Retour sur Italie-France (18-40)
par Marcel Caumixe

  • 17 March 2017
  • 30

 

Ébloui par le luxe du lieu, j’avançai timidement dans bar de l’Hôtel Meurice où Ovale Masqué m’avait donné rendez-vous. Je l’aperçus au loin, assis dans un fauteuil cossu en compagnie de quelques personnes, et à ma vue il se précipita vers moi une main en avant et un cocktail dans l’autre. Au lieu de l’accolade à laquelle je m’attendais, il me saisit par l’épaule et m’entraîna vers une porte dérobée. C’est entre les bidons de détergent et les chariots de nettoyage que j’entamai la conversation:

“C’était qui avec toi ? Vincent Bol-
– Ouais.” Me coupa-t-il. “J’ai pas la journée. Dis-moi, t’attends quoi là ? J’veux dire, tu comptes nous le faire avant l’an prochain le compte rendu d’Italie-France ?
– Je savais pas que je-
– Ben maintenant tu sais. On est sur un gros coup là. On va vendre le site. Si on veut en tirer un bon prix, il faudrait poster souvent et faire du clic. Alors tu vas te magner le fion et nous faire un bon CR.
– Mais je-
– Faut maintenir le navire à flot, putain. Je me crève le cul, et toi tu restes là à poster des calembours sur twitter. Dès que je suis pas là pour faire le boulot y’en a pas un qui trime dans cette boite. Bon faut que j’y retourne. T’as deux heures. Et pas de calembour, bordel !
– Mais chef, on aura droit à un petit truc quand vous revendrez le site ? En paiement pour le temps passé sur les 5 dernières années ?
– …
– …
– Je sais pas moi, tu veux finir ma Smirnoff Ice ?

Nous nous quittâmes sur ces entrefaites et je fus fermement reconduit à la sortie de service par la sécurité de l’hôtel qu’il avait pris soin de prévenir de ma présence en rejoignant ses nouveaux amis. Voici donc le résumé du match au sommet de ce tournoi des VI nations, à savoir, Italie-France.

 

Le contexte

 

Ce n’est jamais facile de mettre de l’enjeu et de l’intérêt sur le Latinico. Force est de reconnaître que c’est souvent chiantissime, mais ça vaut toujours mieux qu’une journée de relâche où on doit regarder le Top14. Côté italien, on en est à onze cuillères de bois, et cette année on les sent bien partis pour remporter celle qui manque et compléter le service à raclette douze personnes. Malgré un match contre l’Angleterre fort réjouissant, l’Italie est au plus bas et va comme d’habitude tenir à faire bonne figure contre la France. Côté français, on est au milieu d’un tournoi pas très mémorable, comme si on avait été propulsé sur les rails de la dépression par cette courte défaite anglaise. Il est essentiel de se relancer en mettant une bonne branlée à quelqu’un, autant essayer sur le plus faible.

 

La compo

 

 

Le match

 

Il y a 15 jours l’Italie a stupéfié les Anglais pendant une heure avec un truc aussi peu connu que celui que votre docteur ne veut pas que vous sachiez et qui fait maigrir en mangeant des bananes trop mûres. Il s’agit bien sûr de la tactique des rucks fantômes, aussi connus sous le nom de rucks fictifs ou de défense sarthoise. On peine à croire que ce fusil à un coup puisse encore faire son effet. D’autant qu’après deux semaines, les plus grands spécialistes de Marcoussis ont certainement eu le temps de se pencher sur le problème. La solution choisie se révèle assez vite. Qui dit ruck, dit possession. Donnons leur le ballon, abandonnons la possession, il n’y aura pas de ruck, donc pas de tactique satanique. Il fallait y penser ! Malheureusement les Italiens font preuve de beaucoup d’allant et de maîtrise en ces premières minutes. Il mettent à mal une défense très attentiste et après une dizaine de phases de jeu Parisse conclut d’un essai, formidablement servi par son ouvreur après une prise d’intervalle somptueuse. Le pied de Canna pêche et rate la transformation : 5-0 à 3 minutes. Serin déchante et Canna rit jaune.

 

La suite donne plus d’occasion aux Bleus de s’exprimer dans une veine plus novésienne. Malheureusement avec la possession revient le ruck fictif qui met Baptiste Serin à la penne. La mêlée est cependant dominatrice et permet à Camille Lopez de réduire l’écart. L’Italie parvient à créer le danger dès qu’elle enchaîne les temps de jeu – on en croit à peine ses yeux, mais dans un monde où Gérard Holtz est à la Villa Médicis, tout peut arriver. Un raffut de Parisse sur Picamoles suivi d’une chistera et l’Italie remet la panique dans la défense. Il s’en faut d’un mauvais choix de sautée sur l’aile pour que le score gonfle encore en faveur des locaux. La France s’en remet encore à ses avants dominateurs en mêlée et au grattage pour eviter le pire. Ce premier quart d’heure est clairement italien. Une période couronnée par une pénalité. Cette fois-ci, le pied de Canna paie : 8-3.

 

 

“Hé ! Moi ! Passe ! Pssst ! Moi ! Moi !”

