Guide : La Pro D2 pour les nuls pour les supporters du Top14
par La Boucherie

  • 02 September 2014
  • 18

 

Par Capitaine A’men’donné,

 

Cher lecteur que seul le Top14 intéresse (et pour les autres qui ont déjà vu un match de ProD2, Dieu vous garde), sache que Lyon et la Rochelle, que tu vas peut-être voir jouer cette année (enfin, s’il te prend l’envie de regarder autre chose que le « remplissez avec n’importe quel point commun entre les deux équipes »-ssico choisi par Canal plus), voire que tu as déjà vu, si tu supportes Toulouse et que tu as encore mal au crâne, ne débarquent pas dans le Top14 par magie pure et simple. Ni par le choix arbitraire et hautement comique d’un poivrot quelconque du bureau de la LNR. En 2013-2014, ces deux clubs furent les grands gagnants de ce que l’on surnomme « l’énergie noire du rugby français ».

En astrophysique, l’énergie noire est un concept abstrait décrivant une force que l’on n’a jamais pu observer, et dont on ne sait rien d’autre hormis qu’elle est nécessaire à ce que notre univers ne s’effondre pas sur lui-même. Bref, un machin dont on sait qu’il correspond à quelque chose, mais qui échappe à toute observation concrète.

Dans le rugby français, cette énergie noire, c’est la ProD2. Elle envoie chaque année 2 équipes au Monde observable, et engloutit dans son néant médiatique 2 autres équipes auxquelles on avait peu ou prou fini par s’habituer, sauf Biarritz parce qu’ils jouent vraiment trop mal. Et ces dernières années, les équipes qui montent ont en plus l’outrecuidance de rester en Top14. Il est donc du devoir d’un site pédagogique comme la Boucherie Ovalie d’éclairer, dans la mesure des moyens techniques à notre disposition (c’est-à-dire de la bière et un vieux chewing-gum), les sombres événements qui se trament à l’ombre du Plus Grand Championnat du Monde. Afin que, dans l’hypothèse où Tarbes monte un jour, nos lecteurs ne risquent point un AVC dû à une trop violente (et compréhensible) surprise.

Le verdict du printemps dernier fut donc le suivant : Lyon fut récompensé du titre de champion de ProD2 au terme de la saison régulière, et La Rochelle remporta les phases finales, obtenant ainsi l’un et l’autre l’insigne honneur de jouer à Ernest-Wallon pour être respecté bien profond par le Stade Toulousain. Ce ne fut pas vraiment une surprise, vu que ces deux équipes semblaient dès le début supérieures aux autres : le LOU avait un effectif pléthorique (comme d’habitude), et avait enfin découvert les vertus et utilités d’un fond de jeu. La Rochelle avait un fond de jeu (comme d’habitude), et avait enfin découvert les vertus et utilités d’un effectif pléthorique. Rien que de très logique, donc.

Dans le sens inverse, Biarritz et Perpignan, grâce à leur régularité dans la médiocrité, terminèrent aux deux dernières places du Top14, obtenant ensemble l’insigne honneur de prendre en bus les routes du Cantal pour jouer en plein hiver à Aurillac. C’est précisément cela qu’entend Eric Bayle quand il parle de « l’enfer de la ProD2 ».

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Scène typique de ProD2 : Un demi de mêlée fait faire sa promenade à son pilier, encore peu sûr de lui sans ses petites roulettes.

 

En tant que relégués du Top14, ces deux clubs font d’ores et déjà figure de grands favoris du prochain exercice auprès des plus grands observateurs. Les plus attentifs qui ont déjà suivi un peu la ProD2, eux, sont moins emballés. En effet, seuls deux clubs relégués du Top14 ont déjà réussi à y remonter immédiatement (et encore, en passant par les phases finales) : Albi en 2008-2009, et Brive en 2012-2013. Oui, ça fait pas rêver, mais c’est comme ça. De même, jamais les deux relégués ne sont parvenus à se qualifier conjointement pour les phases finales. Autant dire que la phrase « Perpignan et Biarritz sont les ogres de la ProD2 » arrange bien les affaires des vrais favoris de cette année (ainsi que celles du journaliste de Midi Olympique expiant on ne sait quel pêché pour être celui qui s’y colle cette fois-ci).

