Une journée dans la tête de Jean Michel Gonzales
par Aguilera

  • 13 December 2010
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Le Biarritz Olympique avait débuté sa saison 2010/2011 de façon très prometteuse: une défaite à domicile face à Toulon, un revers chez le promu agenais, un début de psychodrame au sein du staff… de quoi ouvrir nos appétits de bouchers. Mais étonnement, le club s’était ensuite mis à enchaîner les victoires, en Top 14 comme en H-Cup. Tout semblait calme sur la côte basque. Un peu trop calme… heureusement pour nous, la mer s’agite de nouveau, puisque le BO a réussi ce week end un exploit retentissant: être la première équipe à perdre contre Aironi, le nouveau punching bag du rugby européen. L’occasion pour notre spécialiste du BO, Aguiléra, de faire un petit état des lieux du club biarrot…. dans la tête de Jean Michel Gonzalez.

Lundi matin, 8 heures 30

Je suis sur le chemin d’Aguiléra au volant de ma Laguna modèle 2002. Je me demande comment je vais récupérer mes joueurs, sachant que ce week-end, c’était les fêtes de la Saint- Martin. Eh oui, à Biarritz, les fêtes sont en novembre, ce qui est original quand on sait que  tous les villages du Pays Basque organisent les leurs  entre juin et août. Mais il faisait 20 ° samedi, et l’apéritif a dû être festif dans les nombreux lieux d’agapes et de libations de la ville.

9 heures

Je compte. Ils sont tous là, à l’exception de mon ailier américain, assez coutumier du fait. J’aime bien l’idée d’avoir dans mon équipe deux internationaux américain et norvégien ; ça fait classe quand même, quand d’autres clubs font signer des Aussies, Blacks, Anglais, Sud Africains, le tout venant quoi. Au BO, on aime l’originalité, on est hype.

Zee est donc absent. Ses petits camarades ont perdu sa trace vers quatre heures du matin. Il était en compagnie de Campbell Johnstone, dit Naomi, dit Clan Campbell, qui s’est lui montré raisonnable pour une fois et est rentré se coucher avant cinq heures.

Il faut dire à la décharge de Zee que ce pauvre gosse a connu un destin pour le moins paradoxal : né au Zimbabwe, sa mère a gagné une Green Card à un concours et la famille s’est installée aux States. Repéré à l’université pour ses dons sportifs, il opte pour le rugby (faut quand même le faire, aux Etats-Unis) et est rapidement sélectionné avec les Eagles. Durant la CdM 2007, il  marque un essai splendide contre l’Afrique du Sud en se payant le luxe de déposer Habana. Et là, alors qu’une voie royale s’offrait à lui, tout s’écroule …     Approché par l’Aviron Bayonnais, le BO fait comme d’habitude immédiatement surenchère et emporte l’affaire pour 150 € de plus par mois et un autographe de Serge. Et voilà comment un des ailiers les plus doués de sa génération se retrouve dans une équipe où il doit toucher cinq ballons dans la saison, toutes compétitions confondues. Il y a là de quoi à déstabiliser le plus solide d’entre nous.

9 heures 30

Nous organisons un petit match d’entraînement Espoirs-Première. Imanol boude. Il faut dire qu’il vient de se faire virer de l’Equipe de France. Mais il tente de donner le change : il n’en a rien à faire de l’EdF, lui, il est Basque de Garazi. On ne le forcera plus à chanter la Marseillaise, cet hymne de l’occupant colonialiste. Il est un peu fatigant, Imanol, avec ses postures identitaires. Ce n’est pas parce qu’il a appris le français en LV 2, après l’espagnol, qu’il va me donner des leçons de basquitude.

Le seul vrai basque de l’équipe, c’est moi (Bidabé aussi, mais il ne joue plus, le pauvre). Je sais en effet de source sûre qu’une arrière grand-mère d’Imanol serait béarnaise ; et de ça, il ne s’en vante pas,  le Garaztar.

