Pierre Villegueux revient sur France – Nouvelle-Zélande
par Pierre Villegueux

  • 28 September 2011
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Samedi, c’était le jour J. Le grand match que tout le monde attendait. Celui qui aurait pu faire un putain de match d’ouverture, si les Black n’avaient pas eu la trouille de nous voir gâcher leur grande fête de mecs en slip avec des bambous qui dansent en faisant des grimaces rigolotes. Tant pis pour le prestige, c’est donc lors de cette troisième journée de Coupe du Monde qu’aura lieu la revanche du quart de finale de 2007. Entre temps, la France avait augmenté son capital sympathie avec une victoire à Dunedin en 2009, l’obtention d’un trophée dont tout le monde se fout et la fameuse affaire Bastareaud. Les Blacks s’étaient déjà vengé à Marseille quelques mois plus tard, avec un beau 39-12 à la clef, mais pour réellement laver l’affront, il fallait nous battre en Coupe du Monde. Nous pour le coup, sachant qu’on déteste autant affronter les Anglais que les Argentins, la première ou la seconde place de la poule nous importe finalement peu.

Ca n’a pas empêché Christian Jeanpierre, le gars qui est tellement corporate et ravi de la crèche qu’on le croirait sorti d’un épisode de Joséphine Ange Gardien, n’hésite pas à en faire des caisses et nous présente cette rencontre comme « le match d’une vie ». Rien que ça. Mais on va éviter de trop revenir sur les commentaires du Dynamic Duo le plus cocaïne depuis les Batman et Robin de la série des années 60 parce que finalement depuis le début de cette Coupe du Monde, on commente presque plus les commentaires que les matchs…

Place au terrain donc. Comme on s’en doutait, les All Blacks ne peuvent vraiment pas nous saquer et ils décident de nous offrir le premier Kapa O Pango de cette Coupe du Monde. Pour ceux qui l’ignorent, le Kapa o Pango c’est ce haka composé en 2005 par le célèbre chef de tribu Maori Sylvester Adidas, et dont les paroles signifient, en gros « On est les All Blacks™ , on va gagner parce qu’on est forts, on est les All Blacks™ ». Ah c’est sûr, c’est moins spirituel que les histoires d’hommes poilus, de vie, de mort et de soleil levant, mais l’important c’est que visuellement, ça pète grave : on a vraiment l’impression qu’ils ont envie de nous buter. Surtout à la fin avec le fameux geste de l’égorgement, si bien mimé par Ali Williams, l’homme aux 1000 grimaces, véritable Jim Carrey kiwi.

Et c’est là que le DJ du stade décide d’enchainer avec beaucoup d’à propos sur « I got a feeling » des Black Eyed Peas, histoire de bien faire retomber la pression pendant la pause publicitaire, au cas où on aurait vraiment eu peur. Bien joué David Guetta, c’est encore toi qui va sauver la France…

C’est au moins ce qu’on a cru pendant 10 bonnes minutes. 10 minutes où des français sans complexes mettent la main sur le ballon et se procurent trois semi-occasions d’essais : il y d’abord la percée de Parra, qui joue au pied par dessus avant de se faire sécher par Carter. Le drop de ce même Parra en plein poteau, que Picamoles est pas loin de rattraper pour planter l’essai. Puis, encore et toujours Parra, qui tape une belle tranversale pour Damien Traille qui se fait plaquer dans les airs façon Chevaliers du Zodiaque par Israel Dagg. Ce qui nous confirme une chose : il a beau avoir une mère française, Alain Rolland sera vachement moins cool avec nous que Wayne Barnes en 2007.

C’est à ce moment là que s’affiche la stat qui fait rêver : 88% de possession contre les All Blacks. 88, chiffre maléfique, ça ne pouvait être que mauvais signe. Les Blacks eux n’ont pas besoin de grand chose pour faire la différence : Piri Weepu (celui qui est censé être le point faible de l’équipe, bah merde) prend un petit intervalle et désorganise la défense, et derrière, c’est Nonu qui en prend un gros en passant entre Bonnaire et Picamoles, parfaitement synchronisés dans le rôle des battants de la porte de saloon. Un air plaquage de Damien « Mr 100% fiable » Traille plus tard, notre ami rasta est plaqué à quelques mètres de la ligne par Clerc et Yachvili. Mais ça rebondit sur l’aile : une passe sur un pas de Carter, Dagg qui fixe et c’est Adam Thomson qui file dans l’enbut.

À la 16ème minute, les Bleus se font prendre en fond d’alignement par Jane, qui perce et conclut tout seul après avoir délicatement caressé les favoris de Médard. On admirera aussi sur cette action une nouvelle feinte de plaquage de Szarzewski (le grand héros du match en défense) et la tentative de retour de Picamoles, avec sa fameuse course bras ballants qui nous rappelle tant Sammy dans Scoubidou. À la 20ème, c’est Carter qui feinte la passe tranquillou, avant d’envoyer Israel Dagg en terre promise. 19-0 au bout de 20 minutes, on se dit qu’on va assister à une de ces fameuses branlées à essai par minute, qu’on a connues sous Villepreux/Skrela, Laporte et Lièvremont et qui font finalement autant partie de l’ADN du rugby français que le french flair. Mais non, la faute à un regain de forme des Bleus mais aussi à quelques maladresses des Blacks. C’est un peu flippant à dire, mais on a l’impression que les tout noirs ne sont pas non plus à plein régime, ce qui laisserait à penser que ce coup-ci ils ne sont pas prêts trop tôt, comme on a pu le penser en 2003 ou 2007. Le Yacht redresse donc la barre et passe une pénalité, 19-3 à la mi-temps.

