Pierre Villegueux analyse France – Galles
par Pierre Villegueux

  • 18 October 2011
  • 30

Après la victoire du XV de France contre l’Angleterre, j’avais volontairement décidé de ne pas écrire sur ce match. D’abord, parce que j’avais la flemme. Ensuite, parce que je suis vieux et que je ne souffre pas d’agnononosie : cette victoire « inespérée » contre les terribles anglais, 6ème Nation du classement IRB, ça sentait le réchauffé. Un énième parcours laborieux, un énième exploit sans lendemain, une réaction d’orgueil à peine suffisante pour pouvoir bien dormir dans l’avion du retour, on connaissait déjà l’histoire.
Je m’étais trompé.

Contre les Gallois, les Bleus m’ont convaincu. Ils m’ont convaincu que cette fois, nous allions être champions du monde. Pourquoi ? Parce que nous avons réussi à refiler notre mojo de losers à ces cons de gallois. Enfin ! Parce que le romantisme, ça va deux minutes, comme dirait Eric Zemmur. Bien jouer, récolter les louanges, les médailles en chocolat et les tapes sur l’épaule genre « t’es bien brave », on a déjà donné. Il était temps de laisser ce rôle ingrat à une autre équipe, et le Pays de Galles était le candidat idéal pour récupérer le flambeau de la lose du rugby international. Ils sont jeunes, ils sont be… non, ça reste quand même des gallois, ils jouent bien. Même qu’ils ont mis une branlée à l’Irlande en ¼ : habituellement notre grande spécialité. Le profil idéal pour perdre lamentablement une demi-finale de Coupe du Monde, en somme. Car si nous avons été mauvais, que dire des Gallois. Ne pas réussir à battre la plus mauvaise équipe de France de tous les temps en ayant le ballon pendant 70 minutes et en ratant 4 coups de pied, c’est quand même incroyable. A croire qu’ils le font exprès, parce qu’il fallait déjà un sacré talent pour réussir à perdre contre l’Afrique du Sud en poule. Même Christian Jeanpierre y croyait pas.

Alors oui Warburton a été expulsé pour un plaquage esthétique qui lui aurait sans doute valu la légion d’honneur en Afrique du Sud. D’habitude ça vaut un jaune… pas de pot pour les Gallois, un arbitre a décidé d’appliquer le règlement correctement, d’un coup comme ça, un jour de demi-finale de Coupe du Monde. Ou peut-être que Jean Dridéal est tellement mignon qu’on a pas le droit de le toucher, je sais pas. Le jeune capitaine gallois n’avait pas été prévenu et il s’est retrouvé bien con avec sa grosse doudoune, le cul assis sur un tabouret en bord de touche. Mais Warburton, en fait, il peut nous remercier. Jouez pas aux puristes, personne ne regarde jamais les matchs de Cardiff (une équipe qui dit vouloir gagner la Coupe d’Europe en faisant jouer Dan Parks à l’ouverture, c’est quand même pas sérieux) et personne ne savait qui était ce mec avant la Coupe du Monde. En lisant la compo de l’équipe on se demandait « Bah, il est pas là Martyn Williams ? Ou alors Colin Charvis, je sais pas… » c’est qui ça Lydiate, Warburton, Faletau ? Andy Powell à la limite on le connait, il nous fait souvent rire, mais eux, on connaissait pas. Maintenant Sammy est une légende, un martyr, un héros sheakespearien. C’est magnifique. Poignant. Daniel Herrero est content, il va pouvoir faire un nouveau livre… mais nous, les héros malheureux, on les collectionne depuis 30 ans, alors non merci. On préfère jouer la finale de la Coupe du Monde.

Et même qu’on va la gagner. Car l’équipe de France a évolué. C’est sans doute l’influence clermontoise sur le groupe : après des années à pratiquer un jeu magnifique et à enchaîner les branlées en finale, les Clermontois sont devenus comme Pierre Salviac : aigris. Ils ont gagné le Brennus en 2010 avec une série de matchs plus dégueulasses les uns que les autres, des gros coups de bol et des polémiques arbitrales contre le Racing Métro puis Toulon, pour conclure une finale maîtrisée, sans panache et sans relief contre l’USAP. Il ne faut pas non plus oublier les Toulousains, ces monstres assoiffés de Brennus qui ont mis fin aux rêves de la « jeune et enthousiasmante jeune génération montpelliéraine » (sic) au mois de mai dernier, sans marquer un seul essai et après avoir couru après le score pendant 75 minutes.

Mais le plus beau symbole de ce XV de France enfin adulte, c’est Marc Lièvremont. Lui, Marco l’idéaliste, qui avait débarqué à la tête des Bleus pour liquider l’héritage de Bernard Laporte à coup de lance-flamme. Marco le rêveur voulait le retour du french flair… quand on lui parlait du jeu à la toulousaine il répondait même « Ouais, c’est bien mais pas top ». 4 ans plus tard, Don Diego de Lapinou affiche un cynisme à faire passer Bernie le Dingue pour un dangereux disciple de Pierre Villepreux. Je vous refais profiter de cette magnifique tirade : « Je vais vous dire un truc, je m’en fous complètement que le match n’ait pas été beau, que nous ayons eu de la réussite et que peut-être que les Gallois méritaient plus. Nous sommes en finale et c’est tout ce qui compte. Si on doit être champions du monde en jouant le même rugby, on sera champions du monde en jouant ce même rugby. Depuis quelques mois, on manque de beaucoup de choses, sauf qu’on est en finale de la Coupe du monde. Cachez votre enthousiasme surtout… ».