Enfin, pour être plus précis, ça arrange les affaires DU vrai favori. Car en cette intersaison, seul Agen, entraîné par Crenca (celui qui devrait remporter le titre de coach le plus insupportable de la division lors de la prochaine nuit du rugby) semble avoir les épaules pour être le Duce de l’exercice. Oui, parce qu’en ProD2, chaque année une équipe écrase outrageusement les débats. La seule autre équipe avec l’effectif, le vécu et le fond de jeu pouvant y prétendre, c’est Pau. Mais cela fait 4 ans que c’est le cas, et que Pau n’a de cesse de se tirer une balle dans le pied et d’échouer lamentablement. On peut donc en conclure qu’ils se sentent bien en D2 et que cette saison ne fera pas exception. Sinon, Tarbes ou Narbonne pourraient être de belles surprises s’ils continuent leurs progressions entamées ces dernières années. Albi, auteur d’un beau démarrage, peut aussi postuler s’ils connaissent la même euphorie qu’Oyonnax ou Auch lors de leurs saisons de domination respectives.

Mais dans cette compétition, le danger peut venir d’à peu près partout, en fait. Auch ou Oyonnax, justement, ont remporté le championnat alors que personne de sensé n’aurait parié sur eux au début de l’exercice. Donc, aussi improbable que cela puisse paraître, même Colomiers, Mont-de-Marsan voire Aurillac (ou à peu près n’importe quelle autre équipe s’étant maintenue l’an dernier, sauf Bourgoin avec ses 10 points de retard, et Carcassonne car depuis que Labit s’est retiré, c’est la débandade. Désolé pour ça, j’ai pas pu m’empêcher) peuvent prétendre à être le futur lauréat. Aurillac, justement, qui a fait un championnat en fanfare l’an dernier : au début c’est génial, au bout de 5 minutes, on s’emmerde, et au bout d’1/4 d’heure, il nous reste juste l’envie de se lacérer tous les organes sensoriels au cutter.

En terme de probabilité, les Cantalous ont quand même tout autant de chances d’être relégués. Après tout, j’en sais rien, n’étant ni voyant, ni spécialiste rugby sur Canal + (comprenez : je n’ai jamais réussi à me faire payer pour débiter des âneries, mes agios m’en soient témoins).

Tiens, la relégation, parlons-en, justement. Car si la D2 est l’énergie noire du rugby français, alors la Fédérale 1 en est certainement un multivers. Une réalité parallèle où Tyrosse, Aubenas, Montluçon ou La Seyne font partie des gros bras. Où une équipe basque reste sur plusieurs bonnes saisons avec un niveau de jeu satisfaisant (Saint-Jean-de-Luz en l’occurrence). Encore plus effrayant : une dimension parallèle dont le club le plus titré est Colomiers. Et dans laquelle un club auvergnat est parvenu à être champion de France (oui, n’importe quoi pour parler d’Aurillac, je fais ce que je veux). Bref, un univers parallèle dont le scénario aurait été refusé par n’importe quel producteur de série Z des années 50 en raison d’un manque de crédibilité. Heureusement, la FFR veille. Non, parce que c’est bien gentil cette compétition, mais c’est censé être le plus haut niveau fédéral. Les deux finalistes du championnat montent chaque année pour représenter fièrement le rugby amateur dans le giron Pro.

Alors, les Lannemezan, Bourg-en-Bresse et autres Périgueux, ça suffit ! À partir de cette saison, pour pouvoir monter en ProD2, finis les critères sportifs. Après une première phase pour le fun, la FFR organisera une compétition uniquement pour les clubs qui ont du pognon (et une phase finale pour les pouilleux, avec à la clé rien d’autre que la gloriole). Le plus mauvais des trois seuls clubs notés triple A par la DNACG sera éliminé, les deux autres monteront en ProD2. Il fallait bien trouver un moyen pour faire monter Lille, vu que ceux-ci n’y arrivent pas par la voie normale. Bref, on est pas prêts de revoir Auch en deuxième division. Massy (le seul club francilien doté d’un vrai centre de formation) et Montauban ont, eux, su prendre le bon wagon à temps.

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En exclusivité pour la Boucherie Ovalie, voici le formulaire qu’auront à remplir les prétendants à la montée en D2.

 

Mais revenons aux clubs en lice cette année. Ainsi, l’USAP se retrouve en ProD2. Après une saison en tout point calamiteuse, la rupture avec le public est consommée, ainsi que celle avec Marc Delpoux. Exception dans le marasme ambiant, Jean-Pierre Perez sera en ProD2 heureux comme un agoraphobe en Lozère, enfin au milieu des siens, les laissés-pour-compte, les parias de notre société trop lisse, ses confrères les sociopathes. Marc Delpoux mis au ban, l’USAP s’est attachée les services de coachs spécialistes de la ProD2. Entraîneur principal : Alain Hyardet. Lors de sa dernière saison comme coach à ce niveau, il a connu la descente avec Aix-en-Provence. Coach des avants : Gregory Patat, qui la saison dernière a connu la descente avec Auch. Autant dire que le président Rivière a mis tous les moyens pour ne rester qu’une saison à ce niveau.

