Stade Toulousain – RCT, dans la tête de Guy Novès
par Le Stagiaire

  • 28 October 2013
  • 17

 

Par le Stagiaire,

 

Ces événements se déroulent entre 14h50 et 16h31.

 

14h50, dans le vestiaire toulousain :

Bon je vais m’asseoir sur un ballon au milieu du vestiaire et je vais les regarder d’un air méchant, sans rien dire. Généralement, ça suffit pour les motiver.

Tiens donc, voilà que Thierry se lance dans un discours enflammé. Non je déconne, il a à peine démarré son speech qu’on a perdu la moitié de l’équipe. Dans le vestiaire d’en face, on entend Laporte s’égosiller et insulter tout le monde.

«Si vous jouez aujourd’hui, c’est que vous êtes des grosses merdes. Regardez, tous nos meilleurs joueurs sont en tribunes ! Ou à l’infirmerie. A votre place j’aurais honte d’être dans le groupe d’aujourd’hui ! Et oué les mecs, vous êtes nuls, j’en suis persuadé ! Si j’avais pu j’aurais fait jouer les juniors, vous m’entendez ! Mais comme on vous paie une fortune, on va vous laisser une dernière chance ! Surprenez-moi ! Vous n’y arriverez pas, mais essayez quand même !»

Une porte claque. S’entrouvre à nouveau deux secondes plus tard. «ET PAS DE FAUTES !». Avant de claquer à nouveau.

Dans quelques secondes, ses joueurs vont sortir la bave aux lèvres, les yeux révulsés et le cerveau sous le bras, prêt à être déposé au bord du terrain dans un sac isotherme.

Moi, mes vingt-deux mecs regardent le «meilleur-joueur-du-monde-contre-les-All-Blacks» avec les mêmes yeux que Yoann Huget qui viendrait de se faire renverser par un 33 tonnes. Ca promet. Et dire que je me foutais de la gueule de tout le monde en priant pour un match nul cette semaine dans la presse. Ahah.

La porte s’ouvre et l’arbitre nous fait signe qu’il est l’heure. Les joueurs sont tellement transcendés par le discours de Titi que plusieurs d’entre eux sursautent. Ca promet. Les joueurs se lèvent et pénètrent un à un dans le couloir.

Florian met un coup de boule à un pilier, un autre à un soigneur qui passait par là, et parachève son échauffement avec un coup d’épaule dans le mur.

Je reste assis sur mon ballon encore quelques secondes dans le vestiaire vide, soupire et murmure : « I’m too old for this shit ».

 

14h59 :

C’est la journée de l’arbitrage, du coup on doit se taper un protocole à la con avant le début du match.

La journée de l’arbitrage, c’est un peu comme le téléthon, la collecte de fonds en moins. Pendant un week-end, tous les sports se mobilisent, et on rappelle partout qu’il faut être gentil et tolérant avec les arbitres, car, au fond, ce sont des gens comme nous. Un jeune arbitre vient donner un coup d’envoi fictif, on l’applaudit, on trouve ça formidable et dans deux jours plus personne n’en aura rien à foutre.

Nuance tout de même, le téléthon n’a pas pour objectif de vous inciter à vouloir devenir myopathe. C’est pour ça qu’ils prennent Franck Dubosc ou Gad Elmaleh comme parrain une fois sur deux.

Enfin… si vous voulez mon avis, tout ça c’est surtout une excuse pour ne pas parler des vrais problèmes des Français, comme la rupture de Luke McAlister ou les doublons.

15h :

Ca y est le coup d’envoi est donné. Et il est direct en touche. Ah ah, ça fait plaisir de revoir Frédéric Michalak ici, ça faisait longtemps.

Merde.

Mais c’était pas nous qui devions donner le coup d’envoi ?

Comment il s’appelle notre petit dix là déjà ? Je demande à JBE qui hausse les épaules.

– Beauxis ?
– Non, non, l’autre, le nouveau.
– Mc Alister ?
– Mais non, le petit jeune qui est arrivé cette année.
– Doussain
– Putain mais tu le fais exprès ?
– Oh bah tu sais moi, ça fait quelques temps que j’ai arrêté de suivre tout ça. Je préfère me concentrer sur le jeu.

Je me demande s’il se fout de ma gueule et préfère siffler Huget, à quelques mètres de moi sur son aile, que d’y réfléchir vraiment.