Vous l’avez compris, cette année tout est de notre coté : un coach en roue libre, qui a totalement pété les plombs, en mode Colonel Kurtz dans Apocalypse Now, une équipe de tueurs à gages qui n’auront aucun remord à gagner le match 6 à 3 après que Pascal Papé ait broyé ce qu’il reste du pied de Richie McCaw. Parce que le french flair finalement, c’est un peu comme Paris dans les films américains : c’est joli, mais ça n’existe plus que sur pellicule. Sur le terrain samedi, on a vu la vraie France, celle qu’on aime, celle de DSK où on peut violer 14 Gallois en public et s’en sortir avec les honneurs.

Nous sommes donc prêts à devenir les champions du monde les plus moches de l’Histoire. Après avoir gâché le rêve gallois, quoi de mieux qu’enterrer les All Blacks pour leur dernière Coupe du Monde à domicile ? Rendez vous compte, 4 tremblements de terre dans l’année, la crise économique, la marée noire, et une équipe de bras cassés avec une paire de centre Mermoz-Rougerie qui vient vous piquer « votre » Coupe du Monde chez vous. Avouez que ce serait magnifique, un vrai rêve bleu.

Les sales gosses :

La première ligne : On va pas non plus se la péter parce qu’on a broyé 7 Gallois privés de leur pilier hardrockeur favori. Sinon je crois qu’une fois Servat a avancé sur une charge, c’était comme une image de 2009, très émouvant.

Pascal Papé : S’est chauffé les gants de boxe après le plaquage de Warburton sur Clerc. Il devrait être prêt pour faire un carnage en finale.

Lionel Nallet : Yoyo a eu la crise de la saison dernière, il s’est mis à faire des chevauchées de trois-quart en plein centre du terrain. Heureusement, tout est rentré dans l’ordre avec ses hormones, on a retrouvé le Nallet qu’on voit jamais du match, sauf quand il se rate en défense, comme sur l’essai.

Julien Bonnaire & Thierry Dusautoir : Ils ont le charisme de vendeurs de chez Darty. Mais eux, ils sont efficaces.

Imanol Harinordoquy : Harinordoquy en 8, c’est vrai que c’est pas mal… fallait y penser…

Dimitri Yachvili : A eu l’occasion de jouer un match du Biarritz Olympique pour la première fois depuis le mois de mai, il était donc dans son élément. A tel point qu’il a tenté une espèce de chistera bizarre très spectaculaire. Pour mieux faire un en-avant juste après.

Morgan Parra : A pris plus d’intervalles et a plus plaqué en un match que Rougerie dans toute sa carrière en Equipe de France. On en oublierait presque son jeu au pied de moineau asthmatique. Lapinou peut se la péter, mais mettre Jean-Baptiste Elissalde à l’ouverture, Guy Novès y avait pensé avant lui.

Alexis Palisson : On a pas beaucoup vu Panda Roux aujourd’hui, mais il est toujours aussi choucard, alors c’est pas grave.

Maxime Mermoz : A l’image de toute l’équipe de France, ce joueur est une énigme. On sent qu’il va faire quelque chose avant la fin du Mondial, un truc énorme, mais on sait pas vraiment quoi. Un essai peut être. Plus probablement une grave blessure.

Aurélien Rougerie : J’ai entendu plusieurs lecteurs se plaindre de nos moqueries constantes à l’égard d’Aurélien Rougerie. Pour leur répondre, je rappellerai juste qu’il a quand même réussi à se prendre un cadrage débordement d’Huw Bennett sur ce match…

Vincent Clerc : Même quand il ne marque pas il est décisif. Un vrai porte-bonheur ce Jean Dridéal.

Maxime Médard : A essayé de faire un peu le con en première mi-temps, où on a pu admirer son déhanché sur une feinte de dégagement dans ses 22. A la mi-temps, Don Diego de Lapinou lui a chanté « Et tu tapes tapes tapes ». Comme Maxime n’est pas un sale gosse, il a obéi…

La meilleure équipe du monde de l’hémisphère nord que le monde pleure :

James Hook : La malédiction Maxime Mermoz, c’est pas des conneries. Après avoir marabouté Carter en lui interceptant une passe en match de poule, Mad Max a refilé son mojo maléfique à James Hook. Instantanément catalanisé, Capitaine Crocheté s’est mis à jouer comme Nicolas Laharrague… dur.

Stephen Jones : Le comte Dracula est arrivé au Mondial a court de forme et comme troisième ouvreur de son équipe seulement. Il aurait pu montrer qu’il était toujours un grand joueur en passant cette transformation fatale… il a préféré se souvenir qu’il avait été clermontois et a rendu un vibrant hommage à Brock James. Merci, la France t’aime Stephen.

Leigh Halfpenny : Le François Steyn version hobbitt n’a pas fait mieux que ses illustres coéquipiers. Sérieusement, vous pensiez gagner une demi-finale de Coupe du Monde avec une conquête en carton et des buteurs aux pieds carrés ?

La meilleure équipe du monde de tous les temps tous hémisphères confondus qu’elle va gagner la Coupe du Monde c’est sûr

Alors les Blacks, déçus de ne pas pouvoir affronter les gallois pour votre finale de rêve du Tournoi Mondial de Rugby à 7 ? Et ben ouais, pour gagner la Coupe il va falloir jouer au rugby dimanche. Bonne chance.

Pierre