10 heures 30

Joli petit match d’entraînement. Je félicite le jeune Jean-Pascal Barraque, demi d’ouverture des Espoirs, pour ses bonnes prestations. Pour le récompenser, je lui promets de le titulariser, honneur suprême, pour le prochain match contre l’Aviron. Il s’enfuit en hurlant. C’est vrai que je l’avais mis au match aller à Jean Dauger sans trop le prévenir de la ferveur disons particulière du public bayonnais. A la mi-temps, il pleurait dans les bras de Jérôme. A la fin du match, j’ai dû appeler Marcel Rufo pour qu’il lui parle. Bof, il s’y fera, comme les autres.

11 heures

Petit débriefing de l’entraînement avec Jack. Je lui dis qu’il fait du Marc Lièvremont : nous n’alignons jamais la même ligne des trois quarts et nous n’avons aucun automatisme. Jack éclate en sanglots : c’est Serge qui lui défait sa ligne et lui impose sa propre composition deux heures avant les matchs. Moi, je n’ai pas ces difficultés : ce sont Imanol, Jérôme et Dimitri qui font la compo des avants. Mais ils sont corrects : ils me préviennent la veille du match.

11 heures 30

Je demande à Jérôme de bien vouloir participer à un petit déjeuner demain matin avec les partenaires du club au Château de Brindos. Il décline poliment, il a un rendez-vous sur la plage avec ses potes surfeurs. Je l’aime bien, Jérôme, il a une belle voix grave, il est grand, il est beau, il sent bon le sable chaud, mais il a tendance à se foutre des impératifs économiques du club. En plus, je ne peux pas compter sur Magnus (il monte une boutique de surf), sur Dimitri (il s’occupe de sa boutique de fringues), sur Imanol (il s’occupe de sa marque de fringues), sur  Zee (il s’occupe de sa copine) et encore moins sur Sylvain. Lui, il bûche ses examens et je ne peux pas décemment lui demander de faire l’impasse quand on sait qu’il est venu au BO pour un salaire inférieur d’un tiers à celui qu’il avait au Stade Français, et qu’il a même trouvé un nouveau partenaire pour le financer. Des recrues comme ça, Serge en  redemande.

Mais c’est vrai que nous sommes un club pluri-actif. Même moi, j’ai une entreprise de vente d’extincteurs et je ne travaille au BO qu’à mi-temps. Les gens nous critiquent mais quand même : nous arrivons à être 4ème du Top 14 et 1er en poule de HCup en fonctionnant comme un club de Pro D2 de bas de tableau.

12 heures

Arrivée de Serge dans une superbe voiture de sport qui lui a été offerte pour son anniversaire par monsieur Kampf, notre bienfaiteur à tous. Il roule à toute allure en sens interdit et se gare sur l’emplacement livraisons. Il faut dire qu’à Biarritz, Serge a un statut dérogatoire du droit commun. C’est un héros, un prince. Il figure sur une immense fresque en plein centre ville, comme Zidane à Marseille, ne se déplace jamais sans  une cour pour le protéger de ses admirateurs en délire, les femmes s’évanouissent à sa vue, les commerçants des Halles lui offrent leurs meilleurs produits de saison et le maire ne prend jamais une décision sans lui en référer.

Serge est de mauvaise humeur : il trouve qu’on fait des matchs tout pourris. A quoi ça sert qu’il ait tout donné à ce club, son talent, son temps, son argent ? A quoi ça sert qu’il se soit compromis à la Ligue à tel point que son nom est maintenant synonyme de mafioso ? Tout ça pour des joueurs dilettantes, enfin, ce n’est pas exactement le mot qu’il a employé, c’était plus musclé. Je lui rétorque que quand il jouait au BO, il ne s’entraînait pas, sauf à l’approche des sélections. Il me fait observer que lui, il n’avait pas besoin de s’entraîner pour bien jouer, pas comme ces zozos, et là encore, ce n’est pas le mot qu’il a employé.

