à voir jouer que l’ASM ces 3 dernières années !), mais justement parce qu’il a gagné, donc fin de l’histoire. Si on la refait, c’est plutôt du point de vue du perdant. Car une fois qu’on a dit, par exemple, que (sur surface rapide) Federer était sans rival entre 2004 et 2007, bè ya plus grand chose à dire, à part aligner les superlatifs -ce qui devient vite aussi passionnant qu’un dictionnaire des synonymes.  

« On ne se souvient que du vainqueur » est évidemment complètement faux, mais on ne se souvient du second que lorsque le premier a été particulièrement fort -au moins sur un match. La semaine dernière, Djokovic a perdu sa troisième finale de Roland Garros. Personne n’ira dire que c’est un tocard, mais personne ne peut nier que Nadal et Wawrinka ont été particulièrement brillant face à lui.

Donc, pour tout cela, oui les titres ça sert à quelque chose. Tant pis pour les joueurs et supporters de l’ASM, mais vous pouvez toujours vous consoler avec votre potentiel littéraire. Ça n’est d’ailleurs à mon avis pas anodin que Montferrand ait engendré tant de vocations littéraires et humoristiques, ailleurs avec Vern Dublogue ; ici-même avec Pastigo, Copareos, Thomaskaitaci ou Ovalie du Rhône… Voilà un domaine où l’ASM peut se targuer de battre à plate couture le Stade Toulousain.  

*Je crois me souvenir que cette idée, Dumontheuil l’avait réadaptée d’un ouvrage de philosophie ou de sociologie. Je fais avec la référence que j’ai en tête par flemme de trouver l’auteur d’origine. D’autant que la BD de Dumontheuil est probablement plus drôle et digeste que l’ouvrage d’origine. Lisez-la.