– Yoann, il s’appelle comment le petit qui joue dix aujourd’hui ?
– Jean Pascal, coach !
– Ah oui, c’est ça. Bon, dis lui que s’il me refait ça encore une fois je le renvoie à Biarritz. C’est clair ?
– Oui coach !

 

15h04 : Pénalité pour Toulouse.

Les trois points bordel, les trois points.

Je saute partout, je siffle, je gueule, j’engueule, je fais le signe.

Et ils prennent la touche. Oh putain.

 

15h05 :

Mais qu’est ce que c’est que cette chandelle ? On joue contre le vent et il balance une chandelle devant leurs vingt-deux ? Sérieusement ? On réussit à perdre cinq mètres sur un coup de pied.

Ce petit a passé trois ans avec Lagisquet. A tous les coups j’en ai pour au moins le double avant d’en tirer quelque chose.

15h06 : Picamoles se tient la hanche et doit sortir.

– William !
– Oui ?
– Faut faire sortir Loulou.
– Tu veux que je rentre ?
– Hein ? Ben non, fais rentrer Galan. Il est là pour ça non ?
– Ok, comme tu veux.

15h09 : Pénalité tentée par Michalak.

Ah, Wallon qui siffle Michalak. C’est pas sympa mais ça me rappelle le bon vieux temps. Bon sauf qu’à l’époque, il les mettait pas celles-là.

 

15h10 : (0-3)

Bon, ça fait 10 minutes que je dis rien sur les décisions de l’arbitre. Ca me démange là. A la prochaine occasion, je lève les bras au ciel.

Attention… maintenant !

Merde, il a sifflé pour nous. Je gueule un beau «Bah oui, bien sûr !» pour me rattraper. Un abruti peut pas s’empêcher de rajouter « Depuis le début ! ».

Mince, c’est Jean-Baptiste.

15h11 : Pénalité manquée par Barraque.

J’envoie un texto au responsable du recrutement, Jean-Michel Rancoule.

« Dis donc, si on s’est débarrassé de La Miche, c’est pas pour nous taper sa version low-cost. Tu te foutrais pas un peu de ma gueule ? Tu pouvais pas ramener un Sud-Africain ? T’avais juste à dire que tu travaillais pour Toulon et ils venaient tous te manger dans la main. T’en prenais un avec deux bras, deux jambes et qui sent pas trop l’alcool. C’est quand même pas dur. »

 

15h18 : Pénalité réussie par Michalak. (0-6)

Restons calme. Je vais faire des dessins sur mes feuilles de papier, ça me détendra. Et tout le monde croira que je prends des notes, ça fait toujours classe.

 

15h20 :

Voilà le mec de Canal. Manquait plus que ça. Je peux même pas me plaindre de l’arbitrage, on a dit qu’aujourd’hui on faisait un effort. Je vais plutôt lui parler du vent. Et des doublons. Ca marche à tous les coups.

– Oui, c’est compliqué on a le vent contre et nos buteurs ne sont pas en réussite. Maintenant on va essayer de s’accrocher au score et on va attendre la seconde période. Avec le vent dans le dos, on pourra jouer sur l’alternance en tapant au pied 9 fois sur dix. Peut-être alors qu’on pourra prétendre accrocher le bonus défensif mais quand on connaît la qualité de l’effectif toulonnais, ça s’annonce très compliqué. Surtout que nos internationaux ont déjà la tête à la tournée de l’équipe de France. C’est comme des doublons mentaux pour eux. C’est difficile de rester concentré sur un simple match de championnat quand on s’apprête à affronter les Blacks. Alors évidemment, c’est les clubs qui trinquent mais qu’est-ce que vous voulez, on a l’habitude. Il faudra pas s’étonner si on recrute des stars étrangères. Au moins quand ils jouent l’équipe de France, ils ont pas besoin de se préparer trois semaines avant et ils restent concentrés et disponibles à 100% pour leur club.

– Euh, merci Guy pour cette analyse, en toute franchise encore une fois.

Oh la vache, qu’est ce que je viens pas de raconter encore. Des «doublons mentaux». J’en rigole intérieurement. Putain je suis bon.

 

15h21 : Pénalité réussie par Michalak. (0-9)

J’entame mon quatrième ongle. A ce rythme-là, je me ronge les ongles de pieds avant la fin du match.

 

15h29 : A la suite d’une mêlée écroulée, l’arbitre prend Sheridan et Johnston à part et les prévient qu’il parlera en français.

Ah, voilà Mourad qui s’excite en tribunes. Il doit se faire chier lui aussi.