16 points d’écart, c’est plus qu’en 2007 (13-3 pour les néoZ à la mi-temps) ou même qu’en 2009 à Marseille (22-12) mais ça n’empêche pas Thierry Lacroix d’être content. Contaminé par la bisounoursitude de son collègue, il affirme fièrement qu’il est satisfait de cette première période. Il faudra pourtant 23 secondes aux Blacks pour remettre une couche de noir sur le tableau d’affichage : Sonny Bill nous offre son offload syndicale, Carter perce sur plusieurs mètres et quelques temps de jeu plus tard, c’est Dagg qui va marquer tranquillement en passant entre Nallet et Poux.

Là encore on sent venir la grosse banlée, mais la machine Black est enrayée par Mermoz, qui intercepte une passe pourrie de Carter (j’ai du relire cette phrase trois fois tellement elle sonnait faux) et va marquer après une course au ralenti qui confirme bien ce que je disais il y a peu : Lionel Nallet est bien le trois quart centre français le plus incisif du moment. Beaucoup ont reproché à Mermoz son plongeon et cet excès de joie déplacé alors que la France était menée de 26 points, pas moi. Le gars a la maladie des os de verre, il joue en club aux cotés de David Marty et il sait qu’il vient de réaliser quelque chose qui ne se reproduira plus jamais dans sa carrière : marquer un essai aux Blacks en Coupe du Monde. Alors qu’il en profite, va. C’est pas plus débile que les célébrations à la con des Blacsk qui se font des checks à la Lebron James ou des poses de catcheurs.

Cet essai n’empêche pas les Néo-Zélandais de remettre la main sur le ballon. A la 62ème, Carter se permet même de chambrer Luke McAlister en marquant un drop – ce que la nouvelle idole des pisseuses toulousaines n’avait pas réussi en 2007 à Cardiff après les sorties de Carter et Nick Evans. Le match est plié depuis longtemps mais les 20 dernières minutes vont donner l’occasion aux français de produire des séquences de jeu intéressantes, où l’on arrivera à conserver le ballon et même à avancer avec sur plusieurs temps de jeu, ce qui paraissait déjà trop compliqué à faire contre le Japon et le Canada. Malheureusement, faudra repasser pour voir un essai construit : les Bleus de Lièvremont sont toujours ceux du Grand Chelem 2010, leur point fort c’est le contre et les essais de pute. Et qui dit pute dit Yachvili (et pour un 9, c’est le plus beau des compliments) le Biarrot joue vite et envoie Trinh-Duc dans l’en-but alors que la plupart des Blacks étaient en train de taper la discute avec Alain Rolland. Trinh-Duc qui conclut tout en finesse, avec un coup de boule sur SBW. S’en prendre au Raging Bull néo-zélandais de tous les temps a un prix : le KO. Donald Duc a donc marqué un essai contre les Blacks à l’Eden Park mais il n’en a aucun souvenir. Vraiment une Coupe de Monde de merde pour celui dont on peut désormais dire qu’il sera le Poitrenaud de 2011 : l’unique joueur qui est seul à son poste dans la liste des 30 mais qui a quand même réussi à terminer sur le banc…

On aurait pu en rester sur cette réaction d’orgueil bien française mais juste derrière, les Blacks vont à nouveau marquer par Sonny Bill sur un renvoi complètement foiré par les Bleus. Ca fait donc 37-17 au final. Que penser de ce match ? Pour ce qui est de l’analyse, Vern Crotteur a déjà fait le tour de la question. Sur ce match, la faute est partagée entre le staff qui a été naïf et les joueurs, auteurs d’erreurs individuelles difficiles à pardonner à ce niveau. Au final, ce n’est pas une branlée, mais pas une défaite honorable non plus. On a l’impression d’avoir appris peu de choses de ce match : il y autant de raisons d’espérer pour la suite de la compet’, que de s’alarmer de certaines faiblesses, qu’on connait déjà depuis longtemps. Comme si ce premier tour finalement facile (on me fera pas croire qu’on peut perdre contre des mecs à moitié obèses qui jouent tous en ProD2 la semaine prochaine) était le prolongement des matchs de préparation du mois d’août. Une équipe type se dessine mais le premier vrai test aura lieu lors des ¼ de finale. On reste toujours aussi imprévisibles, ce qui est pas plus mal. Si ça passe, Lapinou aura au moins fait aussi bien que Laporte. Si ça casse, on se demandera si on a pas perdu 4 ans avec un staff sans doute plein de bonne volonté mais pas préparé aux (nombreuses) contraintes du haut niveau. Bon, au moins, on va bientôt savoir…