 

 

Sur le coup d’envoi, Fickou récupère la balle, sert Vakatawa qui perce et tente une passe impossible sur Lamerat. Le fameux sens du partage fidjien se heurte à la dure réalité de Rémi Lamerat qu’on sait désormais rendu inopérant par un mystérieux champ de force situé à 5 mètres de l’en-but. Qu’à cela ne tienne, la balle reste française, et à un petit en avant près, Vakatawa allait marquer son essai. L’arbitre revient à une position de hors-jeu et Camille Lopez ajoute 3 points. L’action suivante sera encore plus aboutie. Luke McLean dégage (pas littéralement hein, ce serait trop beau), Serin récupère et sert Dulin qui relance de ses 22. Cette remontée assassine qui voit un bon tiers de l’équipe jouer au chat et à l’azzurri se termine par une superbe feinte de passe de Fickou qui mystifie les locaux et aplatit derrière la ligne : 8-13.

 

Bien que l’attaque française traverse désormais la défense telle une balle de .45 du mascarpone, l’Italie parvient à faire bon usage du peu de ballons qu’elle a. Elle bénéficie d’une pénalité grâce à l’indiscipline française sanctionnée par l’arbitre, monsieur O’Coffee. Le pied de Canna bisse : 11-13.

 

Le rythme retombe nettement sur la fin de la période. A la 29ème minute, un ruck fantôme raté donne l’occasion à Lopez d’aller en pénaltouche. Le maul qui suit tourne en faveur des Ritaux, mais la mêlée française domine, et Camille en marque 3 de plus mettant ainsi fin à 5 minutes de mises en place laborieuses, de décisions arbitrales, de pénaltouches, de mauls, de re-mêlées, bref de plaisir sportif comme seul le rugby à XV sait nous en donner. L’attaque italienne mollit à mesure que la défense française se durcit, et hormis Serin qui sur un ruck fantôme prend un trou d’azzurri et nous gratifie d’une belle percée, rien de bien notable à raconter dans ces dernières minutes.

 

 

 

 

Au retour des vestiaires, la France reprend sur de bonnes bases, joue dans la défense et fait circuler la balle. Une chistera de Serin lance Slimani mais l’action finit en touche. Monsieur O’Keffieh donne l’avantage et Lopez passe la pénalité. 11-19 à la 43ème.

 

Les Bleus ne se reposent pas sur leurs lauriers sous ce soleil romain. Sur le coup d’envoi suivant, la balle circule dans les 22 français, Fickou prend l’intervalle, fixe et lance Vakatawa qui malheureusement se fait rattraper par Padovani et concède une touche à 5 mètres de l’en-but adverse. Les Bleus reviennent à la charge. Dulin pénètre dans la défense italienne. On remarque alors que Maestri a décidé aujourd’hui de compenser pour toutes les fois où il n’a pas touché un ballon du match dans sa carrière.  Placé en sortie de ruck, il se fend d’une passe abominable que Sanconnie prend dans la gueule. Trop heureux, les Italiens dégagent mais ne trouvent que les bras de Nakaitaci qui relance à nouveau. Sur un hors jeu, monsieur O’Kif octroie une pénalité que Lopez met en touche. La touche donne lieu à un maul, puis Serin lance Vakatawa qui va à l’essai. 11-26 à la 48ème.

 

L’Italie remet un peu la main sur la balle. Un hors-jeu français lui donne la chance de tenter une penaltouche, deux, puis trois, tout ça pour dégueuler le ballon comme un mauvais Valpolicella. Malgré tout la balle finit par revenir à l’Italie, et bien que Campagnaro, Canna ou Parisse s’y emploient avec un relatif bonheur, la défense française reste infranchissable. L’Italie récupère une pénalité à la faveur de sa patience sur cette possession. La pénaltouche est choisie de nouveau. Et au bout de la ligne après trois temps de jeu, Bronzini s’engouffre pour aller aplatir derrière la ligne, mais Dulin est dessous et l’essai n’est pas accordé. Alors que la vue de Dulin passant sous le Bronzini me donne la nostalgie de mes années de lycée, la France trouve le moyen de gratter la balle et Dulin d’entamer une relance qui ramène le jeu au niveau de la ligne médiane.

 

 

 

Quand tu rassures tout le monde comme quoi tu es bien arrivé puis que tu testes le vent au cas où tu doives taper un drop dans la minute.

 

 

On va pas se mentir, ce baroud d’honneur de l’Italie ne trompe personne : le match est plié. Cette semaine on a beaucoup parlé de Ramon Tada, célèbre personnage CATALAN. On voit cependant mal comment les Italiens pourraient revenir au score, ni pour quelle raison cette éventualité surgit dans ce texte hormis une pulsion malsaine à faire feu de tout bois pour placer un jeu de mots moisi. L’enjeu pour le XV de France est désormais de faire, genre, on va sauver notre tournoi et la tête à Guytou en chopant le bonus et en se classant correctement, alors qu’on sait bien qu’un tournoi où on perd d’entrée contre l’Angleterre est fichu.