« Comment ça «Je vous préviens je vais parler en français» ? Vous avez vu le ton sur lequel il dit ça en plus ?! Raciste ! C’est la LNR qui vous envoie je suis sûr ! Honte à vous ! Vous faites le jeu du FN monsieur ! »

Ahah, sacré Mourad. Contrairement à ce que certains imbéciles peuvent dire, on peut difficilement faire plus français que lui, avec ses indignations permanentes. « Vous faites le jeu du FN ». Ahah, je dois reconnaître qu’il ne manque pas de talent lui aussi.

Enfin à mon avis, en ce moment, on ferait mieux de s’en prendre à ceux qui font le jeu du Biarritz Olympique.

 

15h30 : Carton jaune pour Barraque et pénalité réussie de Michalak (0-12).

Anti-jeu ? Mais pour faire une faute d’anti-jeu, il faudrait déjà qu’ils en fassent du jeu ! N’importe quoi. Je vais prendre le juge de touche à partie. Ca sert à rien mais ça défoule.

 

15h32 : Toulouse est au bord de marquer. L’arbitre leur accorde finalement une pénalité.

LES TROIS POINTS, LES TROIS POINTS !

 

15h32 : C’est (franchement) raté par Vermaak.

Oh merde, c’était quoi ce coup de pied ? Est-ce que tout le monde va bien en virage ?
J’ai demandé les trois points les gars ! Tuer un mec en tribune n’en a jamais rapporté aux dernières nouvelles !

 

15h35 : Michalak rate un drop.

Ah, il y a une justice quand même.

 

15H40 : Pénalité un poil trop courte de Fritz.

Ah non, il y a pas de justice en fait. Quand on y pense, c’est bien la première fois qu’on va devoir dire à Florian qu’il tape pas assez fort.

 

Mi-temps

Ca y est, tout le monde est de retour aux vestiaires. Les joueurs se parlent, chacun y va de son petit commentaire. Je finis par exploser et exige le silence. Je leur fais un long discours où je mêle subtilement encouragements, critiques personnelles, collectives, messages d’espoir et menaces de mort. Les joueurs repartent sur le terrain sur-motivés, rouges de colère et impatients d’en découdre. Clément Poitrenaud me signale que certains visages, marqués par les coups et la rage, feraient de superbes photos en gros plan. Je lui réponds que j’en ai rien à foutre.

 

16h : Après cinq minutes en seconde période, Barraque réussit une pénalité. (3-12)

Il aura fallu attendre trois quarts d’heure de jeu pour que les joueurs appliquent les consignes : prendre les trois points ! Tout est possible maintenant, même accrocher le bonus défensif.

16h02 : Début de bagarre sur la touche entre Johnston et Burden.

– Arrête Census, arrête ! TAIS-TOI ! Arrête !
– Il mé tire lé cheveux !
– J’avoue coach, c’est abusé ! Comment je serais trop vénère à sa place.
– Clément on t’a pas demandé ton avis.

Quoi ? Juste pénalité ? Monsieur l’arbitre normalement c’est carton jaune là !

Il est où le juge de touche ?

 

16h10 : Un membre du staff toulonnais touche un ballon au bord de la touche, empêchant Toulouse de jouer vite.

Rester imperturbable. Tout se joue dans le regard. Là par exemple, s’il est malin, le type qui a fait ça doit réaliser que j’envisage très sérieusement de brûler sa maison.

 

16h11 :

Bon, on s’emmerde. Si ça continue je vais aller en tribunes avec Julien Barès pour regarder des vidéos de Lolcats. Y’a pas de raisons que ce soit toujours Servat qui en profite. Je vais l’appeler d’ailleurs.

– William, c’est moi, on va faire sortir du monde.
– Tu veux que je rentre ?
– Euh non, ça va, on a ce qu’il faut.
– Ok.
– Donc on fait rentrer Doussain, Tekori et…
– J’ai mis mon short.
– Pardon ?
– Au cas où. J’ai mis mon short.
– …
– Si jamais y a besoin de moi quoi.
– Oui, oui merci William. Je vais y réfléchir.
– Ok. Ca me ferait chier de rentrer parce que je suis entraîneur tu vois. Mais bon, si y’a besoin. Pour l’équipe… Je ferai l’effort quoi.
– J’en doute pas William.

16h13 : Percée toulousaine qui débouche sur une pénalité de Doussain.