Je lui promets de resserrer les boulons, sachant que ça ne servira à rien : les joueurs font ce qu’ils veulent, c’est même pour ça que j’ai menacé de démissionner en début de saison. Cet été, ils m’ont tout fait : accidents de surf, hydrocutions et noyades à la plage, accidents de scoot, absences à l’entraînement. Et oui, il y a eu les fêtes de Bayonne, de Pampelune, de Garazi, d’Hasparren, de Sarre, de Mauléon, de Baïgorri et j’en passe : vous pensez bien qu’ils ne pouvaient en manquer aucune. Imanol était même invité d’honneur à Pampelune, sur le balcon de la Mairie. Avec tout ça, il faut bien comprendre que le rugby devient secondaire. Des fois, je rêve d’entraîner Bourgoin. Et j’attends l’hiver avec impatience, je serai tranquille jusqu’en avril.

C’est vrai que cela peut sembler étonnant pour des Toulousains ou des Clermontois, qui nous prennent pour des billes, mais à Biarritz, nos joueurs sont des stars. Magnus m’a raconté que quelques jours après le derby gagné cette saison à Jean Dauger, il est allé au restaurant avec son frère. A leur entrée, les clients se sont levés et les ont applaudis. Ca lui a fait tout drôle, à Magnus : il ne pensait pas une minute qu’il pourrait devenir un people en jouant au rugby au BO.

Il faut dire que même en Angleterre, on les impressionne. Après le match à Bath, un journaliste m’a dit que le BO était probablement la seule équipe du monde où le pilier gauche court plus vite que les centres. Et oui, c’est ça, le BO ! La quête constante du rare et de l’inédit.

12 heures 30

Je suis chez moi et j’apprends par un reportage TV que Sylvain adore sillonner les routes sinueuses et étroites du Pays basque intérieur en Harley Davidson. Je tente de me calmer et d’imaginer comment dissuader Sylvain de se livrer à cette nouvelle passion. Tout d’un coup, je pense que dans un mois, nos Pyrénées seront couvertes de neige et j’ai des sueurs froides.

14 heures

Retour  à Aguiléra pour une séance de muscu dans nos superbes installations (merci monsieur Kampf). Les garçons sont concentrés, appliqués. Je me prends à rêver que j’entraîne une équipe normale de rugby professionnel. Des fois, l’originalité, c’est lassant C’est alors que Julien vient se plaindre d’une douleur au niveau du mollet gauche. Laurent Rodriguez lui dit que tant qu’on voit pas l’os, il n’y a pas blessure. Julien fond en larmes. Je pense que ça vient de toute la tension qu’il a accumulée depuis que Damien nous a annoncé à tous sans prévenir qu’il jouerait désormais en 10. Eh oui, au BO, ce sont les joueurs qui décident à quel poste ils jouent. Comme d’habitude, le pauvre Julien n’a rien dit sur le moment, mais il a dû mal encaisser. J’essaie de lui faire voir le bon côté des choses : la saison dernière, il a joué 136 matchs de 80 minutes. Cette saison, il pourra un peu se reposer.

15 heures

Nos centres gersois se plaignent parce que Jack préfère faire jouer ses recrues australiennes. C’est vrai qu’ils sont pas mal ces petits Gersois : pas chers et durs au mal, mais il ne faudrait pas que ça leur monte à la tête. En même temps, cet été, Jack part en vacances chez lui en Australie et revient avec deux mecs parfaitement inconnus, dont l’un a un nom d’agent secret et l’autre celui d’un lord anglais. Je ne sais même pas s’ils avaient déjà joué au rugby avant. Vu leurs prestations, je penserais plutôt au cricket. Mais, bon, au BO, c’est comme ça, chacun apporte sa pierre à l’édifice du recrutement. Je souhaiterais juste qu’on se limite à des joueurs de rugby.

16 heures

Je vais aller m’occuper de ma petite entreprise. C’est plus reposant. Le BO, c’est parfois tuant. J’essaie de ne pas penser à la valse des entraîneurs qui affecte ce club depuis plusieurs années. Seul le Stade Français a fait mieux. Après tout, je vis chez moi au Pays Basque, entre Océan et montagne, à un jet de pierre de l’Espagne, et j’entraîne un club de rugby qui a connu ses heures de gloire. Que demander de plus ? Peut-être un environnement un peu moins caractériel. Mais là, je sais que c’est du domaine de l’impossible.

Aguiléra