 

À la 63ème, une mêlée au centre du terrain, une ouverture, et Lamerat déchire le rideau. La malédiction frappe soudain aux 5 mètres tel l’éclair d’un dieu facétieux. Rattrapé par Campagnaro, Rémi se fait plaquer, dégueule sa balle et se détruit le pif dans la terre. Non, le sort n’est pas encore brisé. Pourtant il faut essayer : Lamerat contre un dégagement dans l’en-but italien. Rien ne se passe. Mêlée à 5 mètres, PICA fait son départ et va marquer tout seul, lui. 11-33 après transformation de Lopez.

 

L’Italie est KO. Les Français sont incisifs, les Italiens n’endiguent plus leurs attaques. Ben Arous aurait bien mis l’essai du bonus à l’issue d’un autre joli mouvement à la 72ème, si Picamoles n’avait pas préféré faire la passe à son copain FTD au prix d’un pied en touche au lieu de donner au premier venu. On commence alors à croire qu’en bons Français, les Bleus vont manquer l’occasion d’inscrire l’essai du bonus et ce, contre le cours d’un match qui semble vouloir tourner à la soirée Bunga-Bunga. Yoann Huget rentré il y a peu avorte une attaque qui semblait pourtant bien démarrée en faisant une passe hasardeuse. Mais la French Chatte est la marque des plus grands joueurs. Cette passe, tout hasardeuse qu’elle soit, permet aux Français, par le truchement d’un contact italien fortuit, de bénéficier de la mêlée suivante. La balle circule vers l’aile de Nakaitaci qui joue dans le dos de la défense sur Gourdon. Celui-ci trace, la tête haute et l’oeil en éveil dans le style qu’on lui connait désormais. Il sert Dulin qui bat le dernier défenseur et inscrit l’essai du bonus entre les poteaux. 11-40, ça n’ira pas plus loin, et moi non plus. (EDIT: À la demande d’un lecteur pointilleux qui n’a pas zappé avant la 80e minute, je rajoute qu’un essai “pour l’honneur” d’Esposito permet à l’Italie de terminer à 18-40.)

 

 

Encore un Toulonnais qui se fait choper à prendre un rail.

 

 

Les joueurs

 

Belle et homogène performance du XV de France. Serin a encore été étincelant. Beaucoup de maîtrise et de culot, rapide sur les sorties de balles, il a été élu à juste titre homme du match, parce que le titre d’ado imberbe du match n’existe pas. Sanconnie a réussi son entrée, PICA a été à la PICA-hauteur de sa PICA-légende et Kévin Gourdon a été très en vue. Avec sa gueule du prof de français qui gère le club théâtre du lycée et dont toute la 1ère L est amoureuse, il défonce, il plaque et finit par éclabousser de toute sa classe. Les lignes arrières n’ont pas été en reste et ont passé la partie à créer le danger. Gardons une pensée pour Yoann Maestri, qui a dû toucher une vingtaine de ballons et en a tombé facilement 75%. On espère qu’il a fait le plein de sensations et qu’il va tranquillement retourner dans les tâches de l’ombre auxquelles on n’y connait pas suffisamment pour dire autre chose que “on ne l’a pas vu donc il a fait le job”.

 

Côté transalpin commençons par l’Italien du sud, Luke McLean. Luke est l’archétype de l’inutility back. Il peut jouer à n’importe quel poste avec la même absence de talent. Si Sergio Parisse est ce type de joueur par lequel tout peut arriver, qui peut transformer tout ce qu’il touche en or, Luke a tendance à transformer tout ce qu’il touche en plomb. La seule théorie qui tienne est que Luke est le jumeau maléfique de Sergio. Du reste, Sergio a fait du Sergio. Omniprésent, auteur de gestes de grande classe, trouvant malgré tout le temps de manger le cerveau des arbitres, les Italiens devraient se poser la question de leur Parisse-dépendance, tenter de le cloner ou à tout le moins de congeler des litres de son sperme. Il ne fut pas le seul à sortir du lot. On n’attend jamais grand chose d’un ouvreur italien. Mourad Boudjellal l’a appris à ses dépens. Canna a pourtant fait un très bon match, notamment en montrant une étonnante capacité à prendre l’intervalle et à faire jouer dans le dos de la défense. Allan a été bon, mais Canna plus. On ne peut pas parler des joueurs de la Squadra Azzurra sans mentionner Campagnaro. Le centre italien est véritablement un cran au dessus de ses coéquipiers. Dense, franchisseur, il est à prendre au sérieux malgré son chignon ridicule.

 

 

Conclusion

 

Ne boudons pas notre plaisir, ce fut un joli match, avec des actions comme on aimerait en voir plus souvent. Même si la partie ne fut pas exempte de défauts comme ce premier quart d’heure un peu mollasson, ces quelques indisciplines, ou cette fichue précipitation qui ruine souvent des actions d’envergure, on notera que cette équipe de France a du talent, de la technique, de la créativité, du collectif, des individualités, en bref de grosses qualités qu’il nous tarde de voir à l’œuvre contre une vraie équipe de rugby.