– Non mais qui est-ce qui a fait cette percée ? T’as vu ça Jean-Baptiste ?
– Hein ? Euh, oui, bien sûr.
– C’est qui cet ailier qui a fait ça ? Tu sais, le nouveau. Le All-Black là.
– Matavanou ?
– Mais non !
– Donguy ?
– Mais non, le «All-Black», pas le Black tout court. Et puis depuis quand on a pas titularisé Donguy ou Matanavou hein ?

Une voix s’élève des tribunes :

– Racistes !
– Oh ça va Mourad hein !
– Il s’appelle Gear et je vous l’achète.
– Non.
– C’est ce qu’on verra.

Bon par contre le coup de pied de Fritz alors qu’il y a un huit contre un, ça va pas du tout. Heureusement qu’on avait l’avantage.

Je l’engueulerais bien mais j’ai peur qu’il essaie de se rattraper en compensant en défense et qu’il tue quelqu’un. Tant pis, on fera ça en douceur à la vidéo.

 

16h20 :

C’est pas possible de laisser autant de points en route. J’en ai marre. Je vais aller m’asseoir sur le banc trop confortable pour moi et bouder.

 

16h23 : Essai de Vermaak transformé par Doussain (13-12)

On a marqué ? Mais ils sont fous ou quoi ? J’avais dit de prendre les trois points ! Pourquoi Tekori tente pas le drop là ? On a le vent dans le dos en plus ! Voilà, maintenant avec vos conneries, on va mener et on va se taper la pression pendant 10 minutes.

 

16h24 :

Il est temps d’aller faire un peu de lobbying auprès du 4ème arbitre.

– Salut Guillaume ! Comment ça va ?
– …
– Ta femme, elle va comment ta femme ?
– …
– Sacrée seconde période hein. On n’a pas vu le temps passer. Va pas y avoir beaucoup d’arrêts de jeu avec tout ça, hein ! Héhé…
– …
– Super initiative la journée de l’arbitrage en tout cas… J’adore. Vivement la prochaine !
– …

Bon rien à faire. Tant pis.

16h26 : Pénalité pour Wilkinson.

Et voilà on a perdu. Putain ! Et dire que c’est Mermoz qui devait être sur la feuille de match à la place de Wilko normalement. Vie de merde.

Ah, non, il la rate en plus. Il attend probablement la 79ème pour nous la mettre. C’est bien une tactique d’Anglais ça.

 

16h27 : Faute de Fritz, pénalité manquée par Wilkinson.

77ème, encore trop tôt pour lui probablement.

Je vous raconte pas le bordel sur le banc. Tout le monde est debout. En tribunes c’est pas mal non plus, William me dit dans l’oreille que Mourad brûle des billets de banque en hurlant «Regarde ce que j’en fais de ton salaire moi, Jonny».

 

16h29 : Toulon pousse dans le camp toulousain.

La meilleure chose à faire à ce moment du match, c’est de lever les bras en l’air pour réclamer une faute de l’adversaire. De toute manière on voit rien à ce qu’il se passe et c’est tellement le bordel que sur un malentendu ça peut marcher.

Tiens apparemment, le banc toulonnais connaît aussi cette technique.

16h30 : Drop raté de Wilkinson.

Je vais mourir. Mourad chante “Jonny fais moi mal” en se scarifiant avec son carnet de chèque.

 

16h31 : Fin du match.

Putain on a gagné. Que c’est bon. Je me retiens de sauter partout.

Surtout ne pas sourire. Je suis peut-être filmé. Ne pas sourire.

16h32 :

J’attrape mon carnet pour noter mes commentaires à chaud :

Je dessine un petit plus à côté duquel j’appose les noms de Vermaak, Johnston, Galan, Ralepelle et Dusautoir. Je rajoute Poitrenaud, pour le fun et parce qu’après tout j’ai pas souvent l’occasion de le faire.

Je me note aussi d’essayer de discuter avec Fritz, qui aurait pu nous coûter le match aujourd’hui. Prévoir un psychologue, un interprète et deux joueurs au cas où. Il va aussi falloir que je m’accorde du temps pour discuter avec le jeune Biarrot. On va avoir besoin de lui ces prochains mois et j’espère bien en tirer quelque chose.

Ah oui et je me mets aussi un rappel pour envoyer un message à Vincent ce soir. Je me suis pas échiné à chasser un lapin pour le bouffer sans pain frais demain midi.

Bon, maintenant, il faut vite retrouver ses esprits pour répondre aux journalistes.

On répète un coup : Fier des joueurs. Exploit. Inespéré. Mort aux doublons.

Voilà, c’est bon. Finalement, je crois que « I’m not too old for this shit ». Pas encore.