Quant au discours, il tourne autour d’un seul mot : Reconquête. En Catalogne, c’est un mot fort, chargé d’Histoire. La Reconquête désigne une longue période de l’Histoire, du VIII° au XV° siècle, lorsque les royaumes chrétiens (avec la Catalogne alors indépendante à la pointe du front) s’unirent pour rendre la péninsule ibérique au catholicisme. Autrement dit, il s’agissait de foutre les Arabes dehors. Après la non-reconduction de Farid Sid, nul doute que ce discours saura trouver écho aux oreilles du nouveau maire de Perpignan et que cela se ressentira lors du vote de la prochaine subvention municipale. Et on sait que c’est important dans ce sport, ce ne sont pas les Biarrots qui diront le contraire. En tout cas, les confrontations avec Béziers lors du fafossico promettent.

Autre gros changement depuis la saison dernière, Albi a de l’argent. Ils ont trouvé quelqu’un qui a trouvé super de mettre du pognon dans ce club. Quelqu’un qui a de l’humour, donc. Tellement qu’il a imposé un nouveau coach à l’équipe, en la personne d’Hugo Mola. Si vous avez lu l’excellente fiche de Brive publiée sur ce site (ça va chef, ça se voit pas trop l’auto-promo ?), ou plus simplement si vous avez un peu de mémoire immédiate, vous savez à quel point c’est un coach brillant. On pourrait presque penser que l’on assiste là à la perpétuation du suicide de club chère au rugby français, dont les grands moments restent la vente du CA Bègles à un « homme d’affaire » non solvable, ou le licenciement d’Olivier Saïsset par Béziers alors que celui-ci venait de parvenir à qualifier son club pour la HCup. Néanmoins, avec l’effectif de l’an dernier renforcé par un bon nombre de recrues bien ciblées, Albi possède une équipe riche en puissance. Moins en technique pure. Mais bon, là-bas, la dernière fois qu’ils ont vu une passe vissée décente, Sébastien Pagès avait encore les cheveux propres. Les supporters ne devraient donc se rendre compte de rien.

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Le joueur à suivre : Jérémy Dumont (Dax), 1 jaune et 2 rouges la saison dernière, en ayant joué à peine plus de la moitié du championnat (matchs de suspension compris).

 

Vous n’avez rien appris de capital, vous vous êtes probablement ennuyés, et maintenant vous ne rêvez que de vous saouler pour oublier ce temps passé que vous ne récupérerez jamais, en un mot, vous voilà prêts à affronter un match entier de ProD2. Voire à suivre la saison entière.

D’autant que si vous aimez un peu le rugby pour de vrai, cette compétition offre très régulièrement des matchs tout à fait emballants. Si Sport+ et Eurosport, les deux chaînes qui diffusent des matchs, choisissent un peu autre chose que les matchs de Biarritz et Perpignan « parce que c’est connu », vous découvrirez plusieurs équipes capables de proposer des vraies belles phases offensives, comme Aurillac, Mont-de-Marsan, Narbonne, Agen ou Carcassonne. Et d’autres qui s’envoient quasi systématiquement comme des chiens, comme Béziers, Bourgoin, Massy ou Pau. Sans compter les phases finales qui depuis 5 ans proposent des matchs superbes, ou, à défaut, des générales d’anthologie. Donc, quand vous en aurez marre de voir l’équipe B de Toulouse se prendre 50 pions à Toulon lors du Crassico « à cause des doublons » (et que, vraiment, sortir et avoir une vie sociale vous emmerde), pensez à l’occasion à mater un petit Colomiers-Tarbes, vous pourriez être plus agréablement surpris que ne le laisse suggérer l’affiche.

Enfin, ces dernières saisons, suivre la Prod2, c’est aussi la garantie de pouvoir briller en société. Ainsi, un grand nombre de révélations de ces dernières années ont accédé au plus haut niveau par le biais de ce championnat. Dulin, Guitoune, Barcella, Machenaud ou Pierre-Gilles Lakafia, tous ces internationaux (plus 1 joueur au palmarès fourni, on peut pas tout avoir) s’y sont d’abord frottés. Votre charisme naturel de hipster se trouvera démultiplié en affirmant sans sourciller des assertions telles que : “Daniel Kotze ? la première fois que je l’ai vu jouer à Aurillac, j’ai su qu’il avait le potentiel pour avoir une carrière internationale” ou “Dès le départ, j’ai bien vu qu’Uini “l’ourson” Atonio avait un gros cul”.