Les coqs :

Damien Traille : Combien de fois s’est on dit « plus jamais ça » après avoir vu un match pourri de Damien Traille avec le N°15 ? En espérant que ce soit vraiment la dernière. On cherche toujours ses supposés points forts (solidité sous les ballons hauts et jeu au pied… Ok, mais il s’en sert jamais)

Maxime Médard : Avait fait connaissance avec le bras de Cory Jane à Marseille en 2009. Deux ans plus tard, la magie ne s’est pas estompée, le contact fut aussi charnel. Seul le goût de la pelouse avait changé. A part ça, un match courageux en défense, a essayé ce qu’il pouvait en attaque… Il a l’air en forme mais un peu brimé à l’aile, le tester à l’arrière est donc une bonne idée. Il peut amener l’étincelle créative qu’il manque aux Bleus.

Mermoz & Rougerie : Lièvremont l’avait longtemps rêvée, cette paire de centre qui n’avait pu jouer qu’une vingtaine de minutes en février contre l’Écosse. Sur le papier, ça a de la gueule, en vrai, c’est évident que l’association n’est pas encore rodée. J’ajoute que jouer la défense glissée quand on positionne cette passoire de Rougerie en N°13 revèle sans doute quelques tendances suicidaires chez Lapinou.

Vincent Clerc : Comme d’hab, a été très actif, surtout en défense pour le coup.

Morgan Parra : Certains militaient pour la sélection de Brock James en équipe de France, mais ce n’était pas possible. Avec Morgan Parra, on a enfin un 10 clermontois tout frêle qui joue à 10 mètres derrière les défenses. La science du jeu au pied en moins. Pas forcément mauvais, Morgan a fait le job dans un rôle de distributeur un peu désuet à l’époque où les 10 sont tous des déménageurs qui pètent dans la ligne. Est-ce que c’est ce dont les Bleus ont besoin ? Faut voir.

Dimitri Yachvili : Son expérience et son sang froid ont fait du bien, plutôt un bon match pour lui donc.

Louis Picamoles : Le tractopelle toulousain est le seul joueur à avancer à l’impact, comme le prouve sa stat en première mi-temps avec 51 mètres parcourus, le meilleur total derrière Mermoz. Son manque de mobilité en défense est par contre plus fâcheux (2 plaquages manqués pour 5, en 40 minutes face aux Blacks, c’est beaucoup). Lakafia paraît plus complet, plus vif et a moins de déchets dans son jeu… il n’a aussi que deux sélections. Pas évident de choisir, on verra ce que donne Lacafetière contre les Tonga.

Thierry Dusautoir : Sans nous refaire le match de 2007, il a été bon et a encore une fois beaucoup plaqué. Bref, du Dusautoir de base.

Julien Bonnaire : Le Jean Dridéal des avants : blond, les yeux bleus, propre sur lui, porte des petites lunettes de prof de maths en interview et surtout ne fait jamais de mauvais matchs. La pressse néo-Z l’a surnommé le « Prince de l’alignement ». En France, c’est le surnom que porte Florian Fritz, mais uniquement lors des 3ème mi-temps…

Pascal Papé : Alors Pascal, ça t’a fait marrer le Kapa O Pango ? Apparemment oui, puisque c’est le seul joueur à être sorti du lot avec Bonnaire face aux Blacks. Il ne lui manque plus qu’un cerveau. Et une teinture.

Lionel Nallet : Il faut toujours un seconde ligne qu’on ne voit pas du match. D’habitude c’est l’autre, puisque Lionel nous a habitué ces derniers temps à faire de grandes chevauchées. Pas aujourd’hui.

La première ligne : On l’avait pas vu venir celle là, mais beau beau match de merde pour le Tsar qui s’est troué sur deux essais et qui n’a pas montré sa puissance et son explosivité habituelle. En plus il a refilé son mojo de pizzaïolo à Servat : on croyait avoir les deux meilleurs talonneurs du monde, et finalement on se demande si on devrait pas mettre Guirado, ça fait mal. Chez les piliers, Ducalcon a souffert en mêlée (mais les Blacks ont un peu triché quand même, voir encore l’autre article de Vern sur la mêlée Black) et Poux RAS, c’est Poux.

Les Blacks :

Bravo les gars, vous avez gagner le droit de jouer contre les Pumas, que vous n’avez pas rencontrés une seule fois depuis 2006 et une victoire par 6 points d’écarts à Buenos Aires. Vu que vous ne les connaissez pas trop, on vous résume le truc : c’est un peu une armée de 15 Richie McCaw très énervés et qui arrêtent pas de crier « Qué ?! » et « Vamos !! ». Heureusement pour vous, eux se font pénaliser, et ils sont un peu vieux. Si vous arrivez à sortir les ballons en moins de 12 minutes et à enchaîner plus de trois passes, ils devraient gentiment en pendre 40. Mais on serait vous on se méfierait un peu, sachant que leur seul point fort, c’est votre plus grand point faible : le mental. La bise, on se revoit en finale si tout